Venezuela : au-delà de la hausse du salaire minimum de 17%

Le Venezuela est connu pour son président, Hugo Chávez, et sa politique socialiste, décriée par les uns, encensée par les autres. Ce samedi 1er septembre 2012 a marqué une nouvelle étape dans la politique sociale en direction des couches populaires, puisque le salaire minimum s'est vu encore augmenter, et cette fois-ci de 17%. 
Parti-pris sur les succès de la révolution bolivarienne.
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Venezuela : au-delà de la hausse du salaire minimum de 17%
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On ne parle le plus souvent du Venezuela que pour s'inquiéter des déclarations tonitruantes de son président, Hugo Chávez, et d'une possible dictature socialiste qui pourrait survenir dans ce petit pays de 28 millions d'habitants, l'un des principaux producteurs de pétrole au monde au côté de l'Arabie saoudite ou de la Russie et quatrième en gaz naturel. Il faut dire que Chávez, avec sa "politique socialiste du XXIème" siècle, renommée "révolution bolivarienne" n'est pas le candidat idéal pour les superpuissances occidentales converties au libéralisme économique depuis des décennies. La hausse du salaire minimum de 17,25% n'est que l'une des actions gouvernementales en faveur des classes ouvrières, mais elle hisse le Venezuela au rang du pays d'Amérique latine possédant le salaire minimum le plus élevé : 2047 bolivars, soit l'équivalent de 476 dollars américains, salaire complété par les bons alimentaires d'état, permettant en réalité à 4 millions de vénézuéliens touchant le salaire minimum de bénéficier mensuellement de 3000 bolivars (soit 698 dollars américains). Pourtant, se faire une idée aujourd'hui de l'état économique, politique et social du Venezuela reste difficile tant les détracteurs ou les soutiens de la politique du "président des pauvres" occupent l'espace médiatique au détriment d'une information objective de la réalité du pays : il y a beaucoup à dire sur la "politique bolivarienne". Au delà de la personnalité tapageuse de son président et des discours simplificateurs qui résument souvent le Venezuela.

Des réformes importantes

Venezuela : au-delà de la hausse du salaire minimum de 17%
Le président de la république bolivarienne du Venezuela, Hugo Chavez
Les premières réactions à la hausse du salaire minimum au Venezuela, de ce côté-ci de l'Atlantique sont symptomatiques d'une certaine vision politique : Chávez serait un président populiste, les élections présidentielles auront lieu dans un mois et demi et l'augmentation en question ne serait qu'un "appât électoral". Cette vision d'un cadeau à visée purement électoraliste peut s'entendre et correspond assez bien au fonctionnement des démocraties européennes, mais n'est pas particulièrement pertinente dans le cas du Venezuela et de la présidence Chávez : une hausse de 25% du salaire minimum avait déjà eu lieu en 2011, une autre de 15% en mai 2012 et surtout, la politique en faveur des classes populaires et des couches les plus pauvres de la population promise par le président élu en 1998, réélu en 2000 et 2006, avec une tentative de coup d'Etat en 2002 à son encontre, ne s'est jamais démentie. La hausse du salaire minimum n'est donc en réalité qu'une pièce parmi tant d'autres de la politique de la "révolution bolivarienne". Cette "révolution démocratique", basée sur un nombre très important de réformes se poursuit depuis plus de 10 ans. Les points les plus importants pour la résumer sont : les investissement sociaux massifs dans les secteurs de la santé, de l'éducation, de l'alimentaire, la nationalisation (qui va avec l'expropriation des groupes privés) des secteurs pétroliers, télécommunications, électricité, du commerce de détail (chaînes de supermarchés), des politiques fortes de logement social, et de quatre réformes constitutionnelles en faveur de la démocratie participative. Certains acteurs du système politique et économique vénézuélien ne sont pas restés sans réaction face à ces changements majeurs d'orientation dans un pays attaché au cours des années 80 et 90 à une économie libéralisée et proche de celle des USA. L'opposition libérale, très active, ne manque donc pas de décrier Chávez et sa politique depuis son premier mandat. Les réformes constitutionnelles engagées ont été l'occasion d'attaques assez marquantes, autant au sein de la république bolivarienne du Venezuela que dans les démocraties occidentales. Ce qui dénote un savoureux décalage, quand on sait par exemple que la démocratie participative, mise en place par Hugo Chávez, permettant, après signature de 20% des citoyens de révoquer n'importe quel haut fonctionnaire dont le président de la République lui-même, n'existe toujours pas en France, en Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis. Chávez a donc subi le référendum "révocatoire" qu'il avait lui-même instigué en 2004, et le "non" à sa révocation l'a emporté à 58%. Le vote était surveillé par  la Fondation Carter et par l'Organisation des États américains.

Une politique socialiste qui gêne ?

Venezuela : au-delà de la hausse du salaire minimum de 17%
La pêche artisanale connaît un essor important au Venezuela depuis l'interdiction de la pêche industrielle au chalut en 2009
Les actions de la révolution bolivarienne en faveur de la réduction des inégalités sont bien résumées sur le site de la diplomatie française : "S’appuyant sur d’importantes réserves pétrolières (les premières de la planète), le régime a mis en place une importante politique de redistribution en vue de lutter contre la pauvreté et les inégalités au travers des Misiones. Ces vastes programmes sociaux (on en dénombre aujourd’hui une vingtaine) visent à améliorer l’accès des plus démunis à la santé, l’éducation, l’alimentation, voire l’emploi grâce aux multiples recrutements dans la fonction et les entreprises publiques ainsi que dans de nombreuses institutions para-publiques, des coopératives ou des "entreprises de production socialistes". Ils sont mis en œuvre avec l’aide de 40000 coopérants cubains environ, dont une majorité concerne les professions de santé. Près de la moitié des dépenses totales de ces programmes (45,7% du budget 2010) est destinée à réduire la pauvreté qui, selon la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC), a reculé de 54% à 23,8% de 2003 à 2009, avec un chômage qui a chuté sous la barre des 10% et un pouvoir d’achat qui s’est accru. En outre, de réelles avancées sont à constater dans le cadre des Objectifs du millénaire pour le développement : éducation primaire pour tous (97% des enfants seraient scolarisés au Venezuela) ; lutte contre les inégalités de genre (création d’un Ministère pour la Femme) ; réduction de la mortalité infantile (16,4 pour 1000 habitants) ; santé des femmes ; politique anti déforestation ; accès à l’eau potable (94% de la population y aurait accès)." Mais le soupçon de despotisme de la part du président Chávez n'est pas écarté, particulièrement sur trois points soumis à référendum en 2007 : la non limitation du nombre de mandats présidentiels, la possibilité de mesures d'exceptions pour la liberté de la presse en cas d'état d'urgence et l'inscription du socialisme dans la constitution vénézuélienne. Ces modifications ont été rejetées par les votants à 50,7%. La non limitation des mandats présidentiels a, elle, été votée une nouvelle fois et acceptée en 2009, d'où la candidature de Chávez pour un troisième mandat en octobre 2012. L'idée d'une présidence à vie pour Hugo Chávez a été soulevée en France, pays qui ne limite pourtant pas le nombre de mandats présidentiels, à la nuance près de deux mandats consécutifs : Jacques Chirac aurait pu se présenter en 2012 alors qu'il avait déjà effectué deux mandats présidentiels… Si la politique en faveur de la réduction des inégalités est un succès, c'est la personnalité de Chávez qui semble gêner les observateurs occidentaux, avec ses discours enflammés, sa rhétorique d'extrême gauche, son agressivité d'ancien militaire putchiste, ses amitiés avec le président iranien : ou bien la réalité des succès sociaux et économiques du Venezuela de Chávez gêne-t-elle les partisans de l'économie "purement capitaliste" qui déterminent la qualité d'un pays à son taux de libéralisation des services publics ?

“Socialisme pétrolier“ contre “capitalisme pétrolier“

Aucune expérience politique n'est parfaite, et le Venezuela n'échappe pas à certain effets pervers de l'Etat providence socialiste pétrolier promu par Hugo Chávez et ses partisans. La classe moyenne vénézuélienne, qui représente désormais 50% de la population (elle-même constituée de 3% d'une classe moyenne supérieure, de 17% d'une classe moyenne classique et des 30% restants considérés comme composant la classe moyenne modeste) est partagée entre détestation de la politique "bolivarienne", doute et engouement. Le paradoxe, une nouvelle fois, est que cette population a accédé en grande partie à ce statut social grâce aux politiques d'éducation qui ont permis une augmentation de près de 200% des inscriptions à l'université entre 1998 et 2011. D'après les chercheurs de l'Institut National de Statistiques du Venezuela, les 17% de classe moyenne "classique" ne sont plus intéressés par les politiques de logements sociaux et d'aide alimentaire d'Hugo Chávez : elles se sont appropriées les valeurs et les attentes du haut de la pyramide sociale, désirent désormais autre chose que de l'aide, veulent progresser vers les couches supérieures par elles-mêmes. Les 3% de la classe supérieure (les plus riches) détestent Chávez ouvertement et veulent son départ, alors que les 30% de classe moyenne modeste sont indécis. Quant au reste de la population, il plébiscite Hugo Chávez. Au delà de la redistribution de la manne pétrolière aux couches les plus démunies, le gouvernement d'Hugo Chávez a assoupli certains mécanismes économiques normalement réservés aux politiques libérales : la TVA sur les véhicules a été supprimée, les taux d'emprunt sur l'immobilier abaissés, et par exemple les détenteurs de carte de crédit ont doublé en l'espace de 10 ans avec des taux d'intérêts de plus en plus faibles. Si la croissance a chuté au moment de la crise financière mondiale en 2008-2009, le Venezuela est revenu en 2011 à un taux de 4% de croissance. Mais les détracteurs de cette politique estiment que rien ne serait possible sans le pétrole, que l'économie vénézuélienne, les progrès sociaux ne sont qu'une fabrication artificielle de l'Etat. Cette vision des choses parfaitement juste, oublie une chose : la manne pétrolière n'est pas survenue avec l'arrivée d'Hugo Chávez et sa révolution bolivarienne. Entre 1978 et 1998, alors que pétrole coulait à flots (mais avec une chute du prix du baril), le chômage avait triplé pour atteindre 11,5% (il est de 7,8% aujourd'hui), le PIB par habitant avait lui reculé de 18%, le salaire réel avait perdu près de 50% de sa valeur. Malgré cela, le secteur privé était parvenu à envoyer à l'étranger plus de 30 milliards de dollars entre 1984 et 1998. Les programmes du FMI les plus durs ont été mis en place à cette époque avec la révision des tarifs des services publics, les coupes des aides sociales, le privatisation des entreprises publiques qui ont engendré une paupérisation inouïe. Lorsque le FMI imposait sa politique d'austérité, la dette publique du Venezuela était de 45%. Elle est aujourd'hui de 25%. C'est une économie brisée qu'Hugo Chávez a dû gérer quand il est arrivé au pouvoir la première fois en 1998. La politique bolivarienne n'a pas ruiné l'économie, au contraire.

Le miracle social, au delà de l'idéologie

Les performances des entreprises publiques vénézuéliennes peuvent être critiquées, des problèmes de production, de distribution chaotiques de certaines aides sont réels, mais le miracle social vénézuélien est difficilement contestable : que se passerait-il si des pays africains, riches en pétrole ou en gaz, comme l'Angola appliquaient ce type de politiques ? Ces pays aux richesses naturelles énormes et dont les populations sont les plus pauvres au monde doivent-ils toujours suivre le modèle que leur impose le FMI depuis des décennies ou bien pourraient-ils suivre l'exemple vénézuélien ? A écouter les adversaires et détracteurs d'Hugo Chávez, mieux vaut un pays à la population affamée avec un pouvoir politique appliquant une politique libérale qu'un pays à la population éduquée et bien portante mais "socialiste".  L'idéologie semble plus importante que la réalité, même la plus difficile : il serait pourtant peut-être intéressant de regarder les succès de la révolution bolivarienne du Venezuela sans se préoccuper de l'idéologie politique qui la soutient, puisqu'au final, c'est le bien-être des peuples dans leur majorité qui compte. Pas les idéologies politiques.

Quelques précisions sur la révolution bolivarienne

Quelques précisions sur la révolution bolivarienne
Affiche de soutien à la révolution bolivarienne
Distribution partielle des terres à des coopératives d'agriculteurs, sous le régime de la propriété communale. Nationalisation de pans entiers de l'économie du pays — généralement contrôlés par des monopoles ou des oligopoles privés. Exemples : en 2008 le sidérurgiste Sidor est partiellement nationalisé (20 % contrôlé par l'État et 20 % par les salariés de l'entreprise), suivi par une usine de production de ciment de la multinationale Cemex. En 2009 le producteur d'électricité EDC (Electricidad de Caracas, 11% de la production du pays) a été acheté par PDVSA rejoignant le pôle publique dominé par EDELCA, ENELBAR et ENELVEN-ENELCO. Système national public de santé permettant de garantir l’accès gratuit aux soins à tous les Vénézueliens. Le système de distribution de nourriture subventionnée, le MERCAL, a débouché selon le journal "La Croix" sur la pénurie de certains produits, car ils sont payés à un prix imposé par l'État en dessous du prix du marché. Couplé avec la hausse mondiale du cours des matières premières alimentaires, cela a débouché sur une situation de pénurie grave en 2007 de produits de base. Le gouvernement Chávez a mis en place en réponse un programme d'échange « Pétrole contre nourriture » avec ses voisins sud-américains. Il accuse par ailleurs Nestlé et Parmalat, ainsi que les banques, de provoquer, de diverses façons, ces désordres; l'opposition pointe quant à elle les mesures socio-économiques du gouvernement comme responsables de la crise. La culture des OGM est interdite. La pêche industrielle au chalut est interdite en 2009 pour permettre aux pêcheurs artisanaux de gagner leur vie. Un système de banque de semences est mis en place. Son but officiel est de préserver la diversité des plantes. Des systèmes de microcrédits d'initiative publique sont mis en place afin de faciliter le développement des petites entreprises parmi les franges les plus pauvres de la population n'ayant pas accès au crédit bancaire.