Fil d'Ariane
Le 14 septembre 2016, le rachat du géant agro-industriel Monsanto par l'Allemand Bayer était officialisé. Aujourd'hui, la firme américaine se retrouve convoquée à La Haye devant une juridiction dédiée, le « Tribunal Monsanto ». Il ouvre officiellement ses portes ce vendredi 14 octobre, les audiences se déroulant les 15 et 16 octobre 2016.
Ce tribunal se tient à La Haye, siège de la Cour pénale internationale (CPI) et de la Cour internationale de justice. Il doit réunir cinq juges issus de différents continents, respecter les opinions contradictoires et émettre des avis juridiques, soit autant de points communs avec les instances juridiques internationales. La comparaison s'arrête là.
Corinne Lepage sur@ TV5MONDE : "des témoignages extraordinaires du monde entier" au Tribunal Monsanto @corinnelepage https://t.co/RPOLaKn0CU pic.twitter.com/4i85boq5mP
— TV5MONDE Info (@TV5MONDEINFO) October 16, 2016
D'après les recherches de Valérie Cabanes, la première mention de la mention de crime d'écocide remonte à 1966. C'est un biologiste qui l'aurait alors employée pour décrire les effets de l'agent orange pendant la guerre du Vietnam. Sa prise en compte est par la suite discutée, puis rejetée, lors de l'élaboration du statut de Rome qui régit la Cour pénale internationale.
Mais en septembre dernier, la CPI publie un Document de politique générale relatif à la sélection et à la hiérarchisation des affaires. Il indique : « Le Bureau (du procureur, nclr) s'intéressera particulièrement aux crimes visés au Statut de Rome impliquant ou entraînant, entre autres, des ravages écologiques, l’exploitation illicite de ressources naturelles ou l’expropriation illicite de terrains. » Valérie Cabanes salue une avancée : « Il sera possible de regarder qui sont les responsables, même s'ils sont à la tête de personnalités morales privées. Car aujourd'hui, seuls les chefs de guerre ou d'État peuvent être jugés. »
En l'état actuel, certains crimes de guerre ou contre l'humanité peuvent s'apparenter à un crime d'écocide. C'est en principe le cas de l'emploi de l'agent orange, exprime Catherine Le Bris. Mais le Statut de Rome ne le reconnaît pas en tant que tel, ne permettant pas de le considérer individuellement. De son côté, la Cour de justice internationale a été saisie en 2008 d'une affaire d'épandage aérien d'herbicide, à la frontière entre l'Équateur et la Colombie, rappelle la chercheuse. Celle-ci a été classée en 2013 après qu'un accord a été trouvé entre les deux pays.
Elle note qu'en cas de reconnaissance par la justice internationale, le crime d'écocide devrait concerner les infractions les plus graves. « Il faudrait un caractère exceptionnel. Et, donc, réussir à définir ce critère de gravité pour préciser quel type d'acte peut entrer dans ce crime. » Les actes matériels entrant dans le champ de ce crime devraient également être déterminés, explique-t-elle.
La marraine de ce tribunal n'est autre que la journaliste Marie-Monique Robin, auteure du best-seller Le monde selon Monsanto : le film a été diffusé sur une cinquantaine de chaînes internationales et le livre a été traduit en 22 langues, y compris aux États Unis.
Les législations d'une dizaine de pays le reconnaissent pour l'instant. C'est le cas du Vietnam, pour des raisons historique, de la Russie et d'États d'ex-URSS. En Amérique du Sud, l'Équateur et la Bolivie permettent de porter la nature en justice, précise Valérie Cabanes.
Pour les promoteurs de sa reconnaissance à l'échelle internationale, le Tribunal Monsanto doit permettre de légitimer leur démarche. En plus d'attirer l'attention sur les possibles dérives de l'industrie agrochimique, cela pourrait aussi dissuader des transnationales de recourir au greenwashing, du fait de sa dénonciation publique par ce type d'initiative, analyse Catherine Le Bris. En tout état de cause, poursuit-elle, « pour réformer le statut de la CPI, il faudrait l'accord des États qui y participent. Ce tribunal peut permettre d'y préparer les esprits ». Les juges doivent rendre leur avis vers le 10 décembre, journée internationale des droits de l'Homme.
► Lire notre article : Criminaliser la pollution, une utopie ?