Uber, Google, Airbnb, booking : l'économie 2.0 californienne est-elle un danger pour l'Europe ?

UberPop, le service de "transport collaboratif" a été déclaré illégal en janvier 2015 en France. Les taxis, soutenus par le gouvernement, veulent faire interdire ce service de "covoiturage payant" issu de la nouvelle économie. Le vieux continent a-t-il raison de se cabrer contre les services 2.0 californiens ?
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Uber, Google, Airbnb, booking  : l'économie 2.0 californienne est-elle un danger pour l'Europe ?
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Ces services en ligne sont devenus très populaires et ont tous été développés par des startup de la 8ème plus grosse économie du monde : la Californie. Uber permet d'appeler un VTC (Véhicule de Transport avec Chauffeur) depuis son smartphone, Google permet d'effectuer des recherches sur Internet, mais offre aussi des dizaines d'autres services en ligne. Airbnb transforme les particuliers en hôteliers en un seul clic, booking.com est une boutique de réservation géante en ligne qui rend obsolète toutes les agences de voyage classiques. Amazon remplace les libraires et les entreprises de vente par correspondance. La liste est très longue des nouveaux services 2.0 — quasiment tous californiens. Si ces services numériques sont devenus très populaires auprès des usagers, par leur efficacité et leur coût attractif, ils posent de nombreux problèmes légaux, économiques et sociaux aux pays dans lesquels ils s'imposent. Si les clients, à court terme, gagnent à utiliser ces nouveaux services 2.0, qu'en est-il du tissu économique et social au sein de leur propre pays ?

Uber, Google, Airbnb, booking  : l'économie 2.0 californienne est-elle un danger pour l'Europe ?
Fabrice Epelboin, entrepreneur numérique
Monopoles
 
Toute l'inquiétude du vieux continent est résumée dans la résolution "anti-Google" votée au Parlement européen en cette fin d'année. Cette résolution demande le démantèlement du Géant internet pour abus de position dominante. Ce que les élus européens reprochent à Google n'est pas que son moteur de recherche soit utilisé à plus de 90% par les internautes, mais qu'il mette en avant via celui-ci tous les autres services qu'il possède, au détriment de la concurrence. Si vous cherchez un produit avec Google et qu'un site de comparateur de prix apparaît bien en vue, ce sera probablement Kelkoo. Le problème est que Kelkoo vient de signer un accord commercial avec Google. A l'inverse, l'agence de voyage en ligne Expedia a été "punie" début 2014 par le géant des moteurs de recherche : la visibilité de l'agence a fondu de 25% en une semaine sur Google ! Fabrice Epelboin, entrepreneur numérique et enseignant à Sciences-Po ne voit pas vraiment d'issue pour régler ces problèmes : "Cette situation d'abus de position dominante est à mon sens sans issue, et je ne vois vraiment pas ce qui pourrait être fait contre ça. Faut-il se réformer en Europe ? En tout cas, si l'on cherche des mesures coercitives on risque très vite de tomber dans un principe de frontières numériques, ce qui est très dangereux quand on parle d'Internet".

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La galaxie Google et ses service de plateforme
Déloyal
 
Uber, qui a beaucoup fait parler de lui ces derniers mois est un cas d'école des pratiques commerciales hyper-agressives des startups californiennes 2.0. Uber a développé un service de réservation de transports par smartphone qui a entièrement déstabilisé l'économie des taxis parisiens. Si de façon superficielle, le service Uber peut sembler une très bonne alternative au bon vieux taxi peu efficace, peu moderne et cher, il devient rapidement moins sympathique lorsqu'on observe ses pratiques commerciales. Le VTC, même s'il oblige le client à pratiquer une réservation, pose problèmes aux taxis qui payent des licences commerciales à prix d'or — mais il pourrait être contré par ces derniers— en modernisant leurs services, ou en demandant à l'Etat des aménagements financiers. Sauf qu'Uber ne s'est pas arrêté à son service VTC, encadré aujourd'hui par la loi Thévenoud, et propose désormais UberPop (Pop pour populaire, ndlr), un service de covoiturage… qui n'en a que la couleur. 
 
Tromperie 
 
UberPop propose un système en ligne qui se déclare comme du covoiturage : un particulier possesseur d'un véhicule, moyennant rétribution, accueille un passager vers sa destination. La réalité est toute autre, puisque les chauffeurs UberPop enchaînent les courses exactement comme le font les taxis. Fabrice Epelboin estime que "le problème de fond reste la vitesse de la législation et celle de la technologie, qui ne sont pas équivalentes : la technologie a toujours plusieurs longueurs d'avance, et surtout, les législateurs ne comprennent généralement rien au sujet !"
 
UberPop a été condamné en octobre dernier à 100 000 euros d'amende pour "pratique commerciale trompeuse" par le tribunal correctionnel de Paris. L'armée d'avocats qui travaille pour la startup californienne a fait appel. Une interdiction du service UberPop a été prononcé qui a pris effet le 1er janvier 2015. UberPop, selon les juristes, continue néanmoins de proposer ce service, jusqu'à qu'une plainte au pénal à son encontre soit lancée. Sachant que les procédures peuvent durer des années, la startup UberPop n'est pas prête de s'arrêter de sitôt.

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UberPop : le service sera interdit en France le 1er janvier 2015 mais continuera néanmoins à être proposé par la startup
Géants
 
Ce sont des pans entiers de l'économie qui sont touchés par le biais des géants de l'internet californien, avec pour conséquences l'affaiblissement de tissus économiques nationaux — eux bien physiques. Le système de location Airbnb court-circuite les locations de chambre d’hôtel, de gîtes, de chambres d’hôtes en transformant des particuliers (ou des investisseurs peu scrupuleux) en loueurs d’appartements à la demande. 
 
Booking.com, la plateforme de réservation internet “leader du marché”, impose aux professionnels ses propres tarifs et propose aux internautes 500 000 hôtels à la réservation en France. L’Autorité de la concurrence vient d’obliger l’entreprise à supprimer sa clause de parité tarifaire, qui empêchait les professionnels de pratiquer les tarifs qu’ils souhaitaient. Booking.com, pointée du doigt par trois autorités nationales européennes de régulation, en France, Italie et Suède, a finalement cédé. 
 
Ces OTA (Online Travel Agencies, Agences de réservation en ligne), dont booking.com ou expedia.com ont un poids économique en Europe : booking.com détient par exemple 70% du marché français de la réservation. Les commissions que ces entreprises négocient avec les professionnels sont fonction de la puissance de leur interlocuteur. Si les chaînes d'hôtels arrivent à payer 15% de commission, les petits établissements — doivent eux — céder 25% du prix d'une chambre. Pour l'enseignant de Sciences-Po, spécialiste de l'économie numérique qu'est Fabrice Epelboin, c'est une nouvelle forme d'économie qui se met en place : "Nous rentrons, avec ces entreprises, dans un capitalisme de plateforme, plutôt qu'une économie collaborative, qui est quand même un enfumage assez évident. Si l'on prend Uber, nous sommes dans un capitalisme de plateforme qui permet de faire du transport de particuliers, depuis le très haut de gamme en passant par le milieu de gamme, mais quand même supérieur en qualité à ce que proposent les taxis, jusqu'au transport bas de gamme, avec UberPop. Le problème de la réponse qui a été donnée à Uber, c'est qu'elle a été corporatiste. C'est typiquement le type de réponse qui ne fonctionne pas. Malgré tout le mal est fait, et aujourd'hui tout le monde est conscient qu'un Uber et un taxi ,c'est à peu près le même prix. Sauf que le service rendu par Uber est absolument incomparable avec celui d'un taxi, et bien entendu en faveur d'Uber."

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Booking.com : En France, 70% des réservations d'hôtels sont traitées par cette entreprise
Réguler ou innover ?
 
La puissance de feu des entreprises 2.0 — californiennes pour la plupart — est basée sur l’innovation, alliée à une politique commerciale que certains qualifient de “rouleau compresseur”. Leur capacité à s’emparer de marchés entiers, en tant qu’intermédiaires via des services en ligne, est sans commune mesure. Amazon, plateforme de vente sur Internet et de livraison à domicile est un exemple caractéristique de cette nouvelle économie 2.0 qui s’interpose entre les clients et les professionnels, accusé de dévorer des parts de marchés partout où elle s’implante. Souvent à pertes. 
 
Ce déploiement massif de services en ligne qui impose des commissions très élevées, une baisse des prix, des pressions commerciales sur les fournisseurs, acteurs des filières, modifie la donne économique — mais aussi sociale — des pays où s’implantent les géants californiens. Leurs innovations en tant que telles ne sont pas inutiles, le plébiscite massif ces clients-internautes le démontre très bien, mais la nécessité de les réguler commence à se faire sentir dans les instances politiques. 
 
L’Europe se réveille, un peu effarée de ne pas avoir d’entreprises numériques en mesure de proposer des services équivalents, inquiète de voir que ce sont ceux qui offrent des moyens numériques d’accéder aux services ou aux produits — plutôt que ceux qui les offre directement ou les fabriquent — qui remportent la mise, et font leur loi. L’économie européenne semble en grand danger face aux géants californiens, selon les spécialistes du secteur, ses réponses pourraient être  de plusieurs ordres. Ainsi, au delà de la régulation, c’est peut-être la capacité du vieux continent à créer ses propres champions numériques qui serait en jeu. Pour proposer, comme Bernard Stiegler le souhaite, un Internet 3.0 ? Fabrice Epelboin, plus pessimiste, n'y croit pas : "Les géants s'adaptent, et malgré des régulations à la marge, ceux qui ont gain de cause ce sont le client finaux qui veulent toujours des prix plus bas et qui poussent via ces plateformes. Quant à des champions sur le continent européen, en mesure de se positionner face aux startups californiennes, il faut bien voir la différence qu'il y a lorsque l'on veut créer et développer une entreprise en Europe continentale, avec les pays anglo-saxons : ça n'a rien à voir…"
 
Régulation, innovation, visiblement la voie n'est pas trouvée en Europe pour contrer les géants californiens qui chamboulent les services numériques en ligne et qui, peut-être, inventent aujourd'hui un capitalisme de plateforme.