Fil d'Ariane
Même la reine Elisabeth II a reçu un courrier diplomatique. C’est peu dire que la Serbie a tout tenté pour empêcher que le Conseil de sécurité de l’ONU, à New York, entame des débats pour «tirer les leçons» sur ce qui s’est passé, il y a vingt ans, dans l’enclave musulmane de Srebrenica.
Mais Sa Gracieuse majesté n’y a rien pu. La Grande-Bretagne semblait décidée, mardi, à faire adopter sa résolution. Un texte qui, non seulement qualifie de «génocide» le massacre systématique de plus de 8000 Bosniaques par des milices serbes en 1995, mais qui s’en prend aussi vertement à tous ceux qui «nient» la réalité de ce génocide, jamais reconnu par les autorités serbes.
Ce «prétendu génocide» est un mensonge, répondait encore récemment Milorad Dodik, le président de la Republika Srpska (RS), l’entité serbe de Bosnie, qui fait corps avec Belgrade.
Reconnu comme tel par le Tribunal international chargé de sanctionner les crimes commis en ex-Yougoslavie, le «génocide de Srebrenica» reste une plaie ouverte au cœur de l’Europe. Rendu possible par la sauvagerie des milices serbes – mais aussi par la passivité de la «communauté internationale», qui ne leva pas le petit doigt pour assurer la sécurité de ceux qui s’étaient réfugiés dans cette «zone protégée» de l’ONU – Srebrenica est la honte d’une génération d’Européens.
Ces circonstances traversent de part en part le texte soumis à l’ONU par la Grande-Bretagne qui insiste sur les moyens de prévenir, à l’avenir, la répétition de tels faits. En réalité, voilà des mois que ce projet de résolution circule, et qu’il a été amendé pour tenir compte des réticences de la Serbie. A tel point que le texte dont le Conseil de sécurité devait débattre mardi constitue la… sixième version successive.
Belgrade n’a pas seulement eu recours à la reine d’Angleterre. Il a aussi sollicité son allié russe qui, au terme de tractations sans fin, a renoncé à présenter son propre contre-projet, mais qui menaçait toujours mardi d’opposer son veto au texte débattu.
A qui mieux mieux, les dirigeants serbes se sont emportés contre ce texte qui, disent-ils, pourrait «déstabiliser toute la région». Le premier ministre Aleksandar Vucic se faisait plus clair encore: «Nous savons comment protéger la Serbie», disait-il lundi. «N’essayez pas de nous humilier parce que nous sommes Serbes et parce que nous avons vaillamment combattu pour défendre notre liberté.»
Entre les lignes, la crainte des dirigeants serbes – qui sont tous peu ou prou issus des milieux ultra-nationalistes – semble claire: la résurgence de ce débat sur le caractère génocidaire des massacres commis à Srebrenica, redoutent-ils, serait de nature à compromettre la légitimité de la Republika Srpska, cette entité étrange issue des accords de Dayton, qui mirent fin à la guerre en décembre 1995.
Mais paradoxalement, ce ne sont pas seulement les Serbes qui démolissent la tentative de rattrapage de la Grande-Bretagne. «Une résolution sur le génocide? Et à quoi peut-elle bien nous servir?, s’étrangle au téléphone à Srebrenica Muhizin Omerovic. Concrètement, qu’est-ce que cela va changer pour nous?»
Muhizin Omerovic est l’un des organisateurs de la marche qui, chaque année, commémore la fuite dans la forêt des survivants de Srebrenica. Cette année, il attend dix mille participants, qui rejoindront ensuite les chefs d’Etat qui viendront célébrer le vingtième anniversaire du génocide, samedi prochain. «C’est peut-être un traumatisme de la guerre, mais nous nous méfions de tout», tempère l’homme, qui a vécu en Suisse en tant que réfugié, au début des années 2000. Il s’enflamme à nouveau: «Nous vivons dans un monstre constitutionnel [la Bosnie créée par les accords de Dayton, ndlr] où les haines et les idéologies restent les mêmes. La guerre pourrait tout aussi bien recommencer demain. Nous n’avons pas besoin de textes qui affichent le sentiment de culpabilité de l’Occident mais de mesures concrètes, pour que nous puissions nous sentir en sécurité afin de nous dessiner un avenir.»
Dans sa version initiale, le texte britannique mentionnait 35 fois le terme de «génocide». Des dirigeants russes s’en sont gaussés, prétendant qu’il s’agissait là d’un moyen pour Londres de faire les yeux doux aux pays arabes, aux dépens du monde orthodoxe. «Nous savions que notre tâche serait difficile», commentait sur son blog l’ambassadeur britannique en Bosnie, Edward Ferguson. En affichant son souhait que cette démarche puisse contribuer à la «réconciliation» entre les ex-ennemis yougoslaves.