Fil d'Ariane
Une semaine après l’incendie de l’usine Lubrizol, le jeudi 26 septembre à Rouen, les autorités peinent à rassurer les habitants de la région. Le discours du “on nous cache tout, on nous dit rien” trouve un large écho. Quelles conséquences sanitaires ? Quelles réparations ? Dans la polémique, un nom revient fréquemment : celui de l’homme d’affaires américain Warren Buffett, l’une des plus grosses fortunes au monde.
Une fortune estimée à plus de 80 milliards de dollars, une 4e position au classement des hommes les plus riches de la planète. Warren Buffett fera-t-il un geste pour les habitants de Rouen ? Le nom du milliardaire américain revient beaucoup, notamment sur les réseaux sociaux, depuis l’incendie de l’usine Lubrizol le 26 septembre à Rouen, dans le nord-ouest de la France. Il faut dire que le patron, c’est lui. Le célèbre homme d’affaires s'est offert Lubrizol en 2011, via sa société d’investissements Berkshire Hathaway.
Warren Buffett, 89 ans, est connu pour ne prendre que très peu de risques quand il investit. Pas question pour lui, par exemple, de mettre de l’argent dans les nouvelles technologies qu’il juge trop volatiles. En rachetant Lubrizol pour près de dix milliards de dollars il y a huit ans, c’est sur un vieux dinosaure industriel qu’il a mis la main. L’entreprise est presque centenaire. Elle naît en 1928 dans l’Ohio et produit alors un lubrifiant automobile. Près d’un siècle plus tard, Lubrizol reste leader dans le secteur mais elle s’est diversifiée. Elle est présente aussi bien dans la plomberie que les cosmétiques.
Lubrizol, c’est en 2018, un chiffre d’affaires de près de 7 milliards de dollars, en hausse de 8%. La société est présente aussi bien au Brésil qu’en Chine, au Japon ou aux Etats-Unis. En France, elle dispose de trois sites. Mourenx près de Pau dans le sud-ouest, et deux sites en Normandie : Oudalle et Rouen, là où a eu lieu la catastrophe du 26 septembre.
Les trois sites français de l’entreprise Lubrizol sont classés Seveso, tout comme environ 1300 autres à travers le pays. L’appellation Seveso, rendue célèbre en France par l’explosion de l’usine AZF à Toulouse le 21 septembre 2001 (31 morts et 2500 blessés), tient son nom d’une autre catastrophe. En 1976, dans le nord de l’Italie, un nuage d’herbicides extrêmement toxique s’échappe d’une usine de la commune de Meda. Plusieurs villes environnantes, dont la localité de Seveso, sont touchées. La pollution ne tue aucun humain mais l’incident et sa mauvaise gestion vont donner lieu à une classification européenne des sites à risques.
Depuis l’incendie de Rouen, plusieurs vérités s’affrontent et, comme souvent, nombre d’entre elles s’alimentent des zones d’ombres qui entourent la catastrophe. Celle-ci, tout d’abord, a lieu -cruauté de l’actualité- le jour de la mort de Jacques Chirac. Le lendemain, seule la presse locale fera sa une sur Lubrizol, suscitant un sentiment d’abandon largement relayé sur Twitter. Les autorités sont également accaparées par la disparition de l’ancien président français, alors que sur place, à Rouen, des habitants se plaignent de vomissements et de maux de tête et constatent des retombées noires et poisseuses sur leurs maisons et leurs jardins.
La seule réponse, alors, consiste à tenter de rassurer la population sur le thème “ça ne sent pas bon, mais ce n’est pas toxique”. Sans succès. La référence au nuage de Tchernobyl qui, en 1986, se serait miraculeusement arrêté aux frontières françaises revient fréquemment.
S’en suit un défilé de ministres sur place, dont le premier d’entre eux, Edouard Philippe qui, le lundi 30 septembre au soir, lance une opération “transparence totale” des autorités pour tenter de calmer les esprits. Le lendemain, mardi 1er octobre, 3000 personnes accompagnées de responsables de l’opposition, manifestent dans les rues de Rouen.
Du côté de Lubrizol, si l’on insiste à longueur de communiqués, sur la solidarité avec les habitants de l’agglomération rouennaise, on s’interroge aussi largement sur les causes de l’incendie. Dans le dernier communiqué, en date du 30 septembre, on peut ainsi lire : “Une enquête est en cours depuis jeudi. La vidéo surveillance et des témoins oculaires indiquent que le feu a tout d’abord été observé et signalé à l’extérieur du site de Lubrizol Rouen, ce qui suggère que l’origine du feu est extérieure à Lubrizol et que le feu s’est malheureusement propagé sur notre site. Nous continuons de soutenir les forces de l’ordre pour les besoins de l’enquête afin de déterminer l’origine et la cause du feu”.
Accident ou acte criminel, la responsabilité dans la catastrophe sera un élément central du dossier au moment de savoir qui paie quoi. Interrogé par le quotidien français Le Figaro, un professionnel de l’assurance explique : «Nous sommes au début d’une histoire. La fin juridique de l’histoire ne sera pas connue avant plusieurs années”. Quant à Warren Buffett, il n’a, pour l’instant, pas fait le moindre commentaire sur la catastrophe.