Choquant ?
Troublante illustration de cette ambiguïté, le tableau La Blanche et la noire. On y voit, clope au bec, dans une "mâle attitude" une femme noire drapée de bleu contemplant sur un lit défait une dormeuse rousse à la nudité relâchée. Qui sont-elles ? Servante et maîtresse, amantes ? Le regard de la noire est fixe, insistant. La blanche, yeux clos, a la tête détournée. Abandon d’après l’amour, rejet de l’autre ? Le trait est quasi photographique, le huit-clos total. Le spectateur est voyeur de ce que les commissaires appellent l’ « érotisme glacé de Vallotton ».
Katia Poletti, conservatrice à la Fondation Vallotton de Lausanne qui a permis d'apporter des tableaux de collections privées, souligne : « Aujourd’hui, le public est prêt, tandis que l’exposition au Petit Palais en 1979 avait fait un bide : trop choquante pour l’époque ». Difficile à croire. Le « Nabi étranger » (comme le surnommaient ses amis de ce courant artistique né à la fin du XIXe en rejet à l’académisme), ce Nabi étrange et profondément suisse malgré son amour pour Paris restait donc capable, un demi-siècle encore après sa mort, de choquer le bourgeois ?
Ce rejet en dit long sur la puissance évocatrice de Vallotton. L’écrivaine Maryline Desbiolles ne dit pas autre chose dans son essai
Vallotton est inadmissible : « J’ai été frappée par la peinture de Vallotton au sortir de l’adolescence. Une peinture bien plus violente que froide, parfois même cruelle. Elle m’accompagne depuis. La peinture de Vallotton ne me raconte pas d’histoires, ne me berce pas d’illusions, ne me jette pas des paillettes aux yeux. Vallotton me cloue le bec ».