A l’occasion de la Semaine mondiale d’action de la Campagne mondiale pour l’éducation qui vient de s’achever, des acteurs de l’éducation - notamment des pays francophones les plus vulnérables - se sont réunis à Paris pour trouver les moyens de financer durablement l’éducation. La peur de voir grandir des millions d’enfants sans opportunités devrait être un véritable moteur, selon des experts.
En 2030, le nombre d’enfants à scolariser aura augmenté de 619 millions (+50%), dont 444 millions pour la seule Afrique subsaharienne, selon l’Unicef. Si, depuis 2009, le nombre d’élèves ne cesse de croître, les fonds pour une éducation digne ne font que baisser - en 2014, l’aide mondiale a régressé de 7 milliards de dollars.
Pour assombrir le tableau,
l’Unesco indique que le secteur de l’éducation accuse un déficit de 39, 5 milliards de dollars par an. Paradoxalement, l’aide au développement augmente. Les grandes instances internationales, ainsi que nos élus, s’accordent à dire que l’éducation est essentielle. Alors pourquoi peine-t-on à trouver quelques milliards d’euros pour la financer ?
La corruption et l’injustice fiscale en seraient les principales causes, selon la secrétaire générale de la
Campagne mondiale pour l’éducation, Monique Fouilloux. Et à juste titre. Les récentes révélations des
Paname Papers, qui embarrassent chefs d’Etat et hauts fonctionnaires, montrent que ce déficit annuel serait vite résorbé si l’évasion fiscale était enrayée. Mais c’est surtout le désintérêt mondial pour cette cause qui empêche des millions d’élèves d'achever leur scolarité.
« L’éducation, tout le monde s’en fout », résume
Jean-Michel Severino, ancien directeur du développement au ministère français de la Coopération. Egalement ancien directeur général de l’Agence française du développement, il fustige les discours politiques qu’il entend depuis quinze ans :
« Ils sont tous très enthousiastes. Mais après, il n’y a aucune suite, sauf peut-être des politiques publiques désastreuses ».
Il fait référence à la mauvaise gestion des ressources. Tous les pays investissent des sommes tout à fait louables dans l’éducation supérieure et dans les bourses, mais délaissent le secondaire, tout comme la formation des enseignants. Même chose quand il s’agit de l’aide au développement.
Le Sénégal, un exemple mais…
Le Sénégal est un cas d’école. Selon les chiffres de l’Unicef, le pays affecte
plus de 5% de son PIB à l’éducation. Un pourcentage très encourageant, surtout par rapport aux pays voisins.
« Malgré ces investissements, nous ne sommes pas performants », se désole Cheikh Mbow, enseignant et coordinateur national de la
Coalition des Organisations en Synergie pour la défense de l’Education publique au Sénégal. Et de poursuivre :
« Nous avons mené des enquêtes indépendantes qui montrent que l’argent ne va pas où il devrait aller ». Cela se confirme surtout quand il s’agit de l’exécution des budgets locaux. Concrètement, même quand les moyens existent, des milliers d’élèves restent sur le carreau.
« Car le secteur de l’éducation n’a pas su s’organiser. Résultat : personne n’a peur du manque d’éducation. Pourtant il faut avoir peur. Boko Haram se nourrit de l’ignorance. On peut dire la même chose de tous les mouvements extrémistes. La migration est aussi le résultat du manque d’opportunités lié au déficit d’éducation. Où est le lobby qui pousse les Etats à agir ? », se demande Jean-Michel Severino qui n’évoque pas ces lobbies par hasard.
Il soutient la création d’un fonds mondial pour l’éducation semblable à celui qui existe pour la santé.
The global fund - fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme - est né en 2002 pour
« recueillir, gérer et distribuer des ressources par le biais d’une fondation publique-privée » afin de combattre les épidémies en commençant par les pays les plus pauvres.
Celui-ci estime que « plus d'1,8 million de vies ont été sauvées pendant les cinq premières années de sa création ».
« Si ça marche c’est parque les gouvernements ont eu la trouille des maladies transmissibles. Derrière, on trouve les compagnies pharmaceutiques, qui ont tout intérêt à ce que la santé soit une priorité», rappelle-t-il. Les Etats achètent les médicaments grâce aux donations du fonds. L’argent du contribuable vient compléter la somme.
Forcer les Etats à prendre leurs responsabilités
Cette idée d’un fonds mondial est portée par une sommité des institutions internationales :
Jeffrey Sachs. L’économiste américain, professeur à l’université de Columbia de New York, doit passer pour un effroyable gauchiste dans son pays :
« je veux taxer tous mes voisins, vraiment les taxer ! » annonce-t-il
Ses voisins, qui ne payent presque pas de taxes, sont des milliardaires de Manhattan. Mais son plan de bataille est bien plus vaste. Démonstration :
« Un enseignant coûte environ 8000 dollars par an pour 32 étudiants. Selon les règles de macro économie, il faut investir 4% du PIB dans l’éducation. Un pays du Sahel francophone qui a 32 dollars par personne par an pour l’éducation ne peut pas s’en sortir. Un pays qui a besoin de 250 dollars par élève et n’en a que 90, comme le Tchad, ne peut pas financer son système d’éducation. On a donc besoin de la solidarité internationale pour répondre aux besoins de 240 millions de jeunes en âge d’être scolarisés dans les pays les plus pauvres. Nous avons besoin de 23 milliards supplémentaires par an pour que le Burkina ou encore la Côte d’Ivoire puissent scolariser correctement leurs enfants. Dans ces deux derniers, à peine la moitié des enfants qui devraient aller à l’école le peuvent ». Les milliards de Bill Gates
Où trouver ces 23 milliards ?
« Cela ne devrait pas représenter un immense effort, ironise-t-il.
Mon pays a dépensé des millions de milliards d’euros dans des guerres. De l’argent, il y en a ! Je le sais car j’ai levé des milliards [en tant que conseiller auprès de l’OMS]
pour la santé. Il faut commencer par les Etats-Unis. L’Europe doit demander à Washington de donner 5 milliards de dollars par an. Mon pays ne peut pas dépenser une fortune dans des campagnes militaires, créer des années plus tard une crise des réfugiés et ne pas contribuer après. » 40 millions d'enfants et d'adolescents sont privés d'éducation à cause des conflits.
Et de poursuivre :
« On demandera à la France, l’Allemagne, et au Royaume-Uni un milliard. La Scandinavie, les pays du Golfe, la Chine, la Corée du Sud, le Japon, la Banque mondiale et les banques régionales prendront le reste. C’est complètement réaliste. Pour y arriver nous avons besoin d’un fonds mondial, parce que des gens comme Bill Gates sont déjà prêts à investir 4 milliards dans l’éducation. Nous devons aller chercher Warren Buffet ou Carlos Slim ».
En tant que conseiller spécial du Secrétaire général des Nations unies et Président du conseil consultatif du Rapport mondial de suivi sur l’éducation, son message est entendu. Les grands de ce monde sont-ils prêts à suivre sa recommandation ? Peut-être. L’ancien Premier ministre anglais, Gordon Brown, préside en ce moment la toute récente
Commission pour le financement de l’éducation mondiale de l’ONU. Si les planètes sont alignées, les illustres membres de cette commission pourraient aboutir aux mêmes conclusions.
On ne peut pas leur dire d’arrêter d’être corrompus Jeffrey Sachs Les contours de ce fonds sont loin d’être dessinés, mais le fougueux professeur Sachs estime que ce sont les Etats qui doivent monter des projets ambitieux, les présenter aux dirigeants de cette institution et se faire financer uniquement si cela tient la route. Ensuite, ces mêmes Etats seront contrôlés avec sévérité.
« On ne peut pas leur dire d’arrêter d’être corrompus. Il faut mettre en place des mécanismes qui empêchent tout détournement », assène-t-il en fustigeant les usages existants. Les organismes internationaux vont vers les Etats. Le conseiller spécial propose d’inverser la tendance.
En attendant, les experts de l’éducation se penchent sur la difficile articulation du privé et du public, car les fonds dont on parle sont destinés à garantir une éducation gratuite, publique et universelle. De leur côté, des consortiums internationaux se spécialisent déjà dans la vente de l’éducation.
« On voit surtout des phénomènes de quasi marché apparaître », s’alarme
l’Organisation internationale de la francophonie (OIF).
Contrer l’emprise du privé s’ajoute aux défis spécifiques à l’espace francophone. Administrateur de l’Organisation internationale de la francophonie, Adama Ouane invite à «
tenir compte de leurs spécificités linguistiques et culturelles et à les inclure tant que possible dans tous les mécanismes de dialogue et de consultation ».
Comprenez, la francophonie veut avoir son mot à dire dans ce futur ordre mondial de l’éducation… s’il arrive à se mettre en place.