L’Europe : mirage ou course d’obstacles ?
Voici dix ans à peine, tout semblait possible entre la Turquie et l’Union européenne. De cessez-le-feu avec les rebelles kurdes du PKK en mesures de démocratisation, le gouvernement ne ménageait pas ses efforts pour lever les réserves formulées par l’Union. Et c’est tout un pays qui avait à cœur de montrer qu'il était capable d'intégrer l'Europe, comme pour prendre une revanche sur l’Histoire. Mais depuis 2010, les discussions sont au point mort. Entre 2003 et 2013, il n’a pas fallu plus de dix ans à la Croatie pour entrer dans l’Union européenne. La Turquie, elle, avait déposé sa demande dès 1987 et est officiellement candidate depuis 1999.
Après avoir suscité un immense enthousiasme en Turquie, l’adhésion du pays à l’Union européenne semble n’être plus qu’une chimère. Que s’est-il passé ? Certes, la question kurde reste en suspens : pour que le gouvernement concède une amnistie générale en faveur des
rebelles du PKK, il faudrait un changement radical auquel il n’est pas encore prêt. Certes, la confessionnalisation du pouvoir, qui se radicalise dans le sillage du conflit syrien, suscite la méfiance de l’Union. Certes, l’horizon s’assombrit avec la menace d’une crise économique et les remous sociaux de l'été 2013, qui allaient bien au-delà d'une
contestation d'indignés ou d’écologistes. « Entre l’Union européenne et la Turquie, explique
Hamit Bozarslan, de l'Institut des hautes Etudes en Sciences sociales, il y avait plus d'espoir que de dynamique. De la part de la Turquie, il y avait une part d'improvisation et de projection de sa puissance, mais pas de vraie volonté ni de vrai projet politique. Et puis les négociations traînant de part et d'autre, la morosité s’est installée et les masques sont tombés… »
Est-ce à dire que personne n’y a jamais vraiment cru ? Il faudra attendre encore plusieurs décennies pour voir si l’intégration européenne n’était qu’un gigantesque malentendu ou davantage une course d’endurance, avec ses pointes et ses ralentis. « A force d'avaler les couleuvres européennes, les Turcs sont au bord de l’indigestion, explique
Didier Billion, directeur-adjoint de l'Institut de Relations internationales et stratégiques. Mais malgré le dépit ambiant, ils peuvent poursuivre leurs perspectives européennes tout en développant d'autres orientations dans les périodes de creux. »