Les sièges de la Russie à l'Organisation Mondiale du Commerce à Genève / Photo AFP Fabrice Coffrini
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La Russie est devenue le 22 août le 156e membre de l'Organisation Mondiale du Commerce après 18 ans d'attente. Son adhésion met en lumière les enjeux de cette institution internationale. Décryptage de Patrick Messerlin, docteur en sciences économiques et professeur à Science Po Paris.
Patrick Messerlin
La Russie vient d’entrer à l’Organisation Mondiale du Commerce après 18 longues années de négociations ? Pourquoi son adhésion a-t-elle pris autant de temps ? Patrick Messerlin : Deux raisons. La première c’était la détermination des Russes. Ils n’étaient pas très enthousiastes à l’idée d’adhérer à l’OMC. Ils voyaient bien les autres pays y compris la Chine adhérer à l’OMC. Mais ils ont mis beaucoup de temps à se convaincre que l’adhésion pouvait être intéressante pour eux. Deuxièmement, quand vous adhérez, vous passez un examen. On exige de vous un certain nombre de conditions. Le candidat est bien sûr en situation d’infériorité. On a imposé des conditions à la Russie qui sont moins difficiles que celles que l’on a imposé à la Chine. Mais représentent tout de même pour les Russes, s'ils appliquent les conditions, un réel changement de leur politique commerciale qui n’était pas du tout ouvert contrairement à la Chine. Quelles sont ces conditions imposées aux pays qui souhaitent devenir membre de l’OMC ? On discute déjà les droits de douanes pour pousser vers une certaine libéralisation du pays. Ensuite, on va demander de consolider les droits de douanes. C’est-à-dire que la Russie par exemple ne va plus pouvoir remonter les droits de douanes le jour où ça lui plait. Les trois dernières années les Russes étaient devenus les plus beaux sportifs en la matière. Ils remontaient les droits de douane allègrement pour les rabaisser six mois plus tard. Ils n’avaient pas du tout cette notion de plafond, d’une discipline que l’on ne peut pas déplacer. Et ça c’est très important dans l’OMC. Et en plus du droit de douane, il y a aussi le choix des marchés publics, les services que vous allez ouvrir, les règles des investissements que vous avez chez vous. Est-ce qu’elles sont discriminatoires ou non-discriminatoires ? Tout ceci est repassé en revue lors de discussions entre l’État qui veut adhérer et les États membres. Le pays candidats négocient avec ses principaux partenaires. commerciaux La Russie étant un très grand pays, beaucoup de pays ont des contacts importants avec la Russie [l’Union européenne est le premier partenaire commercial de la Russie, ndlr]. Donc il y a d’abord des négociations bilatérales. Ce sont des négociations bilatérales consolidées ensuite pour l’ensemble des pays qui font face à la Russie. C’est la clause de la « nation la plus favorisée ». Le partenaire de la Russie ayant obtenu le meilleur accord sur un sujet particulier en fait bénéficier tous les autres partenaires.
Les douanes de Los Angeles / Photos AFP
Ces négociations bilatérales pourraient se faire hors de l’OMC, quels sont donc les avantages des pays à faire partie de cette institution ? D’abord c’est non discriminatoire. A la fin de ce processus, la Russie s’est ouverte de la même façon à tous les pays du monde. Ça ne veut pas dire que c’est le même droit de douane pour tous les produits. Mais tout le monde a le même droit de douane pour chaque produit. Pour chaque type d’investissement tous les partenaires ont les mêmes règles. Maintenant, la Russie fait face à une politique de droit de douane fermée, consolidée. Elle se met au niveau des autres. Le pays obtient les mêmes conditions d’entrée sur tous les marchés du monde et bénéficie d'une sécurité juridique avec "la consolidation". ça c’est un point essentiel. C’est-à-dire que toutes les concessions faites par l’UE et les États-Unis par exemple à la demande des Russes, on dit qu’elles sont « consolidées » dans le jargon OMC. Plus personne ne peut plus revenir dessus. Elles sont données une fois pour toute en matière de droit de douane. Le véritable avantage de l’OMC et c’est le plus important : c’est la sécurisation. Pour les chefs d’entreprise, si les conditions ne sont pas bonnes mais sûres, c’est au moins aussi important que les conditions bonnes aujourd’hui qui peuvent être mauvaises demain.
Pascal Lamy, Directeur général de l'OMC / Photo AFP Fabrice Coffrini
Que se passe-t-il si la Russie ne respecte pas ses engagement ? En Russie, c’est la loi du jour et du lendemain. A partir de maintenant, le gouvernement va devoir respecter ses engagements dans ses relations commerciales. S'il ne les respecte pas, il devra aller devant un Organe que l'on appelle à un "règlement des différends", une sorte de court de justice de l'OMC où un pays peut porter plainte contre un autre. Un gros rapport est ensuite livré qui donnera raison à l’un ou l’autre. Celui qui est considéré en tort doit se mettre en conformité dans un certain délais. S'il ne le fait pas, il doit payer des compensations. S'il ne les paye pas, le pays ayant porté plainte a le droit de faire des représailles. Beaucoup de pays en développement aujourd’hui acceptent de jouer le jeu de l’OMC parce que la Chine l’a joué. Si on voit la Chine s’en sortir si bien c’est en large partie à cause de son ouverture internationale et le fait qu’elle se soit engagée à respecter de règles. Existent-t-ils des inconvénients à intégrer l’OMC ? Je n’en vois pas beaucoup. Dans une certaine mesure, rien n’est obligatoire. Les pays ont négocié. Ils ne sont pas arrivés avec des obligations. Si vous ouvrez votre économie en entrant à l’OMC comme l’a fait la Chine [en 2001, ndlr], toute une série de secteurs vont probablement disparaître ou se réduire. Dans le cas de la Chine, c’est l’agriculture. Mais d’autres secteurs vont croître. En Europe, on est obsédé parce qui disparaît. Mais si vous voulez croître quelque part, il faut que du capital quitte un secteur pour aller vers un autre plus prometteur. L’exemple de la Chine ou de la Corée du Sud sont les meilleurs. Ce sont des pays qui produisaient beaucoup de textile mais qui n’en produisent presque plus. A la place, ils produisent de l’électronique..
Le président américain Barack Obama et le chef d'Etat chinois Hu Jintao.
Quels sont les enjeux auxquels doit faire face aujourd’hui l’OMC ? L’institution vient d’avoir un gros coup de bâton sur la tête récemment. Le Doha Round (cycle) lancé en 2001 sur la libéralisation du commerce international n’a pas eu de succès. Aucune décision n'a été prise. Et personne ne voit les négociations repartir au niveau de l’OMC. Les pays font tous des accords préférentiels. Ils négocient en bilatéral et non plus tout le monde ensemble. Donc pour une institution qui a toujours été l’hôte de round réussis apportant de la croissance, c’est quand même un coup dur. Le point de désaccord le plus important, à mon avis, aujourd’hui, c’est celui entre les États-Unis et la Chine qui porte sur une règle implicite à l’OMC, un statut qui concerne uniquement les pays en voie de développement, "un traitement spécial et différencié". Les Américains suivi plus mollement par les Européens, considère que la Chine est un pays suffisamment important et ne peut plus avoir un traitement spécial et différencié. Les Chinois disent qu’ils ont encore 700 millions de gens vraiment pauvres. Le pays est en développement sérieux sur deux tiers de la population. La Chine considère qu’elle a encore besoin d’un traitement spécial différencié. Il y a eu un clash violent il y a deux ans qui condamnent les négociations du cycle de Doha. Les Américains ne supportent plus la Chine. L’Europe est absolument inerte et tellement absorbée par la crise que l’on en compte plus. Et la Chine n’est pas devenue le pays suffisamment sûr de lui-même pour dire qu’il fait des efforts. Ce blocage des négociations nuit-il à l’OMC ? Ça remet en cause l’institution et encore ce n’est pas grave. Ce ne serait pas la première qui disparaîtrait. C’est une question pour la stabilité mondiale que permet l’institution et qui est capitale. Les firmes à l’heure actuelle ne produisent pas un produit dans un seul endroit. Elles ont souvent besoin d'au moins 20 à 30 pays pour faire un produit. Cela peut marcher si vous avez un minimum de stabilité juridique. Le risque d’une mise en sommeil de l’OMC, ce sont des guerres commerciales mondiales. Et c’est la spirale que l’on a connue dans les années 30.
Eclairage
Organisation Mondiale du Commerce (OMC) s'occupe des règles régissant le commerce entre les pays et relevant des marchandises, des services, de la propriété intellectuelle et des droits de douanes.
Banque Mondiale est un organisme de financement pour les pays les plus pauvres. Elle se compose de deux insitutions : la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) et l'Association internationale de développement (IDA).