De nombreux responsables militaires ont été lourdement sanctionnés lors de l’annonce du verdict. L’armée qui s’est voulue longtemps la gardienne des valeurs laïques perd-elle davantage d’influence ?
L’enjeu, pour Erdogan, c’est de domestiquer l’armée, de la mettre au pas mais surtout d’asseoir l’autorité du pouvoir civil sur l’armée. Ça se fait à travers notamment des grands procès qui impliquent des militaires et ça se fait aussi à travers les nominations de hauts gradés. Au mois de juillet dernier, Erdogan a remplacé un officier qui était considéré comme un opposant.
L’armée aujourd’hui est une institution extrêmement affaiblie et qui s’est affaiblie en très peu d’années. Ça peut paraître étonnant quand on sait à quel point elle nourrissait tous ces fantasmes de possibilités de coups d’État. Finalement, on a l’impression qu’il a suffi de quelques coups bien placés pour démonter cette image de force de l’armée turque. Mais aujourd’hui, Erdogan va encore avoir besoin de cette armée parce qu’il est dans un contexte régional très délicat. La Turquie est aux avant-postes dans une région plongée dans une crise absolument terrible au Moyen-Orient avec comme voisins l’Iran, l’Irak et la Syrie. Avec la Syrie, la situation est extrêmement tendue sur la frontière turque.
De toute façon, l’idée pour Erdogan, ce n’est pas de porter le coup de grâce à l’armée, c’est de s’approprier l’armée. Alors ça passe par le fait de la purger de tous ces éléments anti AKP.
Quand on dit que l’armée était la gardienne de la laïcité, c’était l’image traditionnelle qu’elle avait d’une armée
kémaliste qui s’auto-nettoyait de tous ses éléments islamistes. On ne sait pas très bien où l’armée en est, idéologiquement, mais ce qui est sûr c’est qu’elle est beaucoup moins kémaliste qu’avant parce qu’il y a eu des promotions de hauts gradés beaucoup plus proches du gouvernement. Donc du point de vue idéologique, l’armée se rapproche du gouvernement.
C’est donc le gouvernement qui essaye d’avoir la mainmise sur l’armée…
Ce qui est assez logique dans le cadre d’une démocratie aboutie. Le pouvoir militaire doit quand même être soumis au pouvoir politique. De ce point de vue là, la stratégie de l’AKP a très bien fonctionné vis-à-vis des observateurs extérieurs notamment de l’Union européenne pendant très longtemps.