Vaccin contre le Covid-19 : “On craint une première génération de vaccin médiocre”

Face à l'ampleur de la pandémie de coronavirus, les grandes puissances se sont lancées dans une véritable course au traitement. Au lieu d'être mis au point en dix ans, le futur potentiel vaccin contre le Covid-19 le sera en quelques mois. Compétition, accélération des processus de fabrication et opacité des laboratoires : Els Torreele, chercheuse en innovation médicale et santé publique répond à nos questions.
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Vaccin
Le laboratoire de l'Imperial College à Londres travaille sur le développement d'un vaccin contre le Covid-19. 30 juillet 2020, Londres
AP Photo/Kirsty Wigglesworth
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Els Toreele
Dre. Els Torreele est directrice générale de la campagne pour l’accès aux médicaments de Médecins Sans Frontières et chercheuse en biologie.

TV5MONDE : comment élabore-t-on un vaccin ?

Dre. Els Torreele : Il y a trois phases dans le développement de vaccins. Elles reflètent la volonté d’exposer graduellement des personnes au risque qui est qu’on ne sait pas si un vaccin ou médicament peut nuire et si deuxièmement, il peut être efficace.

La phase 1 se focalise sur la sécurité, la tolérance du produit. Les chercheurs vont sélectionner  des individus en bonne santé et observer attentivement tout ce qu’il peut arriver. A ce stade, la molécule est injectée à très faible dose. Il s’agit du premier contact entre un médicament ou un vaccin potentiel et un être humain.

Une fois qu’un vaccin est bien toléré, on passe à la deuxième phase. Les chercheurs injectent la dose dont la quantité semble suffisante pour qu’elle soit efficace. On observe à nouveau si le patient la tolère bien. On regarde aussi s’il y a eu une réponse immunitaire, afin de voir si les signes escomptés sont présents dans le corps. Dans le cas du Covid-19, ce que nous ne savons pas encore, c’est de quel type de réactions immunitaires nous avons besoin pour que le vaccin soit efficace.

Nous passons ensuite à une troisième phase, où nous nous concentrons sur l’efficacité du produit et toujours, sur la sûreté. Il s’agit d’éviter de distribuer à large échelle un produit qui n’est pas bien toléré. On augmente aussi le nombre de patients et on vérifie que le vaccin induit une immunité voulue, dans le sens où il protège contre l’infection, la mortalité ou bien qu’il atténue les symptômes. Cela dépend des objectifs de l’étude. Cette ultime phase répond à la question : le vaccin fait-il réellement ce que nous attendons de lui ?

De manière générale, nous allons très lentement. Mais avec le Covid-19, les choses s’accélèrent.


Faire un vaccin prend normalement une dizaine d’années.

Dre Els Toreele

En quoi les choses s'accélèrent-elles ?

Nous sommes dans un processus extrêmement accéléré. Quand nous fabriquons un vaccin, nous avons besoin de doses en grandes quantités, car un vaccin est fait pour être utilisé à grande échelle et accessible à tous, idéalement. Habituellement, nous commençons seulement à le produire quand nous avons des résultats validés, des résultats positifs en phase 1 et en phase 2. Or pour le Covid-19, il y a eu des essais dès janvier ou février aux deux premières phases et en parallèle des débuts de production pour pouvoir démarrer vite en phase 3. On commence actuellement des productions à large échelle au cas où un des vaccins pourrait être efficace, pour ne pas avoir un délai supplémentaire s’il y a validation de la phase 3. Toutes ces étapes se font en même temps alors qu’on les ferait normalement séquentiellement. Faire un vaccin prend normalement une dizaine d’années.

La phase 3, est-elle vraiment la ligne d’arrivée pour un vaccin ?

La phase 3 est la phase la plus avancée, certes. Mais peut-être qu’aucun des 6 vaccins qui l’ont atteinte ne la valideront. Cela fait 25 ans que l’on cherche à trouver le vaccin contre le sida. Nous n’y sommes pas encore parvenus, nous réussissons à induire des réactions immunitaires mais au passage de la phase 3, on découvre finalement que cela ne protège pas.


Il se peut qu’on accepte un vaccin efficace à 30% là où pour d’autres maladies il n’aurait jamais pu être accepté.

Dr. Els Toreele

La rapidité du processus de fabrication actuelle peut-elle impacter la qualité du vaccin ?

Il s’agit toujours d’évaluer le bénéfice/risque. Plus le bénéfice estimé est élevé, plus grand est le risque qu’on est prêt à prendre. Nous sommes actuellement dans une situation où la pression pour avoir un vaccin est telle, que nous sommes dans une acceptation du risque qui est peut-être plus grande que ce qu’on a pu avoir auparavant, avec d’autres vaccins. Tout est très relatif et pose la question suivante : qui a la légitimité de juger quel risque nous sommes prêts à prendre ? Cela dépend des pays, de la population en question, c’est une question compliquée et il n’y a pas de réponse binaire. Mais il se peut qu’on accepte un vaccin efficace à 30% là où pour d’autres maladies il n’aurait jamais pu être accepté.

Qui arbitre au niveau international la fiabilité des différentes études et  vaccins ? La société américaine Moderna va tester son produit sur 30 000 patients et l’université d’Oxford sur 5 000 patients… Pourquoi de telles différences ?

Le nombre de patients dépend du protocole, de la marche à suivre de l’étude : pour savoir de combien de patients nous avons besoin pour une étude, les scientifiques doivent estimer l’incidence, c’est-à-dire le nombre de cas de contaminations dans la population qui va être testée. Il dépend aussi de l’efficacité souhaitée du produit : recherche-t-on un vaccin qui diminue l’infection de 50%, de 70 ou de 80% ? Plus on veut être sûr des résultats que l’on affirme par rapport au vaccin, plus le nombre de patients sera grand et plus le processus sera long.


Il y a un manque de transparence.

Dre. Els Toreele

Aucune instance internationale ne semble avoir d’autorité sur les laboratoires fabriquant les vaccins. Est-ce particulièrement le cas avec la course au vaccin actuelle ?

En effet, il n’y a pas de mécanisme de supervision global, international pour valider les études. Il y a un manque de transparence. On ne connaît pas les objectifs primaires des études menées par les différents laboratoires actuellement, ni quelles hypothèses statistiques ils mettent en avant. Finalement, chaque producteur de vaccin contre le Covid-19 est libre sur le protocole adopté (ndlr : il édicte ses propres règles quant à la fabrication et la validation).

Quel est le risque avec le vaccin du Covid-19 ?

Le risque est que chaque producteur construise un protocole qui donnera à voir un très bon résultat. Cela ne voudra pas dire que le vaccin est réellement efficace sur le terrain. On dit souvent qu’avec les statistiques on peut tout dire. C’est assez vrai. On peut créer des conditions d’études qui favorisent l’obtention de résultats positifs, mais ces résultats ne sont pas spécialement les réponses dont nous avons  besoin pour répondre à un problème de santé publique.

Il existe tout de même des recommandations aux fabricants ?

Oui, les laboratoires ont des recommandations sur le profil acceptable d’un vaccin contre le Covid-19. Actuellement, on préconise que le vaccin doit diminuer d’au moins 50% l’infection. Mais c’est une simple recommandation. Les firmes pharmaceutiques ne sont pas obligées de la suivre. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a pris une bonne initiative récemment, en délivrant un protocole d’étude standardisé, appelé « the solidarity trial ». Il demande à tous les développeurs de mettre à disposition de la communauté internationale leur vaccin pour permettre une étude indépendante. Elle permettra d’évaluer et comparer chaque vaccin. C’est la seule manière de pouvoir vraiment savoir comment les différents produits se comportent dans une même situation et voir lequel est réellement le plus efficace.

Regrettez-vous la concurrence et la course commerciale pour le vaccin du Covid-19 ? Si oui, pourquoi ?

Ce dont nous avons besoin, c’est de réunir les meilleures connaissances et technologies pour avoir le plus de chances de faire face à cette pandémie. Mettre les différents groupes scientifiques en concurrence avec leurs produits sans avoir la possibilité de combiner les meilleurs éléments de l’un et les meilleurs éléments de l’autre, c’est dommage. On craint une première génération de vaccin médiocre. Le risque est qu’ils seront sûrement utilisés de manière massive en oubliant d’autres vaccins à l’élaboration plus lente, qui auraient un meilleur potentiel.

Vous dénoncez l’opacité des laboratoires dans l’élaboration du vaccin. Pourquoi ?

Il n’y a pas de transparence concernant les accords signés entre les firmes et les gouvernements qui y mettent énormément d’argent, du secteur public. On nous dit qu’il n’y aura pas de profit avec la vente d’un potentiel vaccin. Mais nous n’avons rien qui nous le prouve. On peut aussi craindre que le vaccin soit inaccessible de par son prix de vente aux pays pauvres ou en voie de développement.

Il y a aussi un souci de clarté avec les données cliniques, notamment de pays comme l’Inde, la Chine, la Russie… Quand on regarde dans les médias leurs déclarations, il n’y a pas de transparence sur les données qui sont à la base de leurs affirmations. Elles permettraient d’être analysées par des scientifiques indépendants et de mettre en balance l’efficacité du vaccin.

Enfin, nous sommes face à un problème de propriété intellectuelle. Qui a vraiment le pouvoir décisionnel sur la production, sur le lieu où le vaccin va être produit, où il sera distribué. L’OMS a mis en place l’« Act accelerator » (ndlr : collaboration internationale sur la prévention, le traitement et la recherche du vaccin) et elle a pris de nombreuses décisions. De concert avec qui ? On ne sait pas. Il n’y a pas eu de participation de la part de la société civile et de nombreux pays hors Europe, Etats-Unis et Chine ne sont pas à la table des discussions et ne savent pas s’ils auront accès au vaccin et quand. Or, cet Act accelerator est censé promouvoir un échange d’informations international.