Fil d'Ariane
Entre Vladimir Poutine, qui déclenche une "opération militaire spéciale" - tragique euphémisme pour une guerre - contre l'Ukraine au motif qu'elle serait sous l'influence de nazis, et Volodymyr Zelensky, qui défend sur toutes les tribunes qui lui sont offertes le droit de l'Ukraine à exister et se battre face à l'agresseur russe, difficile d'imaginer un fossé plus large entre deux présidents, deux pratiques de la politique mais aussi deux conceptions de la nécessité de faire la guerre contre son voisin.
Si face à la puissance destructrice de la Russie, l'Ukraine doit en grande partie sa survie au soutien financier et en armement de ses alliés occidentaux à destination de son armée, elle la doit aussi à son président et sa politique de communication.
Zelensky tente de maintenir le soutien des Occidentaux en leur envoyant dans son discours des signaux forts, en les remerciant directement.Valentyna Dymytrova, maîtresse de conférences en sciences de l'information et de la communication à l'université Lyon 3.
Sans relâche, "Zelensky tente de maintenir le soutien des Occidentaux en leur envoyant dans son discours des signaux forts, en les remerciant directement, en soulignant que les valeurs portées par l'Ukraine constituent un socle commun avec les valeurs occidentales", souligne Valentyna Dymytrova, maîtresse de conférences en sciences de l'information et de la communication à l'université Lyon 3.
Depuis le début de la guerre, Zelensky développe ses arguments auprès des instances parlementaires des pays occidentaux, du parlement européen au Congrès américain en passant par nombres d'autres parlements nationaux européens.
Dans tous ses discours, "il y a une cohérence et une trame narrative commune que l'on peut qualifier de défense des valeurs de paix, de la vie humaine, en donnant souvent des exemples précis et crus sur les victimes. Pour simplifier cette trame, c'est en quelque sorte la lutte du bien contre le mal."
Mais la force de chacun de ses discours, c'est d'être personnalisé, de s'adapter à son auditoire pour capter son attention et susciter de l'empathie. "À chaque fois, il arrive à mobiliser à travers des références précises en rappelant des lieux de mémoire collective de ces pays, Pearl Harbor devant le Congrès américain, ou en citant des auteurs, comme Shakespeare devant le parlement britannique."
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À la 77e Assemblée générale de l'ONU, le président Zelensky a une fois de plus marqué son avantage en matière de communication en s'exprimant par visioconférence devant les chefs d'Etat du monde entier pour demander "un juste châtiment" contre la Russie de Vladimir Poutine, lui-même absent de l'enceinte onusienne. "C'est quelque chose de marquant sur le terrain de la symbolique. Zelensky a pu intervenir malgré les tentatives de la Russie de bloquer son intervention", relève la chercheuse franco-ukrainienne.
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Mais au-delà du camp occidental, le soutien international à l'Ukraine semble moins évident. Les votes de résolutions aux Nations unies ont montré des réticences notamment de certains pays du Sud, comme en Afrique, à condamner la Russie, préférant s'abstenir. C'est sans doute pour convaincre ces pays tiers que Zelensky a fait état de l'effort consenti par son pays pour envoyer une aide humanitaire à l'Ethiopie et la Somalie, durement frappées par la sécheresse et dont certaines populations sont au bord de la famine.
Dans son discours, Zelensky "a beaucoup insisté sur le fait que la paix peut être garantie par la sécurité nucléaire, énergétique, alimentaire. C'est des signaux envoyés au-delà de l'Occident, aux pays du sud surtout qui souffrent beaucoup de la crise alimentaire."
La stratégie de communication du président Zelensky est loin de s'arrêter à ces discours aux parlements ou autres tribunes politiques. Il a depuis le début développé une communication très active sur les réseaux sociaux, avec des codes simples mais efficaces. Ainsi il a troqué dès le 24 février son costume de président pour une tenue kaki militaire sans prétention.
L'air grave, il se donne aussi à voir en selfie ou en vidéo cadrée de près. "C'est une communication très maitrisée et très omniprésente car il est sur tous les réseaux sociaux possibles et imaginables même s'il a un usage plus particulier d'Instagram et de Facebook, observe Valentyna Dymytrova.
"Il a son format préféré qui marche le mieux pour lui en fonction à la fois de ses compétences et de sa carrière d'acteur : il utilise beaucoup de courtes vidéos qui permettent à ses discours de circuler dans des formats très accessibles rapidement consultables."
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Pour Valentina Dymytrova, ce n'est pas une nouveauté car Volodymyr Zelensky, ancien humoriste, vient d'un autre univers. "En 2019, sa percée un peu inattendue sur la scène politique s'est faite en partie sur les réseaux sociaux". Il peut compter sur une équipe aguerrie, renforcée même par certains transfuges de son prédécesseur le président Petro Porochenko. "On dit que Zelensky est très influencé par certains de ses conseillers, notamment Oleksiy Arestovytch, qui a aussi ses propres chaines sur les réseaux sociaux et fait figure de très bon communicant. Zelensky a aussi plusieurs plumes, dont l'identité n'a pas été révélée".
Mais il y a tout de même un revers de la médaille à cette intense activité numérique. Des critiques émergent sur les réseaux sociaux de la part de certains Ukrainiens qui lui reprochent précisément "cette omniprésence numérique perçue comme opposée à la présence sur le terrain. Occuper le terrain de la communication peut parfois paraître comme nuisible à l'occupation du terrain réel".
Cette stratégie de communication présente donc des failles. "Mais cela vient aussi de ses références, de sa culture commucationnelle qui n'est pas celle de la communication politique mais plutôt de la communication audiovisuelle et du marketing. Sa stratégie de visibilité est de provoquer un buzz, cela peut être mal vu dans l'univers de la communication politique qui est très codifié et protocolaire. Zelensky a donc dérogé à plusieurs règles dans ce domaine."
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Faut-il pour autant craindre des excès de la communication du président Zelensky, chef de guerre ? Entre stratégie de communication, acte de propagande et techniques de désinformation, n'y a-t-il pas une frontière fluctuante que le chef de l'Etat ukrainien a pu franchir ? En temps de guerre, l'Ukraine n'est pas épargnée par un phénomène souvent observé dans un tel contexte : le rétrécissement du champs médiatique.
En Ukraine, cela a pris la forme d'"une sorte de marathon informationnel qui s'appelle les "Nouvelles unies", c'est à dire que plusieurs chaînes privées et publiques travaillent ensemble pour produire les mêmes contenus. Sauf que les Nouvelles unies peuvent ausi devenir les Nouvelles uniques, en limitant l'expression de l'opposition, prévient Valentyna Dymytrova. J'ai des collègues de Kiev qui décomptent les prises de parole en fonction des forces politiques. Les députés qui prennent le plus souvent la parole sont ceux de Volodymyr Zelensky".
En ce qui concerne la désinformation, Valentyna Dymytrova dit ne pas avoir relevé de de propos tenus par Zelensky qui peuvent être considérés comme tels. Pour ce faire, il "évite les sujets glissants".
Quant à la propagande, "selon les définitions que j'utilise et qui renvoient aux travaux de Serge Tchakotine ( intellectuel russe auteur du "Viol des foules par la propagande politque) de Jacques Ellul (historien et sociologue français), la propagande s'accompagne d'un fort de degré de censure et de violence à ceux qui s'y opposent, insiste la chercheure franco-ukrainienne. Donc, dans le cas de Zelensky, on est dans le domaine de la communication politique plus que de la propagande. On n'observe pas de signes disant que ceux qui n'adhèrent pas à ses discours pourraient avoir des menaces sur leur vie ou leur travail. C'est cela la limite et la différence avec ce qui se passe en Russie."