Depuis le vote du Parlement russe autorisant le recours à l'armée en Crimée, une voix se fait entendre : celle de la Pologne. Ancien pays satellite de l'Union soviétique, longtemps en froid avec la Russie, cette voisine de l'Ukraine s'inquiète des événements en cours dans la péninsule. Entretien avec Xavier Follebouckt, chercheur à l'Université catholique de Louvain.
Le Premier ministre polonais Donald Tusk insiste sur une nécessaire réaction européenne face à la crise en Crimée (photo AFP)
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Depuis le début des tensions en Crimée, la Pologne suit de très près l'évolution de la situation. Le gouvernement de Donald Tusk fait régulièrement des déclarations à ce sujet ; l'Otan s'est réunie le 2 mars dernier à sa demande. Le pays est-il menacé à court, moyen ou long terme par ce qui se passe en Ukraine ?
Xavier Follebouckt est chercheur à l'Université catholique de Louvain (DR)
A court et moyen terme, je ne pense pas : la crise actuelle est liée au sens que prend l'Ukraine pour la politique étrangère russe. C'est-à-dire que la crise qui éclate maintenant, ce n'est pas simplement le fait que Vladimir Poutine serait impérialiste, expansionniste ou autre. C'est l'Ukraine en tant que telle, dont la Crimée, qui est visée. Elle a une signification particulière pour la Russie, sur les plans culturel, stratégique, politique et économique. La Pologne, même si elle est voisine de l'Ukraine et a des relations parfois tendues avec la Russie, n'a pas ce même statut dans son imaginaire et dans sa stratégie. A terme, on pourrait voir un raidissement encore plus fort des relations entre l'Occident, pris au sens large, et la Russie, avec une confrontation politique pouvant devenir économique, voire en partie militaire. Dans ce cas-là, la Pologne serait évidemment en première ligne, si je puis dire, puisqu'elle se trouve juste à côté, et qu'elle demanderait de nouvelles installations militaires, comme aurait pu l'être celle du bouclier anti-missiles en 2007.
A terme, la crise ukrainienne pourrait avoir des conséquences économiques pour la Pologne. Ici, la Bourse de Varsovie (photo AFP)
Alors pourquoi lancer plusieurs signes d'alerte ? Ce lundi 10 mars encore, Donald Tusk insiste sur la dépendance énergétique de l'Allemagne et de l'Europe vis-à-vis de la Russie... Attention. Il n'y a pas de menace militaire : je ne pense pas qu'on va avoir un nouveau scénario criméen en Pologne. Par contre, il y a des menaces politiques, parce que la Pologne se trouve à côté de l'Ukraine et de la Biélorussie, régions déstabilisées par ce qui se passe en ce moment. Si la tension continue et si des violences éclatent, la Pologne pourrait avoir affaire à des réfugiés. Ce n'est donc pas du tout un scénario militaire, mais politique et économique. Il faut rappeler que la Pologne a une histoire tendue avec la Russie. Ce qui fait qu'elle est souvent, au sein de l'Union européenne, à l'initiative de mesures pour diminuer l'influence qu'exerce la Russie sur l'Europe. Elle demande notamment que l'on réfléchisse de manière un peu plus profonde à la façon dont l'Europe pourrait diminuer sa dépendance envers le gaz russe. L'Allemagne est l'un des partenaires principaux de la Russie à cet égard ce qui, évidemment, crée des difficultés politiques pour l'Union européenne lorsqu'elle doit se mesurer à la Russie. L'Allemagne étant un moteur politique de l'Europe, si Berlin se sent un peu trop dépendant et préfère ménager la Russie, il ne va évidemment pas proposer une ligne ferme de la part de l'Union européenne dans son ensemble. La Pologne et d'autres, par exemple les pays baltes ou la Suède préfèrent, eux, prendre une position plus ferme, sur la question des droits de l'Homme, par exemple.
De manière générale, quelles sont les relations entre la Pologne et sa voisine ukrainienne ? Comme ce sont deux pays frontaliers, il y a du commerce, des contacts transfrontaliers et une histoire en partie commune. Pendant la guerre froide, la Pologne était un Etat satellite de l'Union soviétique à laquelle appartenait l'Ukraine. Le passage d'un Etat à l'autre était très facile. Cela crée évidemment des habitudes et des liens, et reste aussi dans la stratégie polonaise qui est d'essayer de mettre en place une véritable politique inclusive de l'Union européenne à l'égard de l'Est, entre autres parce qu'elle se sent proche de l'Ukraine.
Le Premier ministre polonais Donald Tusk et Vladimir Poutine, alors chef du gouvernement russe, déposent une gerbe de fleurs sur le site de l'accident de Smolensk, le 10 avril 2010 (photo AFP)
Et par rapport à la Russie ? Avant les événements récents en Crimée, les relations s'était-elles apaisées ? Jusqu’en 2010, c'était assez... c'était même très tendu. Ces deux Etats ont des relations assez difficiles du fait de l'Histoire. Après la guerre groide, la Pologne s'est très vite tournée vers les institutions euro-atlantiques, notamment l'Union européenne. C'était pour elle comme un moyen de tourner le dos à son passé communiste et de se protéger d'une éventuelle menace russe ou d'une résurgence de la Russie. La Pologne est aussi un des grands pays de l'Union européenne, qui veut avoir une posture la plus ferme possible par rapport à la Russie, ce qui a donné plusieurs épisodes de tension. Notamment en 2007, lorsque la Russie a mis en place un embargo sur les viandes polonaises. La même année, la Pologne a accepté d'héberger des installations pour le bouclier anti-missiles américain. Finalement, cela ne s'est pas concrétisé. Mais ça a jeté un froid. D'autant plus qu'à l'époque, le gouvernement polonais était dirigé par le parti conservateur qui était, dans son programme politique, assez anti-russe. C'est seulement à partir de 2010 et le nouveau gouvernement dirigé par Donald Tusk, que celui-ci s'est dit que ça ne servait à rien de rester antagoniste par rapport à la Russie, et qu'il valait mieux essayer de renouer des relations. Aujourd'hui, la Russie reste un partenaire incontournable pour la Pologne, comme elle l'est pour l'Union européenne. Depuis 2010, on assiste à une normalisation entre Pologne et Russie. Lorsqu'il y a eu l'accident d'avion à Smolensk (qui avait coûté la vie au président polonais, ndlr), une enquête conjointe a été organisée, les autorités russes et polonaises sont apparues assez unies dans cette histoire. Cela allait donc mieux jusqu'à cette crise en Ukraine.