Venezuela : pro et anti Maduro s’affrontent sur les réseaux sociaux

Propagande, appels à manifester, coups de gueule et conférences de presse… Au Venezuela les réseaux sociaux sont la caisse de résonance de la colère, qui éclate ensuite dans la rue, que ce soit du côté des partisans de Nicolas Maduro ou du côté des opposants. Twitter et Facebook ont presque remplacé les canaux traditionnels, et ce depuis longtemps.

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Facebook Henrique Capriles
Le candidat à la présidentielle, Henrique Capriles, lors d'une conférence sur Facebook en 2012. Candidat malheureux, il est aujourd'hui condamné à l'inéligibilité et se sert toujours de Facebook pour diffuser ses déclarations. 
AP Photo/Fernando Llano
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C’est avec le mot dièse #28A que l’opposition appelle sur les réseaux sociaux à nouveau à manifester ce vendredi 28 avril. Un mot clé accompagné d’un autre  : #TumbemosLaDictadura ou faisons tomber la dictature.
 

"Cela fait 242 jours que Yohn Goicoechea est détenu. Il est avocat". 

Depuis un mois, les pro et anti Maduro sont dans la rue. Ces derniers pour exiger de nouvelles élections, la libération des prisonniers politiques et manifester leur colère; les premiers pour soutenir “la révolution bolivarienne”. A chaque fois, c’est sur les réseaux sociaux que commencent les mobilisations et c’est aussi à travers ce canal qu’on peut les vivre.
 

"A Caracas, des manifestants exigent la libération de prisonniers politiques". 

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Les deux camps s’évertuent à transmettre en direct via Facebook Live ou sur Périscope les mobilisations, les uns accusant les autres de commettre des actes de violence. Les opposants parlent de “répression”, les chavistes “de tentative de déstabilisation”. Des vidéos et des photos prises sur le vif envahissent les réseaux. 

C’est ici qu’on a d’abord appris la mort de manifestants au cours de ces dernières semaines. C’est aussi sur ces supports qu’on été dévoilées les méthodes musclées des forces de l’ordre pour contenir les manifestants. Toujours sans filtre.
 

Une scène filmée et photographiée massivement par des amateurs et par des professionnels a marqué les esprits ces derniers jours : en plein milieu du chaos d’une manifestation, un jeune homme a confronté une voiture blindée entièrement nu en brandissant une bible pour demander de "cesser la répression".  Sur sa peau, on aperçoit les traces des balles en caoutchouc utilisées par la police. Une icône christique.
 


Ainsi, une dame âgée faisant barrage aux véhicules de la police a été surnommée “grand-mère Tiananmen” en référence à cette célèbre photo où un homme seul empêcher l’avancée des chars en Chine en 1962.
 

Photo Venezuela grand-mère
Cette femme a empêché les voitures blindées de la police de progresser. Cette photo est devenue virale.


Le revers de la médaille : le torrent de haine déversé des deux côtés. Insultes, calomnies, appels au meurtre, il n’y a pas de limites, y compris quand il s’agit de colporter de fausses informations. Twitter en somme ? Pas vraiment. Dans le cas du Venezuela, il ne s’agit pas de simples trolls -des militants cybernétiques très motivés et très hargneux- les personnalités politiques de premier plan du pays s’y mettent aussi. A commencer par le président de la République.   

"Dans quelques heures je m'exprimerai pour montrer le terrible visage de la droite".

Le fil Twitter du successeur de Chavez fait sa promotion, bien sûr, mais c’est aussi l’endroit où il rallie les chavistes et lance des appels à manifester “contre le coup d’Etat de la droite fasciste”, que prépare, selon lui, l’opposition avec l’aide des Etats-Unis. Députés et  lieutenants du parti au pouvoir emboîtent le pas du président Maduro.

En face, mêmes procédés et même rhétorique outrancière. Le député  Henri Ramos Allup : “Non seulement le narco-gouvernement vole l’avenir de nos jeunes mais aussi leurs vie. Le décès des jeunes comme Juan Pernalete [tué lors d’une manifestation] font mal au Venezuela”.
 

Sur les réseaux sociaux s’illustrent également, les anciens candidats à la présidentielle déçus comme Henrique Capriles ou la femme de Leopoldo López, condamné à 14 ans de prison, Lilian Tintori.
 
Lilian Tintori invite les Vénézuéliens à se rendre à la prison de Ramo Verde pour exiger la libération des prisonniers politiques. 
 

Entre Internet et la rue, il existe une énorme porosité où les mêmes divisions abyssales entre les deux Venezuela se cristallisent, tout comme la violence d’une société au bord de l’implosion. Ce qui n’est pas nouveau. Ces usages remontent à l’essor des réseaux sociaux dans le pays, en 2010 environ. Depuis, les supports ont quelque peu évolué comme Whatsapp, le réseau de messagerie instantanée qui a gagné du terrain au détriment du tchat de Blackberry.

Si certains journaux et des médias audiovisuels ont été des cibles des menaces des autorités ou étranglés économiquement ou carrément censurés - comme le signale Reporters sans frontières - ni Twitter, ni Facebook n’ont été coupés pendant les moments de tension, contrairement à ce qui peut arriver dans d’autres pays. Ces canaux qui remplacent souvent les médias traditionnels et les techniques de militantisme conventionnels.
 
Réalité, viralité, récupération

Le cas le plus emblématique est peut-être celui d’Oliver Sanchez. Atteint d’un cancer, ce petit garçon se rend en février 2016 à une des nombreuses manifestations contre le gouvernement. Il tient une pancarte écrite par lui-même : “Je veux guérir, je veux la paix et la santé". Sa photo circule en un temps record. Sa famille lance un appel pour trouver un médicament, en rupture de stock, essentiel pour sa chimiothérapie. Les internautes se mobilisent pour en trouver sans succès. Son décès, quelques jours après, déclenche une vague d’indignation dans le pays et à l’étranger.
 L’opposition, toujours sur les réseaux sociaux, s’empare de l’affaire pour pointer du doigt les carences du pays alors que les autorités vénézuéliennes, de leur côté, se dédouanent en évoquant une campagne de dénigrement. Selon le discours officiel, “l’industrie pharmaceutique fait exprès de ne pas produire assez de médicaments”.