Le président socialiste vénézuélien Nicolas Maduro a porté un grand coup à ses opposants: à peine installée, la Constituante qu'il a dotée de pouvoirs illimités a limogé une adversaire des plus coriaces, la procureure générale Luisa Ortega, au risque d'aggraver encore les tensions avec la communauté internationale.
La nouvelle Assemblée constituante du Venezuela, dotée de pouvoirs illimités, a démis samedi de ses fonctions Luisa Ortega, devenue l'une des principales opposantes au président socialiste Nicolas Maduro.
Mme Ortega sera remplacée provisoirement par le
"défenseur du peuple" (ombudsman) Tarek William Saab, a annoncé l'Assemblée, qui a également décidé qu'elle siègerait pour une durée maximale de deux ans.
Dans la matinée, des unités de la Garde nationale bolivarienne (GNB) avaient empêchée Luisa Ortega d'accéder aux bureaux du Parquet général dans le centre de Caracas.
"Non seulement ils arrêtent les gens arbitrairement, mais ils les font juger par la justice militaire, et maintenant ils ne laissent pas entrer la procureure générale dans son bureau", avait-elle déclaré aux médias présents sur place.
Luisa Ortega aux médias : "C'est une dictature!"
"C'est une dictature", avait-t-elle dénoncé avant de quitter les lieux assise à l'arrière d'une moto, tout en promettant de continuer
"à lutter pour la liberté et la démocratie au Venezuela".
Dans l'après-midi, au cours d'une séance publique et télévisée, les membres de la nouvelle Assemblée constituante ont voté à main levée sa révocation. Il ne restait plus à Delcy Rodriguez, présidente de la Constituante, de proclamer, avec le sourire, la révocation
"à l'unanimité" de Mme Ortega.
"Procureur, traîtresse, ton heure est arrivée", ont aussitôt scandé à plusieurs reprises nombre de participants.
La Cour suprême de justice ((TSJ), accusée par l'opposition d'être inféodée au pouvoir, a annoncé plus tard que Mme Ortega serait jugée pour des
"irrégularités". Ses comptes ont par ailleurs été bloqués et il lui a été interdit de quitter le pays.
L'opposition dénonce "la prise en otage" des institutions
Le Parquet général, que dirige Luisa Ortega, avait ouvert mercredi une enquête pour fraude électorale présumée lors du scrutin de l'Assemblée constituante le 30 juillet, réclamant en outre l'annulation de l'installation de cette toute-puissante institution. Nommée en 2007 par le président Hugo Chavez (1999-2013), Mme Ortega était la principale figure institutionnelle à oser défier publiquement son successeur.
Samedi, Luisa Ortega a dénoncé
"un coup d'Etat contre la Constitution" mené par le gouvernement de M. Maduro.
"Je ne reconnais pas ces décisions (...) parce qu'elles vont à l'encontre de la Constitution et de la loi", a-t-elle déclaré.
L'opposition vénézuélienne a dénoncé
"la prise en otage" des institutions après le limogeage samedi de la procureure générale Luisa Ortega par l'Assemblée constituante voulue par le président Nicolas Maduro.
"Ce qui se passe au Venezuela, c'est une prise en otage totale de toutes les institutions par un seul camp, par un seul parti politique."Julio Borges, président du parlement, seule institution contrôlée par l'opposition
Luisa Ortega, une chaviste qui défie Maduro
Limogée sèchement samedi par la toute nouvelle Constituante, la procureure générale Luisa Ortega est devenue ces derniers mois une opposante de poids à Nicolas Maduro, n'hésitant pas à exprimer tout haut les critiques de certains chavistes contre le chef de l'Etat.
Elle a élevé la voix une première fois le 31 mars, dénonçant une "
rupture de l'ordre constitutionnel" après la décision de la Cour suprême (TSJ) de s'arroger les pouvoirs du Parlement, seule institution contrôlée par l'opposition. Cette décision du TSJ a été l'étincelle d'une vague de protestations qui a fait plus de 120 morts en quatre mois, bien qu'elle ait été annulée 48 heures plus tard.
Depuis, la procureure n'a cessé de décocher ses flèches, contestant l'impartialité des magistrats du TSJ tout en critiquant l'armée, pilier du pouvoir du président, pour son recours à la violence contre les manifestants anti-gouvernementaux. Elle n'a pas hésité non plus à critiquer directement le chef de l'Etat pour son projet de réforme de la Constitution à travers l'élection le 30 juillet d'une Constituante dotée de pouvoirs illimités et dominée par ses partisans.
Une "traîtresse" limogée pour "démence" et "extrémisme"
Qualifiée de
"traîtresse" dans son propre camp, cette blonde et élégante avocate de 59 ans originaire de l'Etat d'Aragua (nord), sans enfants, a toujours été de gauche.
Accompagnant Hugo Chavez dans sa campagne présidentielle de 1998, elle a ensuite gravi les échelons jusqu'à être élue puis réélue procureure générale par le Parlement, alors contrôlé par les chavistes.
Au-delà de ses convictions chavistes, c'est aussi "
une personne avec beaucoup de trempe, courageuse et honnête", qui
"affronterait n'importe quel (obstacle) pour défendre ses valeurs", avait confié récemment à l'AFP son mari depuis 18 ans, German Ferrer, lui-même député chaviste. Réputée disciplinée et ferme de caractère, Luisa Ortega a commencé à perdre la foi dans le gouvernement socialiste en 2016 car elle désapprouvait les arrestations de certains opposants, a-t-il expliqué.
Son franc-parler avait irrité dans son camp, poussant un député socialiste, Pedro Carreño, à exiger son limogeage pour
"démence", le gel de ses biens et une interdiction de quitter le pays. Nicolas Maduro lui-même voyait en elle une nouvelle
"leader de l'opposition", l'accusant d'
"extrémisme" et lui prêtant
"l'intention d'être candidate à la présidentielle" pour la coalition de l'opposition.
Divisions au sein du pouvoir
Les prises de position de Mme Ortega ont montré que Nicolas Maduro, même s'il contrôle la quasi-totalité des institutions depuis son élection en 2013, ne fait pas l'unanimité dans ses propres rangs. Pour le politologue Nicmer Evans, lui aussi chaviste critique, Luisa Ortega
"représente le chavisme digne, démocratique, face aux prétentions totalitaires du madurisme".
Au fil des mois, elle est ainsi devenue la voix des chavistes critiques de Maduro. Début juin, un autre chaviste historique, le général à la retraite Alexis Lopez, a démissionné de son poste de secrétaire du Conseil de défense de la nation pour exprimer son désaccord avec le président. D'autres ex-ministres ou anciens gradés s'étaient dits opposés à la réforme de la Constitution, perçue par les adversaires de M. Maduro comme une manoeuvre pour s'accrocher au pouvoir.
Même si l'armée continue d'afficher publiquement son soutien au régime, les experts n'écartent plus de possibles fissures dans l'institution, qui dispose d'un énorme pouvoir politique et économique au Venezuela.
"Les divisions existent. Il y a des factions", estime l'experte en questions militaires Rocio San Miguel. Et
"la Constituante est l'excuse parfaite pour un repositionnement entre ceux qui disent défendre l'héritage de Chavez et ceux qui sont désormais plus fidèles à Maduro".
Avant son limogeage, l'analyste Félix Seijas avait estimé que Luisa Ortega pourrait constituer un
"pont" entre la frange critique du chavisme et l'opposition, un moyen de relancer enfin le dialogue entre les deux camps, gelé depuis fin 2016. Une hypothèse aujourd'hui fortement compromise.
Tollé de la communauté internationale
Ce limogeage risque d'empirer les relations déjà tendues du Venezuela avec la communauté internationale, inquiète de la dérive autoritaire du régime. A Washington comme ailleurs sur le continent américain, des voix s'élèvent pour dénoncer la gestion de Nicolas Maduro.
"Les Etats-Unis condamnent la destitution illégale de la procureur du Venezuela @LortegaDiaz", a réagi sur Twitter la porte-parole du département d'Etat Heather Nauert, dénonçant
"la dictature autoritaire de Maduro".
La présidente du Chili, Michelle Bachelet, a affirmé sur Twitter que ce renvoi
"est un pas de plus dans la rupture démocratique et ne contribue pas à la paix pour le peuple vénézuélien". Pour le président colombien Juan Manuel Santos, il s'agit du
"premier acte dictatorial" de la Constituante.
Le Mercosur suspend le Venezuela pour "rupture de l'ordre démocratique"
Autre signe de cette tension: réunis samedi à Sao Paulo, les ministres des Affaires étrangères du Brésil, de l'Argentine, de l'Uruguay et du Paraguay ont décidé de suspendre le Venezuela du Mercosur, le marché commun sud-américain,
"pour rupture de l'ordre démocratique".
Pour lever cette suspension, le Mercosur a posé comme conditions
"la libération des prisonniers politiques, la restauration des compétences de pouvoir législatif, la reprise du calendrier électoral et l'annulation de l'Assemblée constituante". Le secrétaire de l'Organisation des Etats américains (OEA), Luis Almagro, a apporté son soutien au Mercosur.
Nicolas Maduro a aussitôt répliqué que son pays ne serait
"jamais" exclu du Mercosur et dénoncé une tentative de
"blocus économique, financier, commercial et politique comme celui imposé à Cuba dans les années 60".