Fil d'Ariane
En Hongrie, Pologne, Allemagne, Autriche, les partis de "droite dure" ou extrême ont le vent en poupe, au point de gouverner dans 3 de ces pays. Limitation de la liberté de la presse, remise en cause de l'indépendance de la justice, abaissement de l'état de droit : l'Union européenne est-elle en danger ?
La poignée de main entre le Premier ministre polonais Mateusz Morawiecki et la Première ministre britannique Theresa May ce 21 décembre 2017 pour sceller un accord de coopération dans le champ de la défense et de la sécurité militaire.
La récente victoire du Parti de la liberté d’Autriche (FPÖ) d'extrême droite aux élections législatives autrichiennes a vu la constitution d'un gouvernement composé de six ministres sur treize issu de cette formation politique nationaliste et ouvertement xénophobe. Cette victoire succède à celle de l'extrême droite néo-nazie allemande le 24 septembre 2017, qui a littéralement envahi le Bundestag avec 92 élus issus du parti "anti-immigration", Alternative pour l'Allemagne (AfD).
En Hongrie, depuis mai 2010, Le Premier ministre Viktor Orbán, du Fidesz, le parti conservateur, dirige le pays. Il a été réélu pour un second mandat en avril 2014, avec 44,5% des suffrages et compose désormais avec le parti d'extrême droite Jobbik, arrivé lui, à 20%. La politique de Viktor Orbán, ouvertement xénophobe et autoritaire, continue d'inquiéter les défenseurs des droits de l'homme, certains parlant ouvertement de "démocrature" (dictature aux apparences de démocratie), comme pour la Turquie d'Erdogan.
La Pologne est, elle aussi, sous le feu des projecteurs pour son virage réactionnaire et ultra-conservateur : les lois contre la liberté de la presse, contre l'avortement, contre les étrangers, les menaces du PiS — le parti au pouvoir — contre les journalistes, contre les homosexuels, se succèdent et font planer une ombre menaçante sur ce pays de 38 millions d'habitants, membre de l'UE depuis 2004. La récente annonce d'une réforme constitutionnelle pour abolir l'indépendance de la justice polonaise a été un coup de trop pour l'Union européenne, qui a décidé — après deux ans d'indifférence et de silence face aux politiques polonaises ouvertement opposées à celle de l'Union — d'engager un bras de fer législatif en appliquant l'article 7 de la Constitution européenne contre ce pays. Cet article est prévu pour engager une procédure contre un pays qui bafoue les règles et les valeurs européennes.
Un bloc politique est déjà constitué en Europe Centrale, composé d'Etats dirigés par des nationalistes, réactionnaires, xénophobes, et autoritaires. Une partie de ces pays, dont les habitants ont mis au pouvoir les leaders des partis de droite dure ou d'extrême droite, ont déjà constitué un groupe, censé défendre leurs intérêts communs : le Groupe de Visegrád. Cette alliance informelle regroupe pour l'heure quatre Etats membres se déclarant "anti-réfugiés" : La Pologne, La République Tchèque, La Slovaquie et la Hongrie. L'Autriche pourrait les rejoindre tout comme plusieurs pays des Balkans.
Ces partis politiques ont aussi en commun — au delà de leur xénophobie et de leur nationalisme outrancier — le rejet de l'Union européenne, de ses lois et de ses réglementations jugées trop libérales, trop laxistes et dénoncées comme détruisant le "ciment des sociétés". Plus à l'Ouest malgré, jusque là, une certaine résistance des partis traditionnels, la tendance vers des votes nationalistes augmente : Le Front national de Marine Le Pen était au second tour contre Emmanuel Macron en France lors de la présidentielle du printemps 2017, et aux Pays-Bas, le Parti pour la liberté (PVV) de Geert Wilders est devenu en mars la deuxième force du Parlement néerlandais, derrière les Libéraux, avec 20 sièges sur 150.
Selon le chercheur néerlandais Cas Mudde, professeur associé à l'Université de Géorgie (Etats-Unis), "l'extrême droite en Europe aujourd'hui est plus populaire que jamais depuis 1945". Ce que confirme le politologue français Patrick Moreau, qui bien qu'admettant l'échec pour s'emparer du pouvoir de Le Pen en France et de Wilders aux Pays-Bas, affirme que "le verre est bien aux trois-quarts plein pour les forces nationalistes". Ces tendances électorales reflètent toutes — malgré des histoires différentes entre chaque pays — "les sentiments d'insécurité, réels ou perçus, liés aux flux migratoires, au terrorisme ou aux incertitudes économiques" estime quant à elle Mabel Berezin, professeure de sociologie à l'université américaine de Cornell.
Ces formations politiques autoritaires surfent effectivement sur les inquiétudes causées par les vagues migratoires, mais leur succès est pour beaucoup causé par un ressentiment envers les élites de toutes sortes, considérées comme corrompues ou à la solde des lobbies financiers. La gestion de la crise financière de 2008 par les partis politiques traditionnels qui a appauvri les populations tandis que les grandes fortunes prospéraient est aussi un facteur aggravant.
Les partis traditionnels semblent impuissants face à ce phénomène, avec pour une partie d'entre eux une réaction fréquente et inquiétante : copier les discours et mimer les politiques des partis d'extrême droite. Une attitude politique très risquée, comme l'a démontré le jeune élu conservateur autrichien Sebastian Kurz, 31 ans, qui en Autriche, en voulant concurrencer le FPÖ sur les thèmes de l'immigration, de la place de l'islam dans la société et de la sécurité, a logiquement conduit les deux partis à sceller un accord de coalition.
En France, Laurant Wauquiez, le nouveau président du parti LR (Les Républicains), historiquement de centre droit, semble lui aussi vouloir concurrencer le parti de Marine Le Pen sur sa droite. En Bulgarie, le parti de centre-droit du Premier ministre Boïko Borisov a joué ce jeu-là et gouverne depuis mars avec une coalition de partis… nationalistes.
Pour autant, ces stratégies électorales ne sont vraisemblablement pas crédibles sur la durée, selon Cas Mudde : "si les partis traditionnels cherchent à imiter l'extrême droite, ils n'enregistreront que "des succès de court terme" car ils sous-estiment le sentiment anti-système de cet électorat." Si la prédiction du chercheur s'avère correcte, les instances européennes devraient donc commencer dès aujourd'hui à s'inquiéter : la survie ou la mort de l'Union et particulièrement de ses valeurs, sont potentiellement inscrites dans la réussite… ou l'échec des formations de ces droites autoritaires, nationalistes et extrêmes qui pourraient bien remporter de nouvelles victoires dans d'autres pays de l'Union , comme l'Italie au printemps 2018.