Ukraine : de la révolution orange à l'Union eurasiatique
A Vilnius, ce 29 novembre, le président ukrainien Viktor Yanoukovitch rejetait l'offre de partenariat avec l'Union européenne. Pour des raisons "purement économiques", assurait-il. Mais au-delà des considérations matérielles, n'est-ce pas là aussi un choix de civilisation que l'Ukraine vient de faire ? Eléments de réponse avec Andreï Gratchev, politologue et ancien conseiller de Mikhaïl Gorbatchev.
Des milliers de manifestants font le siège du gouvernement au coeur de la capitale ukrainienne pour réclamer le départ de Viktor Ianoukovitch. C'est la décision du président de tourner le dos à l'Union européenne, le 29 novembre dernier, lors du sommet de Vilnius, qui a mis le feu aux poudres. Récit des dernières heures de la crise.
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02.12.2013Propos recueillis par Liliane Charrier
Comment l'Ukraine est-elle passée de la révolution orange au retour de l'influence russe ? L'Ukraine est un pays traditionnellement divisé : entre les parties Est et Ouest, orthodoxe et catholique, russophone et occidentaliste... A ces lignes de démarcation traditionnelles s'ajoutent, dernièrement, des clivages économiques. Les régions industrielles, celles qui représentent l'héritage de l'URSS, sont plus attachées à la Russie - et elles pèsent lourd dans l'économie ukrainienne. Il y a encore une autre Ukraine, plus moderne, plus dynamique, qui aspire à un rapprochement avec l'Union européenne ; ce sont les nouvelles générations qui veulent profiter de l'ouverture des frontières vers l'occident. Il y a donc plusieurs Ukraine, tiraillées entre différentes influences. Le pays est non seulement coincé entre deux réalités - russe et occidentale - mais aussi entre deux époques historiques. C'est un pays en transition, ce qui explique le mouvement de balancier de ces dernières années. La révolution orange, déjà, était déclenchée par des influences extérieures. Et puis l'Ukraine s'est confrontée à la médiocrité de la classe politique issue de ce mouvement. Il y eu une longue période de déception et de désillusion. Et puis la perspective de partenariat avec l'UE a fait renaître l'espoir.
Andreï Gratchev, journaliste, politologue et conseiller de Mikhaïl Gorbatchev de 1984 à 1991
Au-delà des intérêts économiques, quelles considérations ont pesé dans le choix de l'Ukraine à Vilnius ? Bien sûr, le poids de l'histoire et du passé communs avec la Russie, pèse dans la balance. Celui de la démographie, tout simplement, puisque la partie la plus peuplée - et développée - du pays l'est de Russes. Mais au-delà de cette réalité et des facteurs économiques, et même si l'Ukraine n'est pas une entité homogène, il ne faut pas oublier les aspirations nationales, parfois nationalistes de l'Ukraine. Elles restent très présentes dans ses relations avec la Russie, mais aussi avec l'Occident - le pays occidental le plus proche étant la Pologne. Chaque tentative de pression extérieure - comme les pressions russes en ce moment - même si elle s'appuie sur des considérations économiques rationnelles et sur une tradition culturelle et historique commune à la Russie et l'Ukraine, peut aussi provoquer une réaction quasi allergique de la part des anti-Russes. La démarche grossière, maladroite, trop directe venant de la Russie pousse les différentes factions anti-russes à s'allier pour réagir. C'est ce qui explique la situation actuelle. Au-delà de ses propres déchirures, l'Ukraine est aussi au coeur d'un conflit qui lui échappe : l'incompréhension entre l'Union européenne et la Russie. Il y a quelques années encore, la Russie et l'Union envisageaient un renforcement de la coopération stratégique. Aujourd'hui, le divorce est consommé avec le nouveau projet de Poutine : la construction de l'Union eurasiatique vers laquelle la Russie espère attirer l'Ukraine. L'Union européenne fait-elle rêver l'Ukraine ? Les Ukrainiens sont tiraillés entre la Russie et un passé qu'ils connaissent et un rêve européen porteur d'espoirs, surtout chez les jeunes. Oui, il y a encore des europtimistes, même s'ils sont surtout à l'extérieur de cette Union qui se décourage. Car dans son état actuel, l'Union européenne n'a pas grand chose à offrir à l'Ukraine - au mieux une place dans l'antichambre, où elle risquerait de rester plus longtemps encore que la Turquie. L'Ukraine a-t-elle alors sa place dans l'Union européenne ? Tout dépend de la façon dont l'Europe se perçoit elle-même. Or l'Europe doute. Elle se demande si elle n'a pas été trop vite et trop loin. Et si elle affirme vouloir intégrer l'Ukraine à son partenariat, elle le fait du bout des lèvres, comme un service minimum. On a même l'impression d'une sorte de soulagement de l'Europe face au renoncement de l'Ukraine, d'autant plus qu'elle peut en attribuer la responsabilité à la Russie.