Les forces de l'ordre turques évacuent la place Taksim à coups de gaz lacrymogènes et de canons à haut, mais les manifestants ne semblent pourtant pas près de céder. Quel est ce mouvement qui prend de l'ampleur et refuse de s'arrêter face à la violence policière ? Entretien avec Miné Kirikkanat, journaliste turque tout juste revenue de la place Taksim.
Des manifestants provocateurs équipés de masques à gaz et guidés par un homme tenant un Talkie-walkie…
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Miné Kirikkanat
Que se passe-t-il en ce moment place Taksim ?
Ce matin il y a eu une intervention policière causée par des provocateurs de la police qui ont infiltré les manifestants. On a vu aussi hier des drapeaux de partis politiques d'extrême gauche qui n'ont rien à voir avec les manifestants. C'est une récupération de la part de groupuscule qui n'ont rien à voir avec les revendications des manifestations. Il y avait hier soir énormément de marchands ambulants, de nourriture. Des bruits ont couru que la moitié de ces marchands étaient des agents de la police. Nous avons une vidéo qui a été distribuée sur Twitter qui laisse penser que des mercenaires syriens ont été embauchés par la police turque. Il y a des informations qui disent que des mercenaires arabes sont présents, peut-être le Hezbollah…
Mais qui sont les manifestants dans leur grande majorité ?
Il y a des musiciens, des peintres, des sculpteurs, plein d'artistes, des noms illustres et beaucoup de jeunes. Cette jeunesse avait une dizaine d'années quand l'AKP est passée au pouvoir. Ils n'en ont rien à faire de la politique de la Turquie et de la géopolitique, mais au moment où ils sont arrivés à l'âge de s'amuser, profiter de leur jeunesse, ils ont eu l'AKP. L'un d'eux a twitté "Le monde a 6 milliards d'années, je n'ai que 18 ans, et je suis tombé au moment où l'AKP est au pouvoir…"
Tout ça fait penser à mai 68 en France, non ?
Absolument ! En 1968 la France était riche, il y avait de l'argent à partager, mais les mœurs étaient serrés, et il y avait le Général De Gaulle qui représentait un conservatisme que les jeunes récusaient.
Erdogan ne semble pas comprendre ce qu'il se passe ?
Il faut savoir que le premier ministre est un imam, il est donc bloqué idéologiquement par la religion, il a aussi fait de petites études dans une école de commerce, c'est un homme intelligent et les manifestants ne contestent pas sa légitimité, mais il a pété les plombs ! Cette jeunesse dénonce le bétonnage d'Istanbul, et il leur refuse toute possibilité de négocier la destruction des arbres et la construction de cette caserne place Taksim. De plus Erdogan est malade physiquement et selon CNBC.com le chantier de la construction de cette caserne a été promis au gendre d'Erdogan. Ce gendre est le dirigeant du groupe de médias SABAH, qu'il a racheté, aidé par Erdogan. Nous sommes aussi devant un clan de corrompus au pouvoir.
Que vont faire les manifestants selon vous ?
Ils demandent des choses très simples : être consultés avant que l'on chamboule le visage de leur ville. Que les lois qui sont tombées en une semaine sur l'alcool soient stoppées, cette semaine où les jeunes ont été aussi traités de soulards par Erdogan, avec des fausses accusations de jeunes buvant de l'alcool dans une mosquée. Ces jeunes manifestants vont continuer à résister pacifiquement, parce que si ils résistent physiquement la police les tuera. Mais ils n'abandonneront pas, j'en suis certaine.