Turquie : nouvelles tensions à la reprise du procès du journal d'opposition Cumhuriyet

Un journaliste critiquant le pouvoir expulsé de la salle, un public qui hue le juge : le procès de collaborateurs du journal d'opposition turc Cumhuriyet a repris dans une ambiance tendue lundi 25 décembre à Istanbul. Une affaire qui cristallise les inquiétudes liées à l'érosion de la liberté de la presse en Turquie.
 
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Des manifestants protestant le 31 octobre 2017 devant le tribunal à Istanbul.
©AP/Lefteris Pitarakis
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Au total, 17 dirigeants, journalistes et autres employés actuels ou passés de Cumhuriyet, un quotidien critique du président Recep Tayyip Erdogan, sont jugés pour "activités terroristes".

La cinquième audience de ce procès a été marquée par l'expulsion de l'un des accusés, le journaliste d'investigation Ahmet Sik, à la demande du président du tribunal qui lui reprochait de se livrer à une "défense politique",d'après l'AFP.

S'exprimant devant la cour, le journaliste a accusé le gouvernement de "traîter comme des terroristes ceux qui ne lui ressemblent pas" et la "justice contrôlée par le pouvoir" de porter des "accusations absurdes".
"Ca suffit ! Si vous voulez faire de la politique, devenez député ! (...) Je ne peux pas laisser l'accusé continuer ainsi. Qu'on le fasse sortir de la salle", a alors lancé le président du tribunal, Abdurrahman Orkun Dag.

Cette décision a indigné les dizaines de soutiens de Cumhuriyet venus assister au procès : "Vous finirez par être jugés un jour !", "Ahmet (Sik) sortira de prison, il écrira de nouveau !", ont-ils lancé dans la salle chauffée à blanc, provoquant une suspension d'audience.
 

Faire taire la liberté d'expression 

             
Peu avant le début de l'audience, quelques dizaines de soutiens de Cumhuriyet, un quotidien farouchement critique du président Recep Tayyip Erdogan, s'étaient rassemblés devant le tribunal de Caglayan en brandissant des pancartes réclamant "Justice pour tous les journalistes".

Les 17 collaborateurs du journal risquent jusqu'à 43 ans de prison pour des accusations d'aide à trois groupes considérés comme "terroristes" par Ankara : le Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK), l'organisation d'extrême gauche Parti-Front révolutionnaire de libération du peuple (DHKP-C), ainsi que le mouvement du prédicateur Fethullah Gulen.
Ce dernier est désigné par Ankara comme l'instigateur de la tentative de putsch du 15 juillet 2016, mais nie toute implication.
Cumhuriyet rejette ces accusations et soutient que ce procès vise à réduire au silence l'un des derniers journaux indépendants du pays.
                  
Emblématique des atteintes à la liberté de la presse en Turquie, le "procès Cumhuriyet" suscite l'inquiétude dans le pays et à l'étranger.

"Ce procès est le symbole des tentatives visant à faire taire la liberté d'expression en Turquie aujourd'hui. Il est le symbole des pressions exercées contre les journalistes", a déclaré à l'AFP une avocate de la défense, Me Gülendam San Karabulutlar.

Parmi les 17 collaborateurs de Cumhuriyet jugés quatre sont en détention préventive, dont Ahmet Sik, le plus célèbre journaliste d'investigation du pays, écroué depuis 360 jours. 
Le patron du journal, Akin Atalay, et son rédacteur en chef, Murat Sabuncu, sont eux en détention depuis plus d'un an. Le quatrième prévenu écroué est un comptable, Emre Iper, emprisonné depuis 263 jours.

Ce procès suscite l'inquiétude des partenaires occidentaux de la Turquie, où les autorités ont multiplié les arrestations de journalistes après le putsch manqué.
Selon le site internet P24, spécialisé dans la liberté de la presse, quelque 170 journalistes sont détenus en Turquie, qui occupe la 155e place sur 180 au classement de la liberté de la presse établi par l'ONG Reporters sans frontières (RSF).