Ukraine : les terres rares, nouvel enjeu de la guerre ?

Interrogé sur la chaîne Fox News, Donald Trump a dit vouloir négocier un accès aux terres rares ukrainiennes, en échange d'un soutien militaire américain à Kiev face à Moscou. Quels avantages les deux pays pourraient en tirer ? Le journaliste Guillaume Pitron, chercheur associé à l'IRIS, et la géologue Émilie Janots, maître de conférences à l’UGA-ISTerre, répondent à nos questions.

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J&P

Émilie Janots, géologue à l’UGA-ISTerre & Guillaume Pitron, chercheur associé l'IRIS

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TV5MONDE : Quelles types de terres rares possède l'Ukraine ?

Émilie Janots : Ces terres rares étaient très peu évoquées il y a 20 ans, elles sont aujourd'hui de plus en plus connues du grand public. Les terres rares, c'est un groupe de métaux de 17 éléments bien précis sur un tableau périodique : les lanthanides, le scandium et l’yttrium.

Guillaume Pitron : Parmi les terres rares ukrainiennes, il y a du lithium par exemple, essentiel à la fabrication des batteries des véhicules électriques. Il y a le titane aussi, utilisé dans l’électronique et dans l’aérospatiale pour la fabrication des avions notamment. Il y a aussi le palladium ou le graphite. Kiev s'est déclarée comme l’un des cinq premiers pays au monde de réserves de graphite (NDLR : environ 19 millions de tonnes du minerai disponible). 

(Re)voir La guerre des métaux rares
 

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TV5MONDE : Où se trouvent ces terres rares  ?

Émilie Janots : La zone où il y a le plus de ressources rares se trouve à l'est de l'Ukraine. C'est là qu'on trouve le maximum du potentiel minier de l'Ukraine. Cependant, il faut utiliser le terme de "terres rares" avec précaution. "Terres rares" est un terme majoritairement appliqué à la Chine. Pékin a pris beaucoup d'avance sur le développement des mines et sur tous les protocoles d'extraction et de raffinerie.

Guillaume Pitron : Tous les chemins passent par Pékin ou presque, car la Chine représente 60 % de l’extraction mondiale de terres rares et plus de 90 % de la vente de produits raffinés. Le point de départ, c'est la fameuse phrase de Deng Xiaoping, l'une des figures majeures de la Chine contemporaine, en 1992 : "Le Moyen-Orient a le pétrole, la Chine a les terres rares. Tout comme le pétrole pour le Moyen-Orient, les terres rares sont de la plus haute importance stratégique pour la Chine. Nous devons en tirer avantage".

TV5MONDE : L'enjeu géopolitique de l'extraction des terres rares est donc loin d'être négligeable ? 

Guillaume Pitron : Que ce soit pour les États-Unis, comme pour l'Europe, ces ressources relèvent de la souveraineté et de l'indépendance vis-à-vis de la Chine. Pour les États-Unis, les terres rares sont le nouveau pétrole. Donald Trump s'y intéressait déjà beaucoup lors de son premier mandat. Joe Biden a poursuivi le processus. Et là, Donald Trump est revenu à la Maison Blanche plus déterminé encore, d'autant que l'Ukraine invite les puissances occidentales à investir dans ces secteurs.

TV5MONDE : Que pensez-vous du fait que Donald Trump réclame à Kiev l'accès à l'équivalent de 500 milliards de dollars de terres rares en échange du soutien américain à l'Ukraine ?

Guillaume Pitron : Du point de vue du président Zelensky, c'est sans doute une aubaine. Après, cet accord devra être solidement contractualisé pour savoir comment les gains, la valeur ajoutée et les royalties se répartissent. Pour l'Ukraine, si un accord est trouvé, c'est la garantie de constructions de routes, de sécurisation des ports et d'autres infrastructures car ces ressources, il faudra les transporter sans risques.

Les États-Unis auront à répondre à d'autres questions. Selon l'Agence internationale de l'énergie, ouvrir une mine s'étale sur au moins 16 ans. C'est donc un investissement long. Se pose alors la question du financement. Qui voudra investir dans un pays menacé par la guerre, dont la stabilité n'est pas toujours garantie ? Il faudra tenir compte de tous ces paramètres, surtout dans un secteur d'activité où la Chine, leader du marché, vend à perte pour tuer la concurrence.

Émilie Janots : Il faut ajouter que les métaux, on en a besoin pour faire la guerre, pour faire des missiles. Mais on a aussi besoin des terres rares pour la santé : de gadolinium pour l'imagerie, pour mieux détecter des maladies comme des cancers. On a besoin de métaux partout. De la transition numérique aux énergies renouvelables : le néodyme par exemple permet de fabriquer les aimants des éoliennes.