Fil d'Ariane
Fin janvier. C’est « la période la plus vraisemblable » pour l’achèvement des préparatifs russes en vue d’une « escalade d’envergure ». Signe que le torchon brûle avec vigueur avec le grand voisin, cette déclaration du ministre ukrainien de la Défense, Oleksii Reznikov, devant le Parlement, vendredi 3 décembre. Le même jour, un haut responsable américain sous couvert d'anonymat, déclarait, dans le Washington Post, que 175.000 soldats russes se préparaient à lancer une offensive dès l'an prochain.
Au même moment, le ministre ukrainien des Affaires étrangères, Dmytro Kuleba, faisait montre d’intransigeance, en marge d’une réunion de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), à Stockholm. « Je rejette cette idée que nous devrions garantir quoi que ce soit à la Russie. J’insiste : c’est la Russie qui doit garantir qu’elle ne continuera pas son agression contre aucun pays. »
Great meeting with @SecBlinken in Stockholm. We are closely working together on developing a comprehensive deterrence package, including severe economic sanctions, to demotivate Russia from further aggressive moves. We reaffirm the enduring Ukraine-U.S. strategic partnership. pic.twitter.com/ECdHnMGzSl
— Dmytro Kuleba (@DmytroKuleba) December 2, 2021
L’abandon du projet d’adhésion de l’Ukraine à l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN), un objectif inscrit dans la Constitution nationale depuis 2017, « n’est pas une option [...] Nous avons une règle d’or dans la politique étrangère ukrainienne : pas de décision sur l’Ukraine sans l’Ukraine. Si quiconque, même nos plus proches alliés, prenait une décision liée à l’Ukraine dans notre dos, nous ne reconnaîtrions pas cette décision. » Façon d’indiquer pour le chef de la diplomatie ukrainienne que son pays ne compte pas bouger d’un iota sur ce dossier, alors que les chefs de la diplomatie russe et américaine se sont entretenus sur le sujet la veille.
La Russie peut intervenir. Mais est-ce qu’elle a intérêt à le faire maintenant ? Le plus probable est que non
Florent Parmentier, secrétaire général du Cevipof
Sept ans après le début des hostilités et plus de 13.000 morts plus tard, les deux voisins sont toujours enlisés dans un conflit sur le flanc oriental de l’Ukraine. Pour la deuxième fois en 2021, la crainte d’une invasion par la Russie est évoquée.
Le 1er décembre, le secrétaire d’Etat américain, Antony Blinken, affirmait détenir des « preuves » attestant que la Russie prépare « d’importants actes agressifs contre l’Ukraine ». Il promettait par la même de lui faire payer « un prix élevé » le cas échéant. Deux jours plus tard, le président Joe Biden confiait être en train de préparer « l'ensemble d'initiatives le plus complet et le plus pertinent qui soit, pour rendre très, très difficile à M. Poutine de faire ce que les gens craignent qu'il fasse. » De son côté, le gouvernement russe nie toutes velléités offensives.
(Re)voir : Ukraine : Joe Biden veut dissuader la Russie de lancer une offensive
Car il y a un palier que le Kremlin n’a pas forcément intérêt à franchir dans l’immédiat. « La Russie peut intervenir. Mais est-ce qu’elle a intérêt à le faire maintenant ? Le plus probable est que non. Si vous pouvez obtenir le même résultat sans faire la guerre plutôt qu’en la faisant, alors pourquoi attaquer ?, note M. Parmentier. Je ne crois pas à une offensive de grande intensité dans un futur proche. Ce qui n’empêche pas une attaque dans quelques mois ou années. » Par ses agissements, la Russie chercherait plutôt à prendre la température. « On secoue l’arbre ukrainien, on regarde si des fruits comestibles en tombent et surtout si on nous laisse les manger. »
En l'état actuel, on assisterait plutôt à une opération de dissuasion conventionnelle. « Les analystes sérieux à Washington, en Russie et en Europe considèrent qu’une invasion à froid de l’Ukraine par la Russie paraît peu vraisemblable. Pour quoi faire et à quel coût ?, corrobore Arnaud Dubien. C’est une chose de défaire quelques unités ukrainiennes, c’en est une autre d’administrer les territoires. Cela paraît extrêmement compliqué. »
Jusqu'à présent, les Russes s'opposaient à l'Ukraine dans l'Otan. Désormais, ils s'opposant à l'Otan en Ukraine
Arnaud Dubien, directeur de l'Observatoire franco-russe
Et dans le cas du scénario le plus pessimiste d'une offensive russe, si le rapport de forces serait en faveur de Moscou, la suite des événements s'en trouverait hasardeuse. « L’armée ukrainienne serait balayée en quelques jours, c’est très clair, affirme le chercheur associé à l’Iris. Mais la suite l’est nettement moins, notamment pour ce qui serait du coût politique et économique d’une occupation de territoires. »
Par ailleurs, depuis que l’ennemi numéro un revendiqué par Washington s’avère être Pékin, le terrain ukrainien et, par extension européen, passe au second plan dans les préoccupations américaines. Les stratèges du Kremlin y verraient supposément une fenêtre de tir. « L’objectif aux Etats-Unis n’est plus tant d’endiguer la Russie mais plutôt la Chine. Peut-être qu’a Moscou, une opportunité est perçue. Celle de se dire qu’on ne sera pas les meilleurs amis du monde avec les Américains mais qu’on peut peut-être faire avancer nos intérêts », présume Florent Parmentier.
D’autant que l’ambition russe est désormais très lisible et devrait être réaffirmée sous peu. « Il s’agit de la sécurité européenne. Poutine souhaite des garanties très contraignantes sur le non-élargissement de l’Otan, développe M. Dubien. Jusqu’à présent, les Russes s’opposaient à l’Ukraine dans l’Otan, désormais ils s’opposent à l’Otan dans l’Ukraine. Ce qui se passe est très sérieux. On arrive au bout d’une logique d’élargissement depuis 30 ans puisqu’on arrive à la frontière russe. Or, la Russie estime que ce qu’il se passe à ses frontières concerne sa sécurité voire même, dans le cas de l’Ukraine, ses intérêts vitaux ».
(Re)voir : Méditerranée : la Russie et l'OTAN bataillent pour récupérer les débris d'un avion furtif
A l’instar de l’échange Blinken-Lavrov, les négociations pour mettre un terme au conflit concernent la Russie et les Etats-Unis. Exit les Européens, alors que les rencontres sur le « format Normandie », réunissant la Russie, l’Ukraine, l’Allemagne et la France, semblent avoir montré leur limite. « La Russie considère toujours les Européens comme des pays se rangeant instinctivement derrière les Etats-Unis, expose Florent Parmentier. Ukrainiens et Russes s’accusent mutuellement de ne pas respecter leurs engagements. L’hypothèse d’une intégration des Etats-Unis au sein de ce format a pu être évoquée lors de la rencontre entre Biden et Poutine l’été dernier mais cela n’a pour l’instant pas produit d’effets. Le fait est que qu’on a un format diplomatique qui n’est pas adapté à la situation. »
Arnaud Dubien ne dit pas autre chose. Paris et Berlin ont perdu un peu leur rôle de médiateur pour se ranger vers les positions ukrainiennes. « Les Russes considèrent que la France et l’Allemagne ne cherchent pas à faire pression sur l’Ukraine pour qu’elle fasse sa part du chemin. Dans ces conditions, on traite avec des gens dont on pense qu’ils ont de l’influence. En l’occurrence, les Etats-Unis, d’où, selon la rhétorique russe, l’Ukraine serait réellement gouvernée. »
Russes et Américains font monter les enchères avant probablement une rencontre bilatérale au plus haut niveau
Florent Parmentier, secrétaire général du Cevipof