Fil d'Ariane
Les eurodéputés ont adopté le 10 avril une profonde réforme de la politique migratoire européenne qui durcit les contrôles des arrivées aux frontières du bloc et met en place un système de solidarité entre États membres.
Des migrants sub-sahariens attendent leur transfert depuis l'île de Lampedusa en Sicile, le 15 septembre 2023.
Au cours d'une session plénière à Bruxelles brièvement interrompue par les protestations de militants des droits humains, les dix textes de ce "Pacte sur la migration et l'asile", fruit d'un difficile compromis, ont tous été approuvés.
"C'est un énorme pas pour l'Europe", a réagi la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen à l'issue du vote, saluant une "journée véritablement historique".
Le même adjectif était utilisé par plusieurs dirigeants et responsables, à Berlin comme Athènes.
Voir Qu'y a-t-il dans le pacte migratoire?
Le chancelier allemand Olaf Scholz s'est réjoui d'un "pas historique indispensable" qui "limite l'immigration irrégulière et soulage enfin les pays qui sont particulièrement touchés". Parmi ces pays d'arrivée, la Grèce a salué, par la voix de son ministre des Migrations Dimitris Kairidis "une avancée majeure". Et le ministre italien de l'Intérieur Matteo Piantedosi s'est félicité que les eurodéputés aient trouvé "le meilleur compromis possible, qui prend en compte les besoins prioritaires de l'Italie".
La présidente du Parlement européen, la Maltaise Roberta Metsola, estime que le Pacte permettait de "sécuriser les frontières extérieures de l'Europe, apportait de la clarté sur les règles applicables et garantissait un équilibre entre solidarité et responsabilité, dans le respect des droits fondamentaux".
Les trois principales familles politiques européennes - PPE (droite), Socialistes et démocrates (S&D) et Renew Europe - ont dans l'ensemble soutenu ce pacte, qui a suscité l'opposition d'une grande partie de l'extrême droite, mais aussi des Verts, de la gauche radicale et de certains socialistes.
Du côté des mécontents figure le Premier ministre hongrois Viktor Orban, pour qui la réforme est un "autre clou dans le cercueil de l'Union européenne".
"L'unité est morte, les frontières sûres n'existent plus. La Hongrie ne cédera jamais à la frénésie migratoire de masse! Nous avons besoin d'un changement à Bruxelles pour arrêter l'immigration!", a-t-il écrit sur X.
Son homologue polonais Donald Tusk, pourtant ancien président du Conseil européen, a assuré que son gouvernement "protégerait" la Pologne contre le programme de relocalisation des migrants.
Ce Pacte migratoire se fonde sur une proposition de la Commission présentée en septembre 2020, après l'échec d'une précédente tentative de réforme, dans la foulée de la crise des réfugiés de 2015-2016.
Lire Albanie : des centres de rétention de migrants secourus dans les eaux italiennes en construction
La réforme, qui avait fait l'objet d'un accord politique en décembre, devra désormais être formellement validée par le Conseil (États membres, probablement à la fin du mois. L'objectif des négociateurs était d'aboutir absolument avant les élections européennes de juin, de peur de voir le projet enterré par la prochaine législature.
À côté de cette réforme, qui ne s'appliquera que courant 2026, l'UE multiplie les accords, controversés, avec les pays d'origine et de transit des exilés (Tunisie, Mauritanie, Egypte) pour tenter de réduire le nombre d'arrivées à ses frontières.
L'UE fait face à une hausse des demandes d'asile, qui ont atteint 1,14 million en 2023, soit leur plus haut niveau depuis 2016, selon l'Agence européenne pour l'asile. Les entrées "irrégulières" dans l'UE sont elles aussi en augmentation, à 380.000 en 2023, selon Frontex.
La réforme met en place un "filtrage" obligatoire des migrants arrivant aux frontières de l'UE, consistant à les enregistrer dans la base de données commune Eurodac.
Une "procédure à la frontière" est prévue pour ceux qui sont statistiquement les moins susceptibles d'obtenir l'asile: ils seront retenus dans des centres le temps que leur dossier soit examiné de façon accélérée, dans le but de renvoyer les déboutés plus rapidement.
Quelque 161 organisations de défense des droits humains, dont Human Rights Watch, Amnesty International, l'International Rescue Committee, ou encore Oxfam, avaient appelé les eurodéputés à rejeter le Pacte, s'inquiétant des "détentions de familles avec enfants" et une "criminalisation" des exilés.
C'est le pacte de la honte, parce qu'il abolit le droit individuel à l'asile. Cornelia Ernst, députée allemande GUE, gauche radicale
"Le pacte tue, votez non", ont scandé pendant la séance quelques militants présents dans les tribunes du haut de l'hémicycle.
"Le pacte tue, votez non", ont scandé pendant la séance quelques militants présents dans les tribunes du haut de l'hémicycle européen à Bruxelles, 10 avril 2024
Chez les Verts, l'élu français Mounir Satouri a fustigé "un effondrement des valeurs". "C'est le pacte de la honte, parce qu'il abolit le droit individuel à l'asile", a dénoncé l'élue allemande Cornelia Ernst (GUE, gauche radicale).
Voir Routes de l'exil : plus de 63 000 migrants morts en 10 ans
La règle en vigueur selon laquelle le premier pays d'entrée dans l'UE d'un migrant est responsable de sa demande d'asile est maintenue avec quelques aménagements. Mais pour aider les pays où arrivent de nombreux exilés, comme l'Italie, la Grèce ou l'Espagne, un système de solidarité obligatoire est organisé.
Les autres États membres doivent contribuer en prenant en charge des demandeurs d'asile (relocalisations) ou en apportant une contribution - financière ou matérielle - au profit du pays sous pression migratoire. Cette alternative était destinée à surmonter l'opposition de la Hongrie et la Pologne à tout quota de réfugiés, mais ces deux pays restent hostiles à la réforme.
Ces propositions sont fustigées par l'extrême droite. L'eurodéputé français Jordan Bardella (groupe Identité et démocratie), a accusé l'UE d'avoir choisi "la voie de la faiblesse et celle de l'appel d'air".