Ce vendredi 4 octobre, le Conseil exécutif de l'UNESCO doit désigner son nouveau directeur général pour quatre ans - un choix pratiquement toujours entériné par l'Assemblée plénière qui le suit. Si la sortante Irina Bokova demeure favorite, sa reconduction, dans un contexte diplomatique et financier difficile, n'est pas acquise.
On a connu élection plus sereine. Sans doute l'institution culturelle fille de l'ONU, aussi riche que lestée des ses 195 états-membres et de ses 68 ans d'histoire, a t-elle vécu bien des vicissitudes et éclats, de la guerre froide aux divisions proche-orientales. Cette fois, pourtant, le scrutin survient sur fond de crise, sans doute moins théâtrale que les précédentes mais plus profonde et simultanément, selon une expression qui court dans la vieille maison, « financière, budgétaire, institutionnelle et existentielle ». Cela fait beaucoup. Élue en 2009 face à un ministre de la culture égyptien favori mais coulé in extremis par la révélation de propos antisémites, la Bulgare Irina Bokova n'a pas eu un mandat particulièrement paisible. Les printemps arabes ont eu pour effet collatéraux d'importants dommages aux patrimoines placés sous protection de l'UNESCO (en Égypte, notamment). Au Mali, plus récemment, l'organisation onusienne n'a pas su empêcher – malgré des gesticulations contre-productives - la destruction d'un certains nombre de mausolées classés de Tombouctou. Moins dramatique mais plus troublante, l'affaire du prix UNESCO-Téodoro Obiang Nguema (doté par la contribution du dictateur guinéen éponyme, trafiquant présumé de matières diverses et champion notoire de « biens mal acquis ») est venu jeter un doute sur le sens politique de la directrice générale. Sans qu'on puisse le lui reprocher directement, la question de la très « assadienne » ambassadrice syrienne Lamia Chakkour - décrétée en 2011 persona non grata par la France qui souhaitait l'expulser mais protégée par l'UNESCO auprès de laquelle elle est demeurée « déléguée » – a causé quelque agacement.
Un audit assassin
Irina Bokova
L'admission, en 2011 de la Palestine comme État-membre (soutenue par Paris mais combattue par Washington) a eu pour effet immédiat (d'ailleurs prévu) une nouvelle suspension de la contribution américaine (déjà connue dans le passé : partis une première fois dans les années 80, ils étaient revenus en 2003). Résultat : un budget amputé de 22 %, 150 millions de dollars de moins chaque année. De cela, Irina Bokova n'est évidemment pas responsable mais beaucoup lui reprochent une mauvaise gestion dans ce contexte de pénurie. Chargée d'un audit, la Cour des comptes française a remis récemment un rapport assez rude, y compris nominalement à son endroit. « La médiocre traçabilité des initiatives, des travaux, des réflexions et des réformes entreprises ou initiées a sans doute pesé sur la capacité de l'Organisation à dépasser de façon optimale les premières et simples mesures d'urgence adoptées dès novembre 2011", estiment les experts. (...)"S'agissant de la gouvernance de la gestion de crise, on ne saurait dire qu'une organisation ni une méthodologie claires et explicites aient été adoptées". "Cette approche, que le Conseil exécutif avait invité la Directrice générale à mettre en œuvre, fait encore défaut à l'Unesco ; une gestion des coûts plus informée et plus transparente, une responsabilité plus sérieuse des responsables de secteurs, aurait permis de répartir les efforts de réponse à la crise de façon plus efficiente (...) ». On pouvait difficilement être moins agréable. « Nous ne sommes pas un ministère français, se défend la directrice générale dans une interview à Jeune Afrique (22 septembre 2013). Il y a des décisions que je ne peux prendre moi-même, je dois suivre celles des pays membres ». Le rapport français, en tout cas, n'a pas contribué à alléger l’atmosphère place de Fontenoy (siège parisien de l'UNESCO) où le climat social est devenu exécrable. On y parle de 300 suppressions d'emplois sur un effectif total de 1428. Irina Bokova dément ces « rumeurs » et parle de « retraites anticipées, de départs volontaires ». Dans une vidéo postée sur Dailymotion, elle déclare pourtant (en anglais) au personnel « nous devons procéder à des licenciements [« séparations »] et des suppressions de postes ».
Rachad Farah : retour aux « missions originelles »
Rachad Farah
Pour sa succession, la sortante se trouve désormais en compétition avec deux concurrents. Le premier, Rachad Farah, 63 ans, est djiboutien, ambassadeur à Paris. Déclaré depuis près d'un an, il est soutenu par l'Union africaine, le Ligue arabe et l'Organisation de la coopération islamique. Son ancrage géographique « au sud » représente un atout qu'il entend bien exploiter (« C’est la première fois depuis 25 ans que l’Afrique a décidé d’avoir un seul candidat pour se présenter à la présidence de l’Unesco (…) Je suis le candidat de l'Afrique », souligne t-il) mais le pays d'origine un handicap, Djibouti n'étant pas renommé pour l'excellence de sa démocratie. Très critique envers la gestion actuelle (« l'UNESCO est menacée parce qu'il y a une crise morale, financière, identitaire », affirme t-il), il propose de la faire revenir à ses « missions originelles » que sont « l'éducation, la culture la science ». Pour l'Afrique – il serait, en cas de succès, son deuxième directeur de l'UNESCO de l'histoire après, dans les années 70-80, Amadou Mahtar M'bow - il rêve de prix Nobel (au pluriel), d'un institut de haute technologie à l'image du M.I.T. Américain ou de l'école polytechnique française.
Joseph Maïla : la culture de la diversité
Joseph Maïla
Moins bien entouré, le second concurrent est un Libanais de 64 ans au parcours personnel atypique : Joseph Maïla. Universitaire, il a dirigé pendant plusieurs années (2010 - 2013) le pôle « religions » de la très officielle « direction de la prospective » du ministère français des affaires étrangères où il fut nommé par Bernard Kouchner. Sa candidature est aujourd'hui défendue par le Liban, pays, souligne t-il « de pluralisme et de diversité où la culture de la convivialité est plus forte que la haine », mais non par la France qui penche pour une reconduction d'Irina Bokova. Un peu moins sévère que le Djiboutien à l'endroit de la Bulgare, il n'en est pas moins alarmiste en ce qui concerne l'institution dont « les difficultés financières ne font que révéler [une] grande crise existentielle ». S'il gagnait – hypothèse aujourd'hui peu probable – il en serait le premier directeur arabe.Soutenue par les pays du Nord et de l'Est, Irina Bokova demeure aujourd'hui incontestablement la favorite mais rien n'est acquis. La campagne n'est pas une simple formalité et recèle encore quelques incertitudes ; certains choix sont mouvants et le scrutin du 4 octobre où votent 58 pays du Conseil exécutif se tient à bulletins secrets. La sortante le sait mieux que personne, elle qui, initialement donnée perdante, fut élue ainsi il y a quatre ans ... au 5ème tour, par quatre voix d'avance.
Irina Bokova reconduite
Mise à jour du 4 octobre 2013 (AFP)
La directrice générale bulgare de l'Unesco, Irina Bokova, a été réélue au premier tour à la tête de cette organisation : "Irina Bokova l'a emporté avec 39 voix, Rachad Farah a eu 13 voix et Joseph Maïla 6 voix", a annoncé une porte-parole de l'AFP.