Fil d'Ariane
Les chiffres sont parlants, même s'ils tendent à désincarner l'action humanitaire — et donc éminemment humaine — de SOS Méditerranée. Au total, 73 sauvetages et 24 transbordements ont permis de recueillir 13 991 personnes, dont 9 662 vies directement sauvées par les équipes de l'Aquarius. Ces sauvetages ont lieu en toute saison et sont souvent très difficiles, particulièrement en hiver.
La difficulté principale de ces opérations se situe dans la capacité des sauveteurs à calmer les personnes sur les embarcations en perdition et qui sont toujours en surnombre, dans un état de stress très élevé. Le fuel des bidons de carburant s'est souvent répandu au fond de la cale, dont les effluves intoxiquent les passagers, des vis ou des clous pour maintenir un plancher dans l'embarcation transpercent les pieds des rescapés…
Antoine Laurent, ancien officier de marine marchande et sauveteur sur l'Aquarius, explique les différentes étapes d'un sauvetage, une fois les personnes calmées :
La porte d'entrée vers les côtes italiennes est la Libye, un pays en proie au chaos et à la violence, dont les institutions sont quasiment inexistantes. Des milices armées se livrent à toutes sortes de trafics dont le commerce humain, les gardes-côtes censés arrêter les bateaux de migrants sont le plus souvent sans contrôle particulier, selon les membres de SOS Méditerranée qui expliquent la situation en des termes très crus. "Les femmes migrantes qui arrivent en Libye sont le plus souvent violées par des miliciens, et il faut savoir que de nombreux migrants n'ont pas choisi de partir vers l'Europe, ils sont le plus souvent venus travailler en Libye, rejoindre de la famille" explique Fabienne Lasalle, l'une des responsables de l'ONG.
C'est une véritable traite négrière, il faut lui redonner son nom
Fabienne Lassalle, membre du Conseil d'administration de SOS Méditerrannée
Les migrants — lorsqu'ils arrivent en Libye — sont souvent employés par des entreprises sans scrupules qui ne les payent pas, les menacent, et finissent par pratiquer des extorsions auprès de leurs familles restées dans le pays d'origine, pour payer un passage vers l'Europe. "C'est un système organisé, où la famille, basée par exemple au Sénégal, est appelée par des employeurs ou des miliciens libyens, pour qu'elle envoie de l'argent, avec des menaces. Puis ensuite, quand l'argent arrive, il est réparti entre ceux qui ont mené l'opération et le passeur. C'est devenu un véritable marché en Libye, le deuxième le plus lucratif après le pétrole" renchérit Antoine Laurent.
SOS Méditerranée dénonce en réalité un véritable commerce d'êtres humains, très organisé, avec des camps de rétention, de la torture, et qui perdure sans qu'aucune autorité, d'un côté de la Méditerranée ou de l'autre, ne le dénonce ou tente de le stopper. Fabienne Lasalle parle de "traite négrière", qui traverse une vaste région de l'Afrique, pour "finir" en Libye :