Fil d'Ariane
Coup de théâtre au Canada ce mercredi 4 septembre : le Nouveau Parti démocratique, le NPD, met fin à son alliance avec le Parti libéral du Canada. Cette entente avec ce parti de gauche était stratégique pour le Premier ministre Justin Trudeau, minoritaire à la Chambre des Communes, le Parlement canadien, depuis le scrutin de l’automne 2021. Des élections sont prévues dans un an, mais pourraient se tenir plus tôt.
Illustration. Le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, participe à l'événement du Partenariat pour les infrastructures et les investissements mondiaux au sommet du G7, le jeudi 13 juin 2024, à Borgo Egnazia, en Italie.
Le chef néo-démocrate Jagmeet Singh déchire donc l'entente conclue avec Justin Trudeau il y a deux ans et demi. Baptisée « Obtenir des résultats dès maintenant pour les Canadiens », elle prévoyait que les Néo-démocrates soutiennent les Libéraux jusqu’en juin 2025, en échange de quoi le gouvernement faisait adopter des lois qui leur tenaient à cœur, comme, par exemple, l’assurance dentaire pour les Canadiens à faible revenu.
Justin Trudeau a prouvé à maintes reprises qu'il cède toujours à la pression des PDG. Il a laissé tomber les gens. Il ne mérite pas une autre chance.
Jagmeet Singh, chef du Nouveau Parti Démocratique
Mais les pressions étaient de plus en plus fortes, ces derniers mois, sur Jagmeet Singh pour y mettre fin, des pressions venues aussi bien des députés de son parti que du parti de l’opposition officielle, le Parti conservateur, pressé d’aller en élection parce qu’il caracole dans les sondages depuis des mois.
Dans une vidéo rendue publique en début d’après-midi mercredi sur les réseaux sociaux, Jagmeet Singh explique que son parti doit maintenant prendre ses distances des Libéraux : « Justin Trudeau a prouvé à maintes reprises qu'il cède toujours à la pression des PDG. Il a laissé tomber les gens. Il ne mérite pas une autre chance. Une autre bataille nous attend. Un combat important : affronter Pierre Poilievre et les coupures conservatrices ». Le chef néo-démocrate en rajoute : « les libéraux sont trop faibles, trop égoïstes et trop proches des ultra-riches pour se battre pour les gens ».
Plusieurs députés néo-démocrates ont confié que cette alliance commençait à être un sérieux boulet pour leur parti parce qu’elle les mettait dans le même panier que les Libéraux qui ne cessent de perdre en popularité auprès des électeurs canadiens. C’est ce qu’a confié une source à mes collègues de Radio-Canada : « C’est le temps d’envoyer le signal qu’on est vraiment différents. C’est le temps de se distancer, maintenant qu’on a livré des résultats, de prendre notre envol et de montrer quelle est notre vision ». Un député reconnaissait récemment que cette alliance, « C’est comme un boulet que je traîne dans ma circonscription. Les libéraux sont impopulaires, et Pierre Poilievre réussit à nous mettre dans le même bateau ».
Le NPD va devoir faire un choix, est-ce qu’ils veulent jouer la politique ou est-ce qu’ils veulent être là pour servir et livrer pour les Canadiens ?
Justin Trudeau, Premier ministre canadien
Pierre Poilievre, c’est le chef du Parti conservateur du Canada. Depuis qu’il a pris les rênes du parti, en septembre 2022, il a mené les Conservateurs en tête des intentions de vote des Canadiens, avec un écart de plus de 10% d’avec les Libéraux de Justin Trudeau. Un dernier sondage donne même 40% d’intention de vote aux Conservateurs, contre 26% pour les Libéraux et 20% pour les Néo-démocrates. Cet écart va être bien difficile à combler…
Car Justin Trudeau est de plus en plus affaibli et les troupes libérales… de plus en plus en difficulté. La fin de cette alliance les fragilise d’autant plus. Les Libéraux sont au gouvernement depuis neuf ans : l’usure du pouvoir se fait sentir, une majorité de Canadiens se disent prêt à un changement de garde et ils cèdent aux chants des sirènes conservatrices qui leur promettent des lendemains meilleurs, une reprise en main des finances publiques, la fin de l’augmentation des prix au supermarché, l’abolition de la taxe carbone imposée pour lutter contre les changements climatiques et autres promesses basées sur « le gros bon sens » comme aime le répété le chef conservateur.
(Re)lire Canada : qui est Pierre Poilievre, le nouveau chef du Parti conservateur ?
Devant cette montée en flèche des troupes conservatrices, les Libéraux s’inquiètent : est-ce que leur chef, qui traine des casseroles accumulées au fil des neuf dernières années, peut être celui qui va leur permettre de rester au pouvoir ? Ne vaut-il pas mieux partir au combat avec un nouveau chef ou une nouvelle cheffe ? Mais Justin Trudeau s’accroche : il se dit prêt à enfiler ses gants de boxe et sauter dans l’arène afin d’en découdre, enfin, avec son adversaire conservateur. Pour l’instant, les troupes libérales serrent les rangs derrière leur chef, mais en sourdine, on entend les doutes et les questionnements. Quelle est la meilleure option ? Partir en campagne avec Justin Trudeau ? Lui montrer la porte, choisir un nouveau chef qui aurait plus de chances contre Pierre Poilièvre ? Ce nouveau chef ne serait-il pas l’agneau sacrificiel étant donné l’avance quasi insurmontable des Conservateurs ? Ne vaut-il pas mieux en choisir un après le scrutin à venir ? Le coup de théâtre aux États-Unis en juillet avec le retrait de Joe Biden pour laisser la place à Kamala Harris, et sa remontée dans les sondages depuis, doit faire encore plus réfléchir et douter les Libéraux.
Justin Trudeau, de son côté, persiste et signe : il sera l’homme de la situation. En réaction à l’annonce du NPD, de passage à Terre-Neuve, il a déclaré : « On va continuer à se battre à la Chambre des Communes et s’il y a d’autres partis qui veulent plus jouer la politique, les Canadiens verront mais moi ma priorité c’est d’être là pour les gens en ces moments difficiles. Le NPD va devoir faire un choix, est-ce qu’ils veulent jouer la politique ou est-ce qu’ils veulent être là pour servir et livrer pour les Canadiens ? Nous on a fait notre choix en tant que gouvernement, on va continuer d’être là pour livrer pour les Canadiens ».
Les Libéraux ont appris la nouvelle dix minutes avant la mise en ligne de la vidéo et Jagmeet Singh et Justin Trudeau ne se sont pas parlé.
Celui qui se frotte les mains de cette nouvelle, c’est bien sûr le chef conservateur. Déjà la semaine dernière, il écrivait à Jagmeet Singh de mettre fin à l’entente pour déclencher des élections d’ici la fin de l’année et il le qualifiait de « vendu ». Pierre Poilievre met maintenant la pression sur le Bloc Québécois, le troisième parti d’opposition qui est à Ottawa pour défendre les intérêts du Québec, pour ne pas soutenir les Libéraux de Justin Trudeau. Il est très pressé d’en découdre, le chef conservateur, il est plus que prêt, ses troupes aussi, les coffres du parti sont remplis, le discours électoral est rôdé, le slogan est martelé sur toutes les tribunes (« le gros bon sens ») : les Conservateurs attendent juste le signal de départ.
Les députés canadiens retournent en chambre le 16 septembre prochain avec ce changement de situation important. Mais cela ne veut pas dire pour autant que les Canadiens seront appelés aux urnes au cours des prochaines semaines : le gouvernement de Justin Trudeau va devoir revenir à son fonctionnement de gouvernement minoritaire, c’est-à-dire aller chercher l’appui de l’un des partis d’opposition pour faire adopter ses projets de loi à la pièce.
Si cette collaboration semble quasi impossible du côté des Conservateurs, les Néo-Démocrates se disent prêts à voter en faveur de projets qui défendent leurs valeurs. Tout comme le Bloc Québécois, qui voit d’un bon œil, lui aussi, la fin de cette entente entre les Néo-Démocrates et les Libéraux, car cela va lui permettre de négocier davantage avec le gouvernement Trudeau pour faire adopter des lois qui, eux, seront à l’avantage des Québécois. Les Conservateurs brandissent déjà la menace du dépôt d’une motion de défiance envers le gouvernement Trudeau, et si une majorité de députés appuient cette motion, alors les pancartes électorales vont s’afficher dans les rues d’un bout à l’autre du Canada. Et ce sera l’heure des choix pour les Canadiens et les Canadiennes.
Ça brasse aussi dans l’arène politique du Québec. Le « super ministre » du gouvernement de François Legault, Pierre Fitzgibbon, démissionne. Il était ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie, il était aussi responsable du Développement économique régional et responsable de la Métropole et de la région de Montréal. Parmi les nombreux dossiers qu’il avait dans sa besace, il y avait celui de la transition énergétique et donc de l’électrification des transports au Québec. C’est lui qui pilotait, notamment, l’arrivée de la compagnie suédoise Northvolt dans la grande région montréalaise, avec la construction d’une méga usine de fabrication de batteries électriques, un projet très controversé, notamment sur le plan environnemental.
Les raisons de sa démission restent bien mystérieuses, mardi matin il donnait une entrevue à la radio de Radio-Canada comme si de rien n’était et quelques heures plus tard on apprenait son départ. En conférence de presse ce mercredi matin, Pierre Fitzgibbon a expliqué que sa motivation au travail avait décliné récemment et qu’il ne pouvait pas garantir au Premier ministre François Legault qu’il allait terminer son deuxième mandat de député, qui devait prendre fin à l’automne 2026. Il dit toutefois quitter ses fonctions « la tête haute ». François Legault assure de son côté qu’il n’y a pas eu de « chicane » et que les deux hommes se quittent en bons termes, mais que c’est lui qui lui a demandé de partir parce qu’il ne se sentait pas à l’aise face aux rumeurs persistantes sur le départ de son « super ministre ». On devrait connaître jeudi le nom de celui ou celle qui va lui succéder.