Les rebelles pro-russes l’avaient annoncé, ils l’ont fait. Les forces disparates et parfois mystérieuses de la «République populaire de Donetsk» ont lancé l’assaut sur plusieurs villes de la région, encore contrôlées par Kiev. Et samedi, c’est par un bain de sang à Marioupol que cette offensive a commencé. Cent vingt missiles Grad se sont abattus sur un quartier de ce port de la mer d’Azov. Le bilan est terrible: 30 personnes ont été tuées, 97 blessées, dont plusieurs enfants; 53 immeubles ont été touchés, 14 maisons, 4 écoles et 3 jardins d’enfants, selon les estimations du maire Oleg Kalinine.
«Il s’agit de la tragédie la plus affreuse depuis le début de la guerre», réagit le président ukrainien Petro Porochenko, adoptant dans une première adresse à la nation une position d’extrême fermeté. «Nous sommes pour la paix, mais nous acceptons le défi de l’ennemi, déclare-t-il. Nous allons défendre notre terre comme de véritables patriotes, afin d’obtenir la victoire.»
Tragique, l’attaque de Marioupol n’était peut-être qu’un écran de fumée, voilant les priorités des forces pro-russes, qui ne sont peut-être pas – encore – en mesure de prendre une ville de 450?000 habitants. Mais dimanche, alors que Petro Porochenko appelait le monde à «allumer une bougie pour pleurer les victimes de Marioupol», le rideau était en train de tomber sur Debaltsevo, plus au nord.
Dans cette ville de 25?000 habitants, péninsule loyaliste en terrain séparatiste, cela fait plusieurs jours que les ampoules n’éclairent plus, les fils électriques ayant été arrachés par les bombardements. Debaltsevo abrite plusieurs milliers de soldats ukrainiens, qui résistent et ripostent à un arc ennemi solidement planté sur les villes d’Altchevsk, Stakhanov et Gorlivka.
Ces derniers jours, la cadence de l’artillerie rebelle s’est accélérée. «Les habitants fuient en masse et ceux qui ne peuvent pas partir se terrent dans des caves», témoignait vendredi Pavel Lysianskyi, activiste du Groupe Est pour les droits de l’homme, en marchant sur un trottoir enneigé de Debaltsevo, avant la catastrophe imminente. Six personnes ont été tuées par les tirs rebelles en l’espace d’une semaine.
Dans le commissariat, dont les vitres viennent d’êtres brisées par une frappe, des dames en doudoune fourrée remplissent des formulaires, les yeux mouillés, afin d’obtenir le sauf-conduit qui leur permettra de circuler entre les lignes. «Je suis tellement fatiguée, on vit dans une voiture depuis trois jours», renifle Ludmila, quadragénaire qui rêve «que les gens arrêtent de tomber raides morts dans la rue». La population oscille entre sympathie envers les pro-russes et vague attachement à une Ukraine unie. Yevgeniy, chef du bureau de police, estime que «les gens ont peur que les séparatistes arrivent, parce qu’ils vont nous tuer».
Sur la dangereuse route d’Artemivsk, un commandant d’artillerie anticipe l’avenir proche. «Depuis le 5 septembre, nous avions tiré 3000?missiles Grad; dans les trois derniers jours, nous en avons tiré 1000. Ça donne une idée de ce qui est en train de se jouer ici.»
Dimanche matin, Petro Porochenko a convoqué un Conseil national de sécurité et de défense exceptionnel. A l’issue de la réunion, ses velléités guerrières s’émoussent. «Il n’y a pas d’alternative aux accords de paix signés à Minsk avec les séparatistes», déclare-t-il. «L’armée contrôle la totalité de la ligne de front», annonce le ministre de la Défense, Stepan Poltorak.
En langue russe, un kotel est un «chaudron» dans lequel des armées entières se retrouvent enfermées. En août, à Ilovaisk, au moins 130 combattants ukrainiens, sans doute plusieurs centaines, ont péri dans l’élimination du kotel par les séparatistes et les soldats russes. Hier, à la mi-journée, un organe séparatiste annonce que «les forces armées de la Novorossia [Nouvelle Russie] encerclent méthodiquement Debaltsevo et l’ennemi subit d’importantes pertes».
Les chars commencent à bombarder, la route glacée d’Artemivsk à Debaltsevo se ferme, tout comme les téléphones portables. Les pro-russes attaquent le poste de Sanzharivka, à 13 km de Debaltsevo. «Il y a des morts et des blessés», déclare à un site ukrainien un témoin de la 40e Brigade de l’armée. Le drame de Debaltsevo peut commencer.