Fil d'Ariane
Vêtu de son uniforme militaire, Guillaume Lenormand observe la mer d'Azov, gelée par le froid de l’hiver, sur la plage de Novoazovs’k, un bastion des rebelles pro-russes situe à 44 kilomètres de Mariupol. Difficile d’imaginer que, voici encore quelques mois, le jeune Français de 26 ans originaire de Rouen faisait ses études pour devenir professeur d’histoire dans le secondaire. Aujourd’hui, Guillaume fait partie du bataillon pro-russe Prizrak, avec lequel il a pris part à certaines des batailles les plus féroces des derniers mois.
"J'ai cru que Guillaume était mort.
“Les Ukrainiens sont là-bas, tout près”, dit-il en pointant la côte, vers Mariupol. “J’ai été bombardé quelque part par là”, ajoute le jeune homme, qui vient d’obtenir son congé de l’hôpital, et dont les mains portent toujours les traces des éclats d’obus.
“Lorsque j’ai vu Guillaume tomber, j’ai cru qu’il était mort. L’homme qui était devant lui a perdu un bras. Un autre a été touché à la tête et est mort sur le coup. Je ne pensais pas que Guillaume se relèverait”, raconte Georges “Big Doc” Muscat, un paramédical Français originaire des Hautes-Pyrénées, lui aussi blessé lors des bombardements.
Comme Guillaume et Georges, de nombreux Français ont rejoint les rangs des milices séparatistes pro-russes, dans l’Est de l’Ukraine. Animés par la foi chrétienne pour certains, par une idéologie d’extrême droite pour d’autres, ils ont quitté la France pour libérer le peuple du Donbass.
“Je suis venu ici, dans un but humanitaire. J'avais pour mission de créer une unité médicale, afin de subvenir aux besoins des civils et militaires sur la ligne de front”, explique Georges, vétéran de l’armée française à la silhouette robuste et à la barbe poivre et sel. “Entre nous, on s’appelle “résistants”, parce qu’il y a beaucoup de Français pro-russes. Quand on a su qu’il y avait cette guerre fratricide, on a décidé d’envoyer quelqu’un, en l’occurrence moi. On est de confession orthodoxe catholique et on combat avec la foi. On est là pour ça”, ajoute-t-il.
Guillaume, lui, est venu en Ukraine pour combattre. “Aujourd’hui on se bat contre un ennemi qui met en danger toutes nos valeurs et notre raison d’être. La Russie incarne pour nous une puissance de résistance qui défend ce qu’on aime, ce qu’on veut ramener en Occident et ramener en Europe, c’est-à-dire une société structurée autour de la tradition, de la famille et du patriotisme, contrairement à une société libérale basée sur l’idéal de la liberté économique et individuelle”.
“Ils nous appellent des terroristes..."
Bien qu’il soit difficile de connaître leur nombre exact, les deux hommes affirment que des dizaines de Français se battent aujourd'hui au sein des milices pro-russes. Antonio de Pedro, originaire de Vichy, et ouvertement d’extrême droite, est d’ailleurs arrivé à Novoazovs’k il y a une semaine. “Cela fait un an que j’ai ça en tête. Je trouve inadmissible qu’un gouvernement bombarde ses populations. Georges, avec qui j’étais en contact sur Internet, m’a dit de venir”, explique-t-il.
En convalescence depuis un mois, Guillaume et Georges ont l’intention de rester en Ukraine, et ce malgré l’intensification du conflit. “Ils nous appellent des terroristes, mais je crois que si les gens voyaient l’ampleur de la crise humanitaire, ils changeraient d’idée”, explique Georges, qui affirme que sa tête a été mise à prix par l’armée ukrainienne.
Pour Guillaume, les chances de retourner au combat sont cependant incertaines. Le jeune homme n’a toujours pas retrouvé l’usage complet de sa main. Selon lui, les récents cessez-le-feu sont une farce, et le combat, loin d’être terminé. “Lorsque j’étais à l’hôpital, je voyais toujours plus de blessés arriver. Ils avaient été blessés au combat. Il n’y a pas de cessez-le-feu”. Lorsqu'on l'interroge sur ses projets, étant donné ses blessures, il hausse simplement les épaules et répond en russe : “Je ne sais pas.”