Un an de présidence de François Hollande : chômage, croissance, déficits, où en est-on ?

François Hollande, élu il y a tout juste un an, est au plus bas dans les sondages d'opinion. Sa politique économique est mise en cause à droite comme à gauche avec un chômage historiquement haut, une récession annoncée pour 2013 et un déficit budgétaire qui repart à la hausse. Après l'analyse de Gérard Filoche, membre critique du bureau national du Parti socialiste, nous avons voulu savoir ce que pensait Philippe Aghion, conseiller à l'économie durant la campagne électorale de François Hollande et aujourd'hui pour l'Elysée.

 
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Un an de présidence de François Hollande : chômage, croissance, déficits, où en est-on ?
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Philippe Aghion : “Il faut un Etat stratège qui s'inspire des réformes structurelles des pays du nord de l'Europe“

Philippe Aghion : “Il faut un Etat stratège qui s'inspire des réformes structurelles des pays du nord de l'Europe“
La politique économique de François Hollande ne semble pas porter ses fruits : est-il temps d'arrêter la rigueur et faire de la relance comme le préconisent Gérard Filoche, socialste critique, ou encore le président du conseil italien Enrico Letta et de nombreux économistes  ?

Philippe Aghion : Non. Ma réponse est qu'il faut résolument s'engager dans la voie de l'offre : le problème de la France c'est un problème à la fois de déficit structurel et de compétitivité. Il faut donc augmenter la compétitivité de l'économie française. Il y a eu le pacte de compétitivité, qui est un premier pas, il y a eu l'accord sur l'emploi, qui est un deuxième pas. Tout ça a été bon pour la compétitivité. Mais il faut continuer de libéraliser les marchés des biens et services pour améliorer toujours notre compétitivité. Ce qui est aussi important et affecte notre compétitivité, c'est notre fiscalité. Je pense que le gouvernement doit s'engager dans les deux ans à mettre en place une fiscalité qui soit compétitive par rapport à la fiscalité des pays d'Europe du Nord.

Donc, une fiscalité plus basse ?

P.A : Oui, tout à fait. La fiscalité n'est pas tout à fait la même aux Pays-bas, en Suède, au Danemark, mais  ces systèmes fiscaux se ressemblent assez dans ces pays. C'est cette fiscalité harmonisée avec d'autres pays qui marchent bien en Europe qu'il faut mettre en place.

Pourtant, cette politique de l'offre et de libéralisation des biens et des services a été mise en œuvre un peu partout en Europe depuis des années. Cela n'a pas très bien fonctionné pour abaisser le chômage, réduire les déficits ou améliorer les règles sociales...

P.A : Ma vision, c'est que des pays comme la Suède ont fait des réformes dans les années 90, de réduction des déficits et ont mis en place un Etat stratège. Parce que l'idée n'est pas de faire une politique du rabot : il y a des postes sur lesquels on dépense trop, il faut donc réformer, réviser les missions publiques. Il y a des domaines dans lesquels ont peut beaucoup tailler dans les dépenses, puis assurer l'équilibre structurel. Par exemple celui des systèmes de retraite, de l'assurance maladie qui sont toujours en déficit structurel. Les pays du Nord comme la Suède ont équilibré ces systèmes [retraite, sécurité sociale, ndlr] et cela leur a permis d'investir dans les domaines porteurs de croissance.

Oui, mais ceux qui contestent cette approche disent qu'avec la crise financière et économique, il faudrait commencer par faire de la relance pour retrouver de la croissance et ensuite pratiquer des réformes…

P.A : La relance par la demande on sait très bien ce que ça a donné, ça a été déjà essayé, ça n'a pas d'effets durables. En 81 on l'a fait, qu'est-ce que ça a donné ? Je ne dis pas que la demande n'existe pas, ne compte pas. Je crois beaucoup dans les stabilisateurs automatiques (capacité des finances publiques à atténuer les conséquences des événements conjoncturels sur l'activité), par exemple, surtout en cas de récession. Mais le problème pour la France c'est de faire des réformes pour réduire les déficits structurels et améliorer la compétitivité, pour qu'en échange de ça, elle ait de la part des partenaires européens de l'oxygène macroéconomique : elle a déjà obtenu un répit. Elle obtiendra ainsi un échéancier plus échelonné et en même temps que les politiques d'ajustement soient corrigées pour le cycle. Les réformes structurelles vont permettre à la France à terme, de modifier sa fiscalité, de l'harmoniser avec celle des pays nord-européens et d'investir dans la croissance une fois que les effets positifs de ces réformes d'ajustements structurels se feront sentir.

Cette approche basée sur la réduction des déficits est contestée par le socialiste Gérard Filoche qui explique sur TV5MONDE que l'argent qui manque se trouve dans les paradis fiscaux puisqu'il y a entre 60 et 80 milliards d'évasion fiscale par an de France. Qu'en pensez-vous ?

P.A : Et vous allez les chercher comment ces 80 milliards ?

L'Union européenne est allée fermer les banque et chercher l'argent à Chypre...

P.A : Oui, mais ce qui signifie que les solutions sont européennes. Dans le cadre d'une action coordonnée de l'Union européenne. On ne peut pas aller à contre-courant de ce qui se fait ailleurs. L'Europe du Nord a fait le pari de la compétitivité, avec une fiscalité juste et incitative, et de la maîtrise des déficits, et ça a très bien marché.

L'Espagne, le Portugal, la Grèce, l'Italie, les Pays-bas ne sont pas très en forme, et ils ont pourtant effectué de nombreuses réformes structurelles ?

P.A :
Oui, mais ce n'est pas la même politique économique : ce qu'ont trouvé les pays nord-européens est un réformisme qui améliore la compétitivité tout en maintenant la qualité des services publics et avec une fiscalité incitative. L'Allemagne a fait des réformes un peu dans la même direction que la Suède. Il faut prendre exemple sur ces pays, qui ont des points communs, il y a des leçons à tirer. Ils ont compris qu'on ne pouvait plus conserver le vieil Etat providence, et qu'il fallait faire quelque chose de différent de Madame Thatcher. Ils ont trouvé le moyen de rentrer dans l'économie mondialisée tout en préservant leur modèle social.

Malgré les critique de tous bords, l'impopularité de la politique économique engagée par François Hollande et Jean-Marc Hayrault, ils doivent donc continuer dans ce sens selon vous ?

P.A :
Hollande a très bien compris la nécessité de cette approche: il y a eu toute la bataille du pacte de compétitivité, contre l'avis de nombreux dirigeants socialistes. C'est une dévaluation fiscale le pacte de compétitivité, par rapport à l'Allemagne puisqu'on ne peut pas dévaluer par la monnaie, l'euro. Vous réduisez les coûts des entreprises, vous produisez moins cher.

Mais les entreprises ont-elles vraiment intérêt à faire baisser le chômage ? Gérard Filoche, dans son interview à TV5Monde pense que non , que plus de flexibilité crée plus de chômeurs…

P.A :
C'est une vision socialiste archaïque. Les socialistes réformistes pensent que quand il y a des perspectives d'innovation et d'activités nouvelles, ça crée de l'emploi. Pour réduire le chômage il faut des perspectives de nouvelles activités et de l'emploi mobile. La flexisécurité danoise que Hollande met en œuvre est une idée géniale. Ca responsabilise tout le monde. Les entreprises ont des bonus-malus, vous garantissez 90% du salaire aux employés, vous les formez et vous proposez des emplois, et si ils ne les prennent pas, ça décroit. Il y a  des solutions, il suffit de s'adapter !
 

Hélène Conway-Mouret défend le bilan du président François Hollande

 

A propos de Philippe Aghion

A propos de Philippe Aghion
Economiste, il enseigne actuellement à l'université Harvard et à l'École d'économie de Paris. Ses travaux de macroéconomie ont principalement porté sur les concepts d'innovation et de croissance, grâce à l'éducation et l'intelligence, thèses qu'il a développé dans son dernier ouvrage, avec Alexandra Roulet : Repenser l'État - Pour une nouvelle social-démocratie (ed du Seuil). Il est membre du Conseil d'analyse économique (CAE). Il a fait partie de la Commission pour la libération de la croissance française, dite Commission Attali, dont le rapport a été rendu le 23 janvier 2008 au précédent président français, Nicolas Sarkozy.