Fil d'Ariane
Dans un climat tendu, les bureaux de vote ont ouvert dimanche
30 juillet à 10h00 (GMT) pour désigner les 545 membres de cette assemblée, un super-pouvoir qui va diriger le pays pour un temps indéterminé. "Nous sommes à la veille d'une grande victoire électorale. Ils n'ont pu empêcher la Constituante. C'est déjà une réalité politique", a lancé Nicolas Maduro ce samedi lors d'un meeting. Le président a lui-même voté dès l'ouverture du scrutin dans un bureau à l'ouest de la capitale Caracas.
Contre vents et marées, Nicolas Maduro a mené son projet à bon port : un atout qu'il a sorti de sa manche au milieu des manifestations qui, depuis quatre mois, réclament son départ du pouvoir.
Morts par balles, lynchages, vandalisme, immeubles et camions incendiés, villes quasi paralysées par des nuages de gaz lacrymogènes, jets de pierres et cocktails Molotov ont aggravé la crise dans ce pays polarisé et au bord de l'effondrement économique.
Après avoir échoué à arrêter ce projet par ses manifestations, grèves, barrages, l'opposition a appelé à un rassemblement massif ce dimanche à Caracas, la capitale, et à dresser des barricades dans tout le pays, bien que le gouvernement ait menacé d'emprisonner ceux qui feraient obstacle au scrutin.
"Il en restera que cette fraude constitutionnelle et électorale est la plus grave erreur historique qu'ait pu commettre Maduro", a affirmé le député Freddy Guevara, au nom de la coalition Table de l'unité démocratique (MUD).
La MUD rejette la Constituante, arguant qu'elle n'a pas été convoquée par un référendum préalable et que le mode de scrutin a été organisé de manière à ce que le gouvernement la contrôle et rédige une Constitution instaurant une dictature communiste. "Elle n'a pas été convoquée pour résoudre les problèmes du pays, mais celui d'une révolution qui ne peut gagner des élections", selon Luis Vicente Leon, président de l'institut de sondage Datanalisis.
Nicolas Maduro et sa Constituante ont le soutien des pouvoirs judiciaire, électoral et militaire. Mais plus de 80% des Vénézuéliens désapprouvent sa gestion du pays et 72% son projet, selon l'institut.
Le président juge néanmoins la Constituante nécessaire pour freiner la violence et sauver l'économie d'un pays qui, en dépit de sa richesse pétrolière, est confronté à une grave pénurie d'aliments et de médicaments.
Bien qu'il dise vouloir la paix, des personnalités qui siègeront dans cette assemblée, comme le puissant Diosdado Cabello, ont menacé de s'en servir pour envoyer des gens en prison ou dissoudre le Parlement, dominé par l'opposition, et démanteler le Parquet.
Chaviste de longue date, la Procureure générale, Luisa Ortega, a dénoncé une rupture de l'ordre constitutionnel et appelé à rejeter la Constituante, provoquant une débandade au sein du mouvement.
Avec ce projet, Nicolas Maduro s'est mis à dos les Etats-Unis, importateurs de 800 000 des 1,9 million de barils de brut que produit le Venezuela, ainsi que plusieurs pays d'Amérique latine et d'Europe.
L'ex-chef du gouvernement espagnol, José Luis Zapatero, a insisté ce samedi sur la nécessité d'une nouvelle table de dialogue, après celle qui a échoué en décembre dernier, estimant que "le premier responsable est le gouvernement (...) bien que sans la volonté et la détermination de l'opposition, rien n'est possible".
Washington a imposé des sanctions à 13 fonctionnaires et militaires proches du chef de l'Etat, dont la présidente du pouvoir électoral, Tibisay Lucena, accusés d'attenter à la démocratie, de violations des droits humains ou de corruption.
La Colombie et le Panama ont annoncé qu'ils ne reconnaîtraient pas la Constituante, les Etats-Unis ont menacé d'autres sanctions. "La dictature s'auto-isole", a affirmé le député Guevara.
Le président socialiste accuse l'opposition de fomenter un coup d'Etat avec l'appui de Washington et de "gouvernements laquais".
L'élection suscite des craintes d'une aggravation du chaos. Nombre de Vénézuéliens ont stocké de la nourriture, voire quitter le pays. Les Etats-Unis, le Canada et le Mexique ont appelé leurs ressortissants à ne pas se rendre au Venezuela et plusieurs compagnies aériennes ont suspendu leurs vols.
Le Conseil national électoral (CNE) a cependant indiqué que tout est prêt et que les militaires garantissent le déroulement du scrutin. Arguant de "menaces de l'opposition", il a permis aux électeurs de voter dans n'importe quel bureau de leur commune.
Selon l'analyste Benigno Alarcon, le gouvernement cherche à éviter une forte abstention, après les 7,6 millions de votes que la MUD assure avoir réunis lors d'un référendum symbolique organisé il y a deux semaines contre le projet.
Mais grâce au mode de scrutin, combinant vote territorial et par secteurs sociaux, 62% des 19,8 millions d'électeurs pourront se prononcer deux fois. Ce qui va compliquer le calcul des résultats, selon l'expert électoral Eugenio Martinez.