Contre-offensive

Ukraine : la contre-offensive à l'heure des derniers réglages

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Des soldats des gardes-frontières ukrainiens participent à un exercice militaire dans le centre de l'Ukraine, le 2 mai 2023.

Des soldats des gardes-frontières ukrainiens participent à un exercice militaire dans le centre de l'Ukraine, le 2 mai 2023.

Bernat Armangue (AP)
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Alors que la contre-offensive ukrainienne annoncée se fait attendre, les évènements s'accélèrent ces derniers jours, tant sur le terrain que dans le champ médiatique. Alors que Kiev se dit presque prête à lancer les grandes manœuvres, le conflit s'apprête à entrer dans « une nouvelle phase. » 

La terre sèche et le mercure grimpe. Et avec ce dernier, la tension, à mesure que pleuvent drones et missiles en ce milieu de printemps. L’enlisement de l’hiver et l’embourbement des conquêtes russes laissent entrevoir les premiers signes d’un été sans doute très chaud pour les deux camps. La pression de la victoire et « le fusil à un coup » doivent faire transpirer les responsables à Kiev, tandis que la crainte d’être transpercée en profondeur doit donner des sueurs froides à Moscou.

Globalement cantonnés au front de l’est dans les premiers mois de l’année et à la sanglante bataille de Bakhmout toujours en cours, les événements s’accélèrent depuis quelques jours. Coups sur coups, les forces russes ont déclenché des salves de drones et de missiles sur les régions ukrainiennes. Certes, dans une proportion moins « massive » qu’aux premières heures de la campagne contre les infrastructures énergétiques à la fin de 2022, mais toujours très coûteuse en vies civiles. Mercredi 3 mai, des frappes sur un supermarché et une gare dans la ville de Kherson tuent 21 personnes et en blessent 48 autres. 

Auparavant, le 29 avril, un gigantesque incendie ravage un dépôt pétrolier dans la ville éloignée de Sébastopol, en Crimée occupée depuis 2014 et barricadée dans la perspective d’une offensive. L’œuvre de drones ukrainiens selon les responsables locaux pro-russes.  Les 1er et 2 mai, deux trains de marchandises déraillent en raison d’explosions dans la région russe de Briansk, frontalière de l’Ukraine. Faisant s’indigner Moscou qu’une vague « sans précédent » « d’actes terroristes » et de « sabotage » sévit sur son sol.

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Puis, Moscou affirme avoir déjoué une attaque présumée de drones, survenue dans la nuit du 2 au 3 mai, contre l’enceinte du Kremlin. « Une tentative d’acte terroriste et un attentat contre la vie du président », attribués « au régime de Kiev », selon les mots du Kremlin, immédiatement démentis par l’Ukraine.

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Le lendemain, le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, accuse Washington d’avoir commandité l’assaut. Et la Maison Blanche de rétorquer en qualifiant ces propos de mensonges.

(Re)voir : Guerre en Ukraine : 20.000 morts russes depuis décembre

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Fin de la « phase préparatoire » ?

Autant d’évolutions qui précèdent une « indéniable offensive ukrainienne majeure, commente Stéphane Audrand, consultant indépendant en risques internationaux. Cette année, l’Ukraine a généré une force très importante notamment sur la base des livraisons de matériels occidentaux terrestres. » Et en termes d’effectifs, une douzaine de brigades, l’équivalent de 50.000 hommes, « en bon état pour l’attaque. »  

Depuis trois ou quatre jours, se pose la question de savoir si l’on se trouve en fin de phase préparatoire ou en début de shaping. Après avoir fixé les objectifs militaires, c’est la phase d’initiation pendant laquelle on va commencer à faire des mouvements cinétiques, donc des frappes. Mais aussi, des mouvements d’intoxication, de déception, de ruse [...]

Stéphane Audrand, consultant indépendant en risques internationaux

À l’issue de quatre mois au cours desquels les unités territoriales et les réservistes ukrainiens ont fixé masses de combattants russes dans le Donbass, la phase de formation et de transformation des unités arrive à terme. De leur côté, les alliés ont acheminé « 98 % du matériel promis », a fait savoir le secrétaire général de l’Organisation de l’Atlantique nord (Otan), Jens Stoltenberg. Les Ukrainiens finalisent de les intégrer à leur arsenal aux performances hétérogènes. Et après avoir sensiblement réduit la cadence des bombardements pour cause de pénurie et d’usure, mais aussi pour constituer des stocks en vue de leur contre-offensive, ils réenclenchent les manœuvres. 

« Depuis trois ou quatre jours, se pose la question de savoir si l’on se trouve en fin de phase préparatoire ou en début de shaping (ndlr : la phase de formation ou « de modelage »), souligne le spécialiste. Après avoir fixé les objectifs militaires, c’est la phase d’initiation pendant laquelle on va commencer à faire des mouvements cinétiques, donc des frappes. Mais aussi, des mouvements d’intoxication, de déception, de ruse, qui vont permettre d’orienter le dispositif adverse sur le théâtre de la manière la plus favorable pour qu’il reçoive l’offensive de plein fouet. » Soit une période destinée à désorienter les Russes « mais de manière suffisamment subtile pour qu’on ne discerne pas encore l’axe d’attaque. » 

En l’occurrence, le ciblage lointain de dépôts logistiques ou de carburants de sorte à mettre la pression sur les arrières russes y contribue. Et selon Stéphane Audrand, la recrudescence des tirs de lance-roquettes multiple Himars fait figure d’indicateur. « Ce que je retiens le plus de ces derniers jours, ce ne sont pas les drones qui volent mais les frappes de Himars qu’on constate de nouveau. On n’en voyait plus ces derniers temps. Là, ils recommencent à frapper dans la profondeur. Cela veut dire quelque chose. »

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Tout comme les agissements russes. « Le fait qu’ils frappent aussi des dépôts ukrainiens, des cibles un peu plus militaires que d’habitude, même s’ils continuent à frapper des infrastructures civiles, induit qu’ils sont probablement dans un effet de contre. Soit pour éviter les concentrations de troupes ukrainiennes qu’ils ont repéré, soit pour amenuiser les dépôts de minutions. »

(Re)voir : Ukraine : comment les armées évoluent face aux conflits d'aujourd'hui ?

« Entre maintenant et septembre »

Le flou persiste quant à la localisation de la grande manœuvre. Mais le voile se lève doucement quant au timing du déclenchement des opérations. « Il faut qu’ils profitent de la fenêtre qu’ils ont, qui risque de ne pas être très longue, avance celui qui est officier de réserve depuis 2002. Elle correspond à la conjonction entre des conditions météorologiques et un rapport de force favorables. Les Ukrainiens doivent saisir ce bon moment entre maintenant et septembre. Politiquement et humainement, ils en ont besoin. » 

Cette période transitoire peut s’avérer plus ou moins longues, ponctuée d’épisodes plus ou moins intenses, en plus d’opérations de grignotage de positions plus favorables. Et Stéphane Audrand de présager son imminence. « Ce qui est sûr, c’est que les semaines qui viennent vont faire changer la guerre de phase. On est dans cette situation d’accélération où les adversaires vont tenter de jouer leurs différentes cartes. Cela peut durer un certain temps. De l’ordre des semaines, peut-être dix, quinze jours. Certains évoquent l’horizon du 15 mai. On se dit modestement qu’entre le 10 et le 20 mai, quelque chose va partir. »

Les développements passés confèrent à la prudence. Plus d’une fois depuis le lancement de l’invasion, les Ukrainiens et leur commandant en chef, le général Valeri Zaloujny, ont démontré leur capacité à déjouer les pronostics.

(Re)voir : Ukraine : Kiev prépare sa contre-offensive imminente

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