Ukraine : dans l'adversité, des Ukrainiens font preuve de résilience et solidarité

Carnet de route. La capitale Kiev bombardée, nombreux sont ceux qui ont bouclé leurs bagages en laissant presque tout derrière eux. Près d’Ouman, dans la région de Tcherkassy, au sud de Kiev, une vingtaine d’Ukrainiens se sont retrouvés pour passer la nuit dans la datcha de Victoria, avant de reprendre le chemin de l’ouest. Récit de notre envoyé spécial Romain Sinnes.
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Le garçon et l'arme
Dans un appartement ukrainien, ce jeune garçon regarde un dessin animé, à côté d'une arme automatique posée sur le lit. 
Loup Bureau
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La nuit est tombée, froide. Le ciel est clair et immaculé. Seul le moteur d’un 4x4 en approche vient perturber le silence et troubler la pénombre. Au bout d’un chemin de terre qui traverse une forêt, une datcha (ndlr : maison de campagne) coquette et chaleureuse, presqu’entièrement boisée. 

Trois véhicules sont déjà stationnés dans la cour où gambadent trois chiens. Contre la façade de la bicoque, des sacs de pomme de terre et du bois coupé. « Mon petit coin de paix » tel que le considère l’hôtesse du lieu, Victoria. 

Après plus de vingt ans passés en Allemagne, en Bavière, où elle exerçait comme infirmière en réhabilitation physique, elle s’est retranchée depuis 2017 à Krasnopilka, une petite bourgade reculée, à dix kilomètres d’Ouman. Ce vendredi soir, elle abandonne temporairement la solitude et la quiétude qui lui plaient tant.

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Festin et solidarité

Sous son toit, 20 personnes qui ont fui Kiev, la capitale sévèrement bombardée dans la journée. Des mamans avec leurs enfants, des grands-mères ou simples amis. Certains se connaissent, d’autres pas du tout, mais les accolades sont franches, pleine de solidarité et de compassion. 

Dans le salon, les enfants se chamaillent sur le choix du dessin animé à regarder. La maman de Victoria dort déjà dans l’une des chambres. 

Dans la cuisine, un festin composé de salades, bortsch, vareniki et autres plats traditionnels ukrainiens ornent la table. Bières, vin, whisky, Martini accompagnent le menu. Tous partagent un verre et relâchent la pression autour de cette grande tablée improvisée dans la précipitation. 

Chez Victoria
Victoria, la propriétaire du lieu, explique à chacun où il va pouvoir dormir.
(Romain Sinnes)

« A 4h22, la chambre est devenue orange »

Anya, 32 ans, a pris la route vers midi, depuis Kiev, avec son fils de 11 ans, Ivan. Elle vit au 17ème étage d’une tour plantée dans le quartier de Pozniaky, sur la rive gauche de Kiev, celle d’où l’offensive russe est menée. « Avec mon fils, nous dormions dans la même chambre, relate la jeune mère, encore choquée. On s’est assoupi moins de deux heures avec la fenêtre ouverte pour éviter la compression en cas d’explosion. »

Bien lui en a pris. « A 4h22 précisément, une bombe est tombée juste à côté de chez nous. Toute la chambre est devenue orange. On a pris le matelas et on s’est réfugié dans le couloir pendant deux heures. »

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Le temps que son compagnon, Jenya, se réveille. Lui vit sur la rive droite du Dniepr dans l'arrondissement de Solomyanka. La veille, ils s’étaient laissés jusqu’au matin pour prendre la décision de partir ou non. « Vers 9h, il m’a appelé : « On doit partir maintenant ! », répète Anya. On a pris quelques affaires et tout descendu à pied car l’ascenseur était en panne. On l’a rejoint chez lui en voiture ».

Sur la route, ils récupèrent Elena, qui se tient prête. De chez Jenya, ils prennent la direction de Ouman. « Nous étions deux dans une Smart, avec nos affaires et trois chats », explique-t-elle. Jenya, lui, transporte sa maman Liudmila, originaire de Louhansk, et une amie de celle-ci, Nina. Nina vit depuis 22 ans en Turquie. Elle est revenue il y a une semaine à Kiev d’où elle devait repartir avec Liudmila, pour des vacances.

Des doutes et des pleurs

« On va se rendre à l’Ouest mais il nous fallait faire une étape », explique Jenya, qui s’est engagé dans un bataillon de volontaires il y a peu. Après l’offensive russe, ses frères d’armes lui ont intimé de se mettre à l’abri en raison de son inexpérience. « C’était l’endroit idéal pour s’arrêter ici. On a appelé Victoria, que je connaissais de Vassili. Elle a immédiatement accepté. C’est une femme extraordinaire. »

Vassili est le petit ami d’Elena. Jusqu’au jour de l’invasion, il assurait la traduction pour des journalistes étrangers dans la région de Donestk. 

Chez Victoria - téléphones
Au moment du repas, les discussions tournent autour du programme du lendemain. Chacun regarde régulièrement son téléphone, en attendant des nouvelles de proches.
(Romain Sinnes)

La majorité de ces déplacés comptent se réfugier à l’ouest du pays voire en Pologne. Certains envisagent de retourner à Kiev. L’ambiance alterne entre joie non feinte et stress du lendemain. Aux grands éclats de rire se succèdent des mines fermées et anxieuses. Les téléphones sonnent sans arrêt. On donne et prend des nouvelles de ses proches. Le ton monte brièvement quand le nom de Poutine est prononcé. 

Epuisés, les convives rejoignent tour à tour leurs couchettes de fortune, faites de matelas, sacs de couchage ou d’empilement de couvertures sur le sol. Tous sauf Elena qui ne peut retenir ses larmes et sort cacher sa peine. Vassili vient de lui annoncer qu’il allait partir au combat. 

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