Un an de sauvetages de migrants : les terribles constats d'Aquarius

Aquarius, le navire de l'ONG SOS Méditerranée a effectué son premier sauvetage de migrants le 7 mars 2016. Un an après, des responsables de l'organisation font le bilan de cette opération humanitaire. Des constats très éloignés des poncifs sur la migration économique à destination de l'Europe.
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Aquarius
©SOS Méditerranée
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Ils sont trois membres de SOS Méditerranée autour de la table du café d'un hôtel parisien à attendre les journalistes invités à cette conférence de presse organisée pour présenter le "bilan d'Aquarius", ce navire qui sauve depuis un an des milliers de personnes entassées sur des embarcations de fortune à destination des côtes italiennes. L'actualité politique du moment est visiblement trop prenante, puisque nous ne sommes que trois journalistes à nous être présentés. Cette opération humanitaire — qui évite une mort quasi certaine à des milliers de personnes en perdition en mer — ne semble pas de première importance dans l'agenda médiatique et politique français. Le sujet est pourtant de premier plan, tant d'un point de vue humanitaire que politique.

9 660 vies sauvées… dans une quasi indifférence

Les chiffres sont parlants, même s'ils tendent à désincarner l'action humanitaire — et donc éminemment humaine — de SOS Méditerranée. Au total, 73 sauvetages et 24 transbordements ont permis de recueillir 13 991 personnes, dont 9 662 vies directement sauvées par les équipes de l'Aquarius. Ces sauvetages ont lieu en toute saison et sont souvent très difficiles, particulièrement en hiver.


La difficulté principale de ces opérations se situe dans la capacité des sauveteurs à calmer les personnes sur les embarcations en perdition et qui sont toujours en surnombre, dans un état de stress très élevé. Le fuel des bidons de carburant s'est souvent répandu au fond de la cale, dont les effluves intoxiquent les passagers, des vis ou des clous pour maintenir un plancher dans l'embarcation transpercent les pieds des rescapés… 

Antoine Laurent, ancien officier de marine marchande et sauveteur sur l'Aquarius, explique les différentes étapes d'un sauvetage, une fois les personnes calmées :
 

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Esclavage en Libye

La porte d'entrée vers les côtes italiennes est la Libye, un pays en proie au chaos et à la violence, dont les institutions sont quasiment inexistantes. Des milices armées se livrent à toutes sortes de trafics dont le commerce humain, les gardes-côtes censés arrêter les bateaux de migrants sont le plus souvent sans contrôle particulier, selon les membres de SOS Méditerranée qui expliquent la situation en des termes très crus. "Les femmes migrantes qui arrivent en Libye sont le plus souvent violées par des miliciens, et il faut savoir que de nombreux migrants n'ont pas choisi de partir vers l'Europe, ils sont le plus souvent venus travailler en Libye, rejoindre de la famille" explique Fabienne Lasalle, l'une des responsables de l'ONG.


C'est une véritable traite négrière, il faut lui redonner son nom
Fabienne Lassalle, membre du Conseil d'administration de SOS Méditerrannée

Les migrants — lorsqu'ils arrivent en Libye — sont souvent employés par des entreprises sans scrupules qui ne les payent pas, les menacent, et finissent par pratiquer des extorsions auprès de leurs familles restées dans le pays d'origine, pour payer un passage vers l'Europe. "C'est un système organisé, où la famille, basée par exemple au Sénégal, est appelée par des employeurs ou des miliciens libyens, pour qu'elle envoie de l'argent, avec des menaces. Puis ensuite, quand l'argent arrive, il est réparti entre ceux qui ont mené l'opération et le passeur. C'est devenu un véritable marché en Libye, le deuxième le plus lucratif après le pétrole" renchérit Antoine Laurent.

SOS Méditerranée dénonce en réalité un véritable commerce d'êtres humains, très organisé, avec des camps de rétention, de la torture, et qui perdure sans qu'aucune autorité, d'un côté de la Méditerranée ou de l'autre, ne le dénonce ou tente de le stopper. Fabienne Lasalle parle de "traite négrière", qui traverse une vaste région de l'Afrique, pour "finir" en Libye :

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Solidarité française de la société civile

Si l'organisation européenne Frontex participe à coordonner de nombreux sauvetages, elle ne peut parvenir au sauvetage de tous les migrants en perdition. Le travail d'Aquarius est donc devenu indispensable. Il est financé à 71% par des dons de particuliers, 25% par des entreprises et seulement 4% par des fonds publics. 80% des dons sont d'origine française et Fabienne Lassalle tient à mettre en avant cette générosité, qui n'est pas assez médiatisée selon elle : "On ne parle que des Français inquiets qui veulent empêcher l'arrivée de migrants, mais on oublie tous ceux qui soutiennent notre action, viennent aux conférences, sont touchés par ce drame et veulent aider à notre action humanitaire. C'est dommage que l'on laisse croire que personne ou presque en France ne se soucie de ces gens ou pense qu'il ne faut pas les aider."

Aquarius demande 11 000€ par jour pour fonctionner. L'association a renouvelé son partenariat avec Médecins sans frontières et dispose, en 2017, de seulement 3 mois de trésorerie d'avance. Depuis le premier janvier 2017, plus de 2000 personnes en perdition en Méditerranée ont été sauvés de la mort.

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