Ukraine : le soutien militaire occidental est-il efficace ?

Alors que l'invasion de l'Ukraine par la Russie se poursuit, de plus en plus de pays occidentaux s'engagent à fournir des armes à Kiev. Couplé aux sanctions politiques et économiques, ce soutien sera-t-il suffisant pour peser dans la balance ? 
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Aide militaire états Unis Ukraine
Les États-Unis envoient du matériel militaire ou défensif à l'Ukraine depuis plusieurs semaines. AP/Efrem Lukatsky.
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« Nous recevons des armes, des médicaments, de la nourriture, du carburant, de l'argent. Une coalition internationale forte s'est formée pour soutenir l'Ukraine, une coalition anti-guerre », a salué le président ukrainien Volodymyr Zelensky dans une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux dimanche 27 février. 

Sur Twitter, il a remercié un par un les dirigeants des pays, de la Turquie au Royaume-Uni, qui ont montré leur « solidarité » avec l’Ukraine. Même s’ils ne déploient pas de soldats sur place, de plus en plus de pays envoient en effet des armes au pays. 

Envoi d’armes défensives, de munitions, de blindés

La République Tchèque a annoncé envoyer des armes d’une valeur de 7,6 millions d’euros, la Pologne des dizaines de milliers de munitions.  « Les pays limitrophes sont très investis : politiquement, émotionnellement, par l’ouverture des frontières etc. Ils apportent un soutien militaire très important par rapport à leurs propres moyens, même si la quantité reste limitée », décrit Samantha de Bendern, chercheuse anglaise au département Russie-Eurasie du Royal Institute of International Affairs (Chatham House, Londres).

Si l’Ukraine perd le contrôle de ses aéroports, ça sera beaucoup plus difficile de livrer des armes. L’aéroport de Kiev et l’ouest de l’Ukraine restent aux mains des Ukrainiens, donc les livraisons terrestres sont toujours possibles. Mais chaque jour qui passe, ça devient plus compliqué 

Samantha de Bendern, chercheuse anglaise au département Russie-Eurasie du Royal Institute of International Affairs (Chatham House, Londres)

Plusieurs pays avaient déjà commencé à envoyer des armes quelques semaines ou quelques mois plus tôt, après avoir hésité par peur de nourrir les tensions. C’est notamment le cas du Royaume-Uni, qui avait fourni des « armes défensives légères » ne représentant « aucune menace pour la Russie », avant que celle-ci n’envahisse l’Ukraine. Des soldats britanniques ont aussi participé à la formation des Ukrainiens. Ces mesures pourraient toutefois s'avérer insuffisantes, si les militaires ne savent pas suffisamment se servir de tout le matériel reçu, ou si les armes sont rendues inopérationnelles par le conflit. 

Un « changement d’époque » pour l'Allemagne

Samedi 26 février, le gouvernement allemand vient de son côté d'autoriser la livraison d’armes à l'Ukraine, notamment 1 400 lance-roquettes et 500 missiles sol-air, en plus de véhicules blindés et de carburant. Le pays souligne « un changement d'époque ».  La politique officielle allemande depuis la fin de la Seconde guerre mondiale interdisait en effet toute exportation d'armes létales en zone de conflit.

La Suède a pris une « décision exceptionnelle » similaire. Tout comme l'Union Européenne et cette mesure inédite :  « Pour la première fois, l'UE va financer l'achat et la livraison d'armements et d'autres équipements à un pays victime d'une guerre. C'est un tournant historique », a indiqué la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen dimanche 27 février.

Le Portugal,  les Pays-Bas, la Belgique ont également promis des armes à l’Ukraine. La France a quant à elle expédié du matériel militaire défensif. 

Les États-Unis pèsent davantage dans la balance : ils ont annoncé samedi une nouvelle aide militaire de 350 millions de dollars, portant le montant à « plus d'un milliard de dollars d'aide sécuritaire totale (...) sur l'année écoulée », selon le chef de la diplomatie Antony Blinken. Mais face à une armée aussi puissante que l’armée russe, ces dons pourraient ne pas faire la différence. 

« Cela permet de gagner du temps »

D’après Samantha de Bendern, l’Ukraine ne peut pas l’emporter militairement face à la Russie sur le long terme. De plus, « si l’Ukraine perd le contrôle de ses aéroports, ça sera beaucoup plus difficile de livrer des armes. L’aéroport de Kiev et l’ouest de l’Ukraine restent aux mains des Ukrainiens, donc les livraisons terrestres sont toujours possibles. Mais chaque jour qui passe, ça devient plus compliqué », alerte la chercheuse. 
 
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Si l’espoir est maigre d’obtenir une victoire militaire, quel rôle joue exactement ce soutien armé ? « Ce n’est pas possible pour l’Occident de laisser l’Ukraine tomber sans essayer de l’aider. Il s’agit aussi de faire comprendre aux Russes que conquérir un pays avec lequel l'Occident a des bonnes relations va être très difficile. Et cela permet aux Ukrainiens et aux Occidentaux de gagner du temps ». 

(Re)voir : Ukraine : face à l'armée russe, combien de temps peut tenir l'armée ukrainienne ? 
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Ukraine : face à l'armée russe, combien de temps peut tenir l'armée ukrainienne ?

Stratégies de dissuasion dans les pays limitrophes 

Plusieurs pays ont déjà formellement exclu l’envoi de troupes en Ukraine, pays non-membre de l’OTAN, une hypothèse inenvisageable pour l’instant. Toutefois, certains ont déployé des soldats dans les pays frontaliers. La France par exemple a annoncé l’envoi de 500 soldats en Roumanie et 200 en Estonie.

« Ils sont uniquement là pour défendre les pays de l’Otan en cas d’attaque. Il ne s’agit pas du tout de soldats qui ont l’intention de faire quoi que ce soit pour intervenir en Ukraine militairement », précise Samantha de Bendern. Une attaque contre l'un des pays membres de l'OTAN (comme les pays baltes ou la Pologne à l'est) est en effet considérée comme une attaque contre tous les autres pays, devant entraîner une réponse collective en vertu de l'article 5. L'Alliance a d'ailleurs commencé à déployer sa Force de réaction rapide jeudi 24, à titre préventif. 

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Vira Ratsiborynska, professeure à Bruxelles spécialiste de l’OTAN et de ses relations avec l’Est, évoque à ce propos la notion de « dissuasion par interdiction » (deterrence by denial). Il s’agit de rendre une action impossible, ou très difficile, pour le pays ennemi. Ainsi, en stationnant des soldats dans des États limitrophes, une éventuelle attaque russe sur leurs territoires serait périlleuse. 

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Cette stratégie complète la « dissuasion par punition » (deterrence by punishment), qui menace de sanctions ou de conséquences graves un pays qui provoquerait une attaque. L’application de cette menace recouvre par exemple les sanctions économiques et politiques adoptées ces derniers jours contre la Russie. 

Quelles autres options sont possibles ? 

Pour l’Ukraine, toutes ces mesures ne sont pas encore suffisantes. Alors que peuvent faire de plus les pays occidentaux sur le plan militaire, sans envoyer de soldats sur le terrain ? Samantha de Bendern nous a relayé certaines propositions de diplomates ukrainiens. Ils demandent par exemple une aide pour fermer leur espace aérien, et créer une « no flight zone », une zone d'exclusion aérienne. Mais selon elle, le risque de dérapage avec la Russie serait trop important pour que l’OTAN s’engage sur ce plan. 
 
Même difficulté face à la demande de fermeture des détroits du Bosphore et des Dardanelles qui permettent de quitter la Mer Noire pour la Méditerranée, pour que la flotte russe ne puisse plus s’y déplacer. Cette demande concerne surtout la Turquie, tiraillée entre ses liens avec Moscou et ses alliances avec les pays occidentaux en tant que membre de l'OTAN. Le pays a tout de même condamné à plusieurs reprises l’invasion « inacceptable » de l’Ukraine, et fourni des drones aux forces ukrainiennes.
 
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Autre option : le soutien à la cyber-sécurité, « pour protéger toute l’infrastructure informatique contre une attaque de la Russie ». « Il serait possible de neutraliser complètement l’armée ukrainienne si une grosse attaque est menée sur ces infrastructures », avertit Samantha de Bendern. « Les Américains ont des satellites très puissants qui peuvent fournir des données aux Ukrainiens sur les positionnements des forces russes. Ça peut être une aide très importante », souligne-t-elle. 
 
Vira Ratsiborynska s’attend en tous les cas à un engagement croissant des pays occidentaux si la guerre se poursuit, avec aussi une action mieux coordonnée. « La semaine prochaine sera décisive à ce niveau », appuie-t-elle. Pour Samantha de Bendern, les enjeux militaires sont déjà inédits : « l’OTAN n’a jamais été sur un pied de guerre de façon aussi dramatique qu’aujourd’hui ».