Fil d'Ariane
Malgré ses appels à l'insurrection et au ralliement de l'armée, l'opposant et président auto-proclamé Juan Guaido a échoué, les 30 avril et 1er mai, à renverser le régime chaviste dirigé par Nicolas Maduro. Les Etats-Unis menacent de plus en plus ce dernier d'une intervention militaire. La Russie hausse le ton. Un certain doute gagne les soutiens internationaux de l'opposant. Etat d'un duel au sommet et répercussions en cinq questions.
L’opposant au gouvernement chaviste, Juan Guaido, reconnu comme président par intérim par les siens et par une cinquantaine de pays dont les États-Unis ou la France, a cru pouvoir donner le dernier coup de boutoir à son ennemi toujours au pouvoir. Le 30 avril, entouré de quelques militaires, il appelle la foule à « inonder les rues du Venezuela » et surtout l’ensemble de l’armée à se retourner contre Nicolas Maduro. Assaut théoriquement final, nommé par lui « opération liberté ».
De violentes manifestations se déroulent en effet dans la journée. Une rumeur, alimentée par la Maison Blanche elle-même, annonce la fuite du président en exercice. Elle s’avère mensongère, ou infondée. Maduro paraît en fin de journée à la télévision, entouré d’officiers à ses ordres. Le coup de force a tourné court, l’armée n’a pas suivi.
De nouvelles manifestations importantes ont lieu le 1er mai mais ne font rien basculer. Les jours suivants sont marqués par un net reflux de la mobilisation de rue, malgré de vains appels de Guaido au soulèvement de la population et de l’armée. Bilan humain de la semaine : 5 tués, des dizaines de blessés, 233 arrestations.
C’est clairement un échec pour Juan Guaido. « Certaines personnes n’ont pas tenu parole », regrettera-t-il dans un entretien à l’AFP. Beaucoup, en réalité, lui ont manqué. Des officiers décisifs, le ministre de la Défense Vladimir Padrino, dont le retournement était espéré, ainsi que plusieurs dirigeants pressentis. Pour Michael Shifter du centre de réflexion basé à Washington Inter-American Dialogue, l'opposition « a sous-estimé la capacité de résistance de Maduro ». Cela pourrait conduire à une « phase de frustration et de méfiance », juge de son côté Luis Vicente Leon, directeur du cabinet Datanalisis, cité par l’AFP.
Ce n’est pas le premier revers pour Juan Guaido. Malgré l’enthousiasme des pays voisins et des chancelleries occidentales, son auto-proclamation le 23 janvier comme nouveaux maître du pays ne s’est pas traduite dans les faits. Un mois plus tard, sa tentative de provoquer une épreuve de force en imposant l’entrée médiatique d’un convoi humanitaire états-unien refusé par le gouvernement Maduro a également tourné court.
Le risque d’un nouvel échec était un durcissement de la répression et c’est ce qui se produit. La Cour suprême, que l'opposition accuse d'être à la solde de Nicolas Maduro, a inculpé ce 8 mai de haute trahison, trois nouveaux députés d'opposition, portant à dix le nombre d'élus poursuivis pour leur soutien à la tentative d'insurrection. Parmi eux : Edgar Zambrano, bras droit de Juan Guaido et vice-président de l'Assemblée nationale, arrêté par le Sebin, le service de renseignement du régime. Juan Guaido dénonce un « démantèlement » du Parlement par Maduro.
Plusieurs figures de l’opposition se sont réfugiées dans des ambassades de pays favorables à Juan Guaido. Elles se mettent ainsi à l’abri d’une arrestation mais ces départs de fait, dans un certain désordre, affaiblissent leur camp à court terme.
Il serait cependant très hâtif de voir dans ces revers le naufrage de Juan Guaido, qui reste pour sa part libre, actif, toujours l’adversaire reconnu et internationalement soutenu du gouvernement chaviste.
Elle s’aggrave un peu mais reste théâtrale. Cette internationalisation était inscrite dans le soutien initial ouvert des États-Unis à la prise de pouvoir de Juan Guaido – assorti d’une menace d’intervention militaire – ainsi que par la hâte de leurs principaux alliés d’Amérique latine et d’Europe à s’aligner sur cette reconnaissance d’un coup de force, sinon d’État. Outre l’opposition de puissances qui ne sont pas mineures (Russie, Chine, Turquie, Iran …), en délicatesse avec le camp « occidental », des fissures ou grincements sont apparus dans ce dernier.
Ils se sont accentués avec la prolongation de la crise et l’incapacité de Guaido à prendre la réalité du pouvoir. L’épisode de la semaine du 1er mai et surtout la surenchère américaine vient exacerber les tensions. Rendant leur influence au Venezuela responsable du maintien de Maduro, le Secrétaire d’État Mike Pompéo franchissait le 5 mai une étape verbale : « L'objectif est très clair. Nous voulons que les Iraniens, les Russes, les Cubains partent ».
Réponse de Moscou, par la voix du ministre des Affaires étrangères Sergey Lavrov : « Nous sommes témoins d'une campagne sans précédent des États-Unis pour renverser les autorités légitimes du Venezuela (…) Nous appelons les Américains, et tous ceux qui les soutiennent, à abandonner leurs plans irresponsables et à agir exclusivement dans le cadre du droit international ».
Verbalement, il reste fidèle à Guaido, sur lequel il a misé. Mais si une cinquantaine d’États sur 197 l’ont reconnu dès février comme président du Venezuela, les autres ne l’ont toujours pas fait. Parmi les plus allants à encourager Juan Guaido comme président par intérim, la France d’Emmanuel Macron est restée par la suite beaucoup plus discrète. Au sein même de l’Union européenne, des voix agacées se font entendre.
L’Espagne, en particulier, intéressée au sort de l’Amérique latine, n’apprécie guère le rôle de Washington qui entend édicter, contre le Venezuela et ceux qui commercent avec lui, les mêmes sanctions que contre l’Iran ou Cuba : l’application de la loi américaine dite Helms-Burton. « Le groupe de contact dont nous faisons partie n'est pas sur la même longueur d'ondes que l'administration américaine qui est comme le cowboy de l'Ouest qui dit regardez-moi, je vais dégainer+ », déclarait le 8 mai le ministre espagnol des Affaires étrangères Josep Borrell. « Nous ne voulons surtout pas que quelqu'un dégaine. Au contraire, nous appelons à une solution pacifique, négociée et démocratique », a-t-il ajouté, qualifiant le soulèvement raté de Juan Guaido de « tentative de coup d’État militaire ».
On se trouve plutôt dans une pâle réplique de la guerre froide d’antan, mais les temps ont changé. Outre le désir naturel de contrer la domination américaine, aujourd’hui, l’intérêt de Moscou ou Pékin pour le Venezuela concerne d’abord - comme Washington, du reste - son pétrole : la plus riche réserve mondiale. L’un et l’autre y ont beaucoup investi à la faveur du chavisme, qui voulait réduire la dépendance du pays à l’égard des États-Unis, et lui ont beaucoup prêté. Sa chute, à cet égard, représenterait pour eux une perte dommageable.
Cela ne suffit pas à en faire un enjeu stratégique. Le Venezuela n’est pas la Syrie pour la Russie, ni la Corée du Nord pour la Chine. L’Amérique du Sud ou latine est depuis le XIXème siècle une chasse gardée des États-Unis. Au faîte de sa puissance, l’URSS elle-même avait dû reculer à Cuba en 1962 lors de la crise des missiles. A fortiori, on voit mal la Russie de Poutine venir guerroyer à Caracas. Seuls les Américains ont cette capacité, directement ou par des alliés régionaux.
Iront-ils jusque-là ? On ne peut rien exclure tant l’occupant de la Maison Blanche se comporte, dans tous les dossiers, de manière fantasque et imprévisible. L’arme des sanctions financières, initiées par Obama et responsables, selon un institut proche des Démocrates, de plus de 40 000 décès, a montré ses limites.
Un succès international musclé serait utile à Trump en sa deuxième partie de mandat – l’électorat de la précieuse Floride lui en saurait gré - et Maduro est une cible plus atteignable que Rohani ou Kim Jong Un.
Une opération militaire n’en est pas moins politiquement aventureuse tant les Américains du Nord sont peu appréciés sur le continent Sud, ce dont même Trump est conscient. Ainsi son allié local le plus puissant, le Brésil dirigé par le président d’extrême-droite Jair Bolsonaro, plaide-t-il contre une telle intervention.
Malgré la sur-excitation qu’il suscite dans les opinions, le Venezuela n’est d’ailleurs nullement en guerre civile, comme tant de lieux de la planète. L’affaiblissement des deux camps, la lassitude de leurs partisans et l’épuisement de la population exsangue peuvent paradoxalement amener les adversaires à composer pour rechercher un compromis. Mais ils ne s’y résoudront sans doute qu’en désespoir de cause et sur pression de leurs alliés. On n’en est pas encore là.