Union européenne : les paradis fiscaux grondés, pas l'optimisation fiscale

Les 28 pays de l'UE ont adopté, mardi 5 décembre, une liste noire de 17 paradis fiscaux opérant hors de leurs frontières. Une première pour l'Union, assortie de sanctions jugées cependant insuffisamment dissuasives par les ONG et qui ne s'attaque pas à proprement parler à l'optimisation fiscale.
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Sainte Lucie
Sainte-Lucie
(photo touristique)
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Au premier abord, cela sonne un peu comme un catalogue d'agence de voyage pour destinations exotiques :  Bahreïn, Barbade, Corée du Sud, Émirats Arabes Unis, Grenade, Guam, Îles Marshall, Macao, Mongolie, Namibie, les Palaos, Panama, Samoa, les Samoa américaines, Sainte Lucie, Trinidad et Tobago et la Tunisie.

Il s'agit en réalité d'une liste noire, celle des 17 pays considérés par l'Union européenne comme des paradis fiscaux « opérant hors de leurs frontières », adoptée ce mercredi 5 décembre par les ministres des Finances des 28 pays réunis à Bruxelles. Le résultat d'une promesse régulièrement renouvelée. Pour beaucoup, une déception.
 

Consensus minimum

Très attendue après les scandales récents qui ont révélé différents systèmes d'évasion fiscale, la liste noire a fait jusqu'au bout l'objet de tractations serrées entre les États membres. Or, conformément aux règles européennes, les 28 doivent s'entendre à l'unanimité sur le nom des « blacklistés ».

Compte tenu des différences d'approches, des liens particuliers voire des complicités entre des pays de l'Union et les présumés coupables, on pouvait craindre le pire de cette obligation de consensus. Le résultat de la réunion de Bruxelles est finalement mitigé.

Sans doute la liste noire sort-elle  finalement bien plus fournie que ce que l'on pouvait craindre dans l'hypothèse basse. L'OCDE, sans rire, n'avait débusqué cet été qu'un seul Etat fautif sans grand danger d'incendie diplomatique : Trinidad et Tobago.

Une « liste grise » est d'autre part établie. Elle ne comprend pas moins de 47 pays ou entités territoriales (sur 92 examinés) qui ont pris des engagements de bonne conduite en matière fiscale et feront l'objet d'un suivi. Parmi eux :  Jersey, Guernesey, l’île de Man, Andorre mais aussi la Suisse ou la Nouvelle Calédonie (française). Y figurent également le Maroc et le Cap Vert, initialement sur liste noire mais qui ont obtenu d'en sortir en s'engageant sur certaines mesures.

Trois critères principaux ont été retenus. Transparence fiscale : le pays concerné pratique-t-il ou non l'échange automatique d'informations ? Équité fiscal e: applique-t-il ou pas, par exemple, des mesures fiscales préférentielles dommageables ? Met-il en œuvre ou non les mesures de l'OCDE contre l'optimisation fiscale agressive ?

Au moment de l'élaboration des critères, certains Etats membres de l'UE avaient plaidé pour qu'un taux d'imposition zéro sur les sociétés soit également pris en compte, mais d'autres comme les Britanniques y étaient opposés.

En février dernier, les 28 s'étaient finalement entendus pour que le taux d'imposition zéro soit simplement identifié comme "indicateur" dans l'évaluation d'une juridiction.
 

Impunité interne

Comme pressenti, chacune des deux listes épargne soigneusement les États avec lesquels l'Union européenne entretient des relations privilégiées, a fortiori ses propres membres.
 
L'édifice repose sur une fondation profondément viciée, à savoir la prétention de l'UE de faire le ménage parmi les États tiers sans avoir avant tout balayé devant sa porte. Antonio Gambini, chercheur du CNCD
Le Luxembourg, l'Irlande, les Pays-Bas ou Malte y échappent ainsi. Selon le Centre National de Coopération au Développement qui fédère en Belgique de multiples organisations non gouvernementales, « la liste rate volontairement certaines de ses cibles ». « Sur papier, les critères semblent plutôt convaincants, notamment en raison de l'inclusion du critère d'équité fiscale , estime l'un de ses chercheurs, Antonio Gambini. Mais l'ensemble de l'édifice repose sur une fondation profondément viciée, à savoir la prétention de l'UE de faire le ménage parmi les États tiers sans avoir avant tout balayé devant sa porte. »

L'ONG d'inspiration anglo-saxonne OXFAM n'est pas moins sévère : « Il est dérangeant, remarque sa porte-parole Aurore Chardonnet, de voir pour l'essentiel des petits pays sur la liste noire de l'Union européenne tandis que les paradis fiscaux les plus notoires filent sur la liste grise ».
 

Doute sur les sanctions

Les sanctions appliquées aux fautifs, d'autre part restent à ce stade plutôt symboliques, voire virtuelles. Elles se résument pour l'essentiel à un gel des – éventuels - fonds européens pour les mauvais élèves, le reste étant laissé à la latitude de … chacun des 28. Leur division ne leur a pas permis de s'accorder sur des mesures plus rigoureuses.
 
La liste est une occasion manquéeEva Joly, députée européenne
Lui même recalé sur ce point, le Commissaire européen aux Affaires économiques, Pierre Moscovici, a « invité les Etats membres à éviter toute naïveté sur les engagements ». « Je les appelle à définir des sanctions nationales dissuasives rapidement », a-t-il lancé. « Cette liste est une occasion manquée, juge plus sombrement l'eurodéputée verte Eva Joly. Pour être efficace, elle doit être surtout accompagnée de sanctions. Il est incompréhensible que cela ne soit pas le cas ».