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TV5MONDE : Est-ce que cette union de la gauche est sur le point de se concrétiser ?
Simon Persico : Ça faisait bien longtemps qu’il n’y avait pas eu un accord qui inclut ce spectre partisan. Du Parti socialiste au Parti communiste, en passant par les Verts jusqu’à La France Insoumise. C’est historique dans cette mesure là.
Si la question européenne ne fait pas encore consensus, les deux partis sont parvenus à s'accorder sur plusieurs points :
Il y a eu des accords de gauche par le passé, notamment dans les années 1960/1970 avec le programme commun. On peut aussi se souvenir de l’accord de 1997, au moment de la Gauche plurielle.
La principale différence cette fois c’est que le parti principal de cette coalition, c’est un parti qui se situe plutôt à la gauche de l’espace.
On se souvient, il y a un an, aux régionales, ces partis étaient incapables de s’entendre pour avoir des candidatures communes. Cette fois-ci, ce n'est pas la même narrative.
De ce point de vue-là, la gauche n’a jamais été aussi en capacité de se rassembler aussi largement et de ne pas se tirer les uns contre les autres.Simon Persico, chercheur au laboratoire Pacte de l'IEP de Grenoble
TV5MONDE : Est-ce que du coup on assiste à une réconciliation ?
Simon Persico : Ils ont été capables de trancher certains enjeux programmatiques, pas tous, puisqu’ils ont laissé des sujets sur lesquels ils n’ont pas forcément abouti à un accord parfait. Mais ils se sont mis autour de la table, ils ont réussi à sortir des textes d’accord. Ils se sont répartis des circonscriptions de sorte qu’il n’y ait pas vraiment de compétition entre eux et que ça optimise leurs chances de gagner.
De ce point de vue-là, la gauche n’a jamais été autant en capacité de se rassembler aussi largement et de ne pas se tirer les uns contre les autres. Après, on voit que ça suscite des formes de résistance. Il y a sans doute des dissidences qui vont avoir lieu. Du côté du Parti socialiste, Bernard Cazeneuve a annoncé qu’il quittait le parti. Peut-être que du côté LFI ou du côté écolo, sur des circonscriptions ponctuelles, ça va coincer face à d’autres candidats. Peut-être que les organisations partisanes ont décidé de faire un choix collectif. Quelle va être leur capacité à faire appliquer l’accord ?
Il y a des barons locaux qui décident d’en faire qu’à leur tête.Simon Persico, chercheur au laboratoire Pacte de l'IEP de Grenoble
En réalité, du côté des écolos et du Parti socialiste, on a vu ces dernières années un affaiblissement de leurs capacités à faire appliquer des choix nationaux à leurs militants et groupes locaux. Il y a des barons locaux qui décident de n’en faire qu’à leur tête. Cela fait quelque temps que c’est le cas dans ces partis-là. C’est pour ça que ça va sans doute mener à des dissidences. Leur capacité à mener leurs troupes de manière systématique est un peu discutable. Chez les Verts, le soutien à l’accord a été assez massif, avec près de 80% du conseil fédéral qui a voté en sa faveur. Ça veut dire que ça suscite une adhésion assez large à l’intérieur du parti. J’ai l’impression qu’au Parti socialiste, c’est un peu plus compliqué. Cela dit, on n’a jamais atteint un tel niveau de coordination et de volonté de travail en commun.
TV5MONDE : Quelles sont les principales divergences entre les partis et est-ce qu’un programme commun est possible ?
Simon Persico : Ça me paraît possible d’arriver à un programme commun. Les principales divergences vont être l’Union européenne, et notamment le rapport à l’UE. Quand on regarde par exemple le texte d’accord entre la FI et les Verts, on voit qu’ils ont déjà commencé à déployer des trésors de diplomatie et de manière de formuler pour trouver un point qui soit un peu convergent. Dans le fond, il s’agit d’une Europe sociale. Ils ont réussi à trouver une manière d’en parler qui les mettent à peu près d’accord. Je pense qu’ils sont en capacité de dire sur quelles politiques ça coince.
Il y a un point qui est très important. Il y a une énorme différence selon s'ils gouvernent ou s'ils ne gouvernent pas. Dans le second cas, que devient cette coalition ? Au fond, ce n’est pas dur, ils vont s’opposer assez facilement au gouvernement. Ça va créer du consensus d’une certaine manière. Dans les rares cas où il y aura des accords, il n’y a aucune gravité à ce qu’à l’intérieur du groupe il n’y ait pas d’accord ou que chaque groupe vote selon ces préférences.
Si jamais ils disposent d’une majorité, il faudra faire preuve de beaucoup plus de travail pour obtenir un consensus à l’intérieur du Parlement, parce qu’il faudra obtenir une majorité de députés. Chaque groupe compte, parce que si la majorité existe, elle ne sera pas suffisamment large pour que la FI gouverne toute seule. Ils devront donc négocier avec les députés PS, Communistes et écologistes. Là, il faudra nécessairement trouver des manières d’être d’accord.
TV5MONDE : Quel est le moteur de cette alliance ?
Simon Persico : Le moteur principal de cette alliance est de gagner le plus de sièges possible lors des élections législatives. Je pense qu’un certain nombre d’entre eux ont en tête de gagner des élections et que cette coalition obtienne une majorité des sièges à l’Assemblée nationale.
Je ne sais pas quel est leur niveau de conviction, car pour être honnête, c’est difficile d’y croire. Quand on sait comment fonctionnent les institutions de la Ve République et les législatives, qui ont tendance à moins mobiliser les électeurs, qui plus est ceux de ces partis-là. Donc une victoire paraît peu probable, mais en même temps je pense qu’ils y croient. Mais dans tous les cas, même s’ils y croient pas trop, cette stratégie-là leur permettra d’obtenir des sièges. C’est d’autant plus vrai pour EELV et pour le PS, qui , sans cette stratégie, pouvaient faire une croix sur une bonne partie de leurs sièges.
Là, il y aura une campagne collective moins conflictuelle. Simon Persico, chercheur au laboratoire Pacte de l'IEP de Grenoble
Le fait d’avoir fait cette union fait que ce camp politique là entre dans la campagne dans une dynamique positive, de rassemblement, de volonté de travail commun. Le message est assez clair, même si plutôt simpliste : « Mélenchon Premier ministre », « la coalition alternative », « il y a un troisième tour ».
Ca leur permet de développer ces éléments de communication un peu positive autour d’une logique de rassemblement. S’ils étaient encore une fois partis chacun de leur côté, il y aurait eu la même logique que ce qu’il s’est passé lors de l’élection présidentielle. Là, il y aura une campagne collective moins conflictuelle.
TV5MONDE : Les dissidents peuvent-ils représenter un danger ?
Simon Persico : C’est un peu incertain. D’une part, ça va dépendre de la campagne. Je pense aussi que le succès sera différent selon les territoires. C’est à dire que dans les territoires ruraux, d’anciennes implantations socialistes, à mon avis les socialistes dissidents peuvent obtenir de bons scores. Remporter l’élection, c’est une autre question.
Plus les vies politiques locales sont liées au national et moins ils seront en mesure de réaliser des bons scores.
Simon Persico, chercheur au laboratoire Pacte de l'IEP de Grenoble
Je pense que dans les grandes villes, où il y a beaucoup de circonscriptions et donc beaucoup d’électeurs, ce sera plus difficile pour eux de faire de bons scores. Plus les vies politiques locales sont liées au national et moins ils seront en mesure de réaliser des bons scores. Mon impression, c’est qu’ils n’ont pas réussi à retenir beaucoup d’électeurs à la présidentielle.
Lors des élections législatives, qu’on le veuille ou non, il y a des logiques locales qui peuvent jouer, de cadres locaux connus ou de personnalités notables. Mais il y a aussi une logique nationale très puissante. Il va y avoir un récit national qui sera fait de cette campagne autour de l’Union de la gauche. Je pense que les candidats qui n’auront pas ce tampon-là, au yeux des électeurs de gauche, ne sont pas les candidats qui vont bénéficier du plus grand soutien. Mais si les dissidences se multiplient, ce sera un peu plus délicat.