Vente des Rafales à l'Egypte : fierté et contradictions françaises

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Avion Rafale lors d'une démonstration au Bourget en 2014 (Photo : AP)
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L'avion de chasse français, le Rafale, va être vendu pour la première fois à un pays étranger, l'Egypte. Si en France, une certaine fierté nationale doublée de forts enjeux économiques accompagnent cette vente — des contradictions ternissent ce contrat militaire aux contours très particulier.
Il est enfin vendu ! C'est un peu par cette exclamation que les dirigeants politiques français — François Hollande en tête — ont dû réagir à l'annonce de la promesse d'achat de 24 avions de chasse Rafale par l'Egypte. L'histoire de cet avion de chasse , construit par l'entreprise française Dassault, n'est pas récente. Sa commercialisation, plus que difficile, à la limite de l'impossible, confinait à la boutade lorsque les spécialistes du domaine en parlaient. Aucun pays n'a jamais voulu — jusque là — acheter un seul Rafale depuis que celui-ci est utilisé par la marine française en 2002, puis par l'armée de l'air en 2006. L'engin militaire est pourtant "séduisant" d'un point de vue technique : bourré des dernières technologies, plus rapide que ses concurrents, plus maniable, et surtout, doté d'une autonomie hors-pair…

Avantages du Rafale sur la concurrence ?

Les concurrents de l'avion de chasse français sont surtout américains, les vieux F-16, puis les F-18, les F22 et le dernier en date : le F-35. Technologiquement parlant, le Rafale est comparable au dernier né de l'armée américaine dont les déboires techniques et les coûts exorbitants, posent question sur sa capacité à remplacer les modèles plus anciens.
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Présentation au Texas en 2006, du F-35 Joint Strike Fighter (Photo : AP)

La principale différence visible entre un F-35 et un Rafale se situe au niveau du décollage et de l'atterrissage. Ceux-ci s'effectuent à la verticale pour le modèle américain. Pour le reste, le Rafale semble largement en mesure de  rivaliser avec le F-35, sachant que le fameux atterrissage-décollage vertical pose des problèmes sur les porte-avions dont le revêtement des ponts à tendance à fondre sous la chaleur des réacteurs du chasseur américain. La maniabilité de l'appareil français reste un avantage certain, et par dessus tout, son autonomie en vol : 8800 kilomètres ont été effectués en 10h30 de temps,  lors d'un essai.

Géopolitique des avions de guerre

Le modèle dernier cri de l'aviation de guerre française, ultra sophistiqué, a été proposé à de grandes démocraties comme le Brésil, qui a préféré acheter des modèles suédois plus anciens et moins onéreux — ou l'Inde qui continue à négocier avec la France pour des problèmes de transfert technologique. D'autres pays en négociation avec la France avaient décliné auparavant l'offre de Dassault : la Corée du Sud, les Pays-Bas, Singapour, la Suisse, les Emirats arabes unis, ou le Maroc. Tous reprochaient le coût trop élevé du Rafale. Un manque d'expérience sur le terrain de l'avion de chasse français — qui lui a été a été longtemps reproché — a été écarté par les récents conflits où il est intervenu : en Afghanistan, en Libye, en plus récemment au Mali et en Irak.
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Chasseurs Rafale en action en Irak (Photo : AP)
Avec ce contrat égyptien, le Rafale est peut-être en passe de devenir une alternative crédible à son concurrent américain, pour un prix certes très élevé, mais comparable. Le Canada, la Malaisie, le Qatar, le Koweït, la Pologne, l'Indonésie sont en négociation pour renouveler leurs vieux avions de chasse avec plusieurs constructeurs, dont Dassault.

Mais cette première vente à l'export du Rafale reste un peu étrange, de par le pays acheteur : l'Egypte du Maréchal Sissi, le militaire qui a pris le pouvoir par un coup d'Etat le 3 juillet 2013. Alors que François Hollande négociait la paix pour l'Ukraine à Minsk, le même chef de l'Etat français se félicitait de la vente d'armements par son pays à une dictature militaire. Le paradoxe pourrait prêter à sourire. Il n'en est pas moins réel.

La réussite française dépendante des conflits ?

De nombreux pays démocratiques acheteurs d'armement ont pour principale exigence le coût, et ce, pour une raison simple : leurs frontières n'ont pas besoin d'être défendues. La très haute qualité technologique des matériels n'est donc pas un facteur déterminant dans leur investissement, ce qu'un pays comme le Brésil à bien démontré. L'Egypte n'est pas dans cette configuration, et a finalement signé le contrat de pré-accord pour l'achat des 24 chasseurs Rafales — d'une frégate Femm, et peut-être de de deux frégates Gowind, ainsi que d'un lot de missiles — pour un montant de 5,3 milliards d'euros, dans un contexte régional explosif. Le voisin Lybien n'en finit pas de se débattre dans une guerre civile chaque semaine plus inquiétante, les combattants du groupe Etat islamique en Syrie, en Irak, continuent de mettre à feu à sang cette région du Proche-Orient. Les autorités égyptiennes peuvent, à raison, se questionner sur la stabilité des pays proches ou moyennement proches d'elles.

Financement compliqué et… français

Le contrat avec l'Egypte a été effectué à une vitesse hors du commun, et ne s'est pas déroulé comme à l'habitude. Si en général ce type de contrat prend des années, et requiert de nombreux intermédiaires, avec l'Egypte, le processus s'est inversé. C'est le président égyptien, le maréchal Abdel Fattah al-Sissi, lui-même, qui a saisi les autorités françaises en novembre 2014, pour conclure l'accord avec les industriels français au Caire il y a deux semaines.
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François Hollande et Abdel Fattah al-Sissi à Riyadh lors des funérailles du roi Abdullah, le 24 janvier 2015 (Photo : AP)

Le maréchal Sissi, pressé, compte utiliser ses nouveaux avions lors de l'inauguration de l'élargissement du Canal de Suez en août de cette année, la France s'étant engagé à lui fournir trois appareils et une frégate pour l'occasion, alors que la fabrication en série des appareils n'est prévue que pour 2018.

Pour le financement, c'est une procédure particulière qui est mise en œuvre. Le prêt bancaire à l'Egypte pour l'achat des matériels a été autorisé à un groupement d'organismes bancaires français dont la moitié sera garanti par… l'Etat français. Ce qui signifie, qu'en dernier ressort, si l'Egypte ne paye pas ses traites à Dassault pour le paiement des Rafales, ce seront les contribuables français qui pourraient passer à la caisse, tout du moins pour la moitié du prix final. Gageons que cette option ne soit jamais effective.

Le contrat final de vente des 24 chasseurs Rafale devrait être signé au Caire ce lundi 16 février 2015, en présence du ministre français de la Défense, Jean-Yves Le Drian, avec une idée en tête : que cette première vente incite l'Inde à conclure l'achat de 116 avions de chasse du même modèle, dont 108 devraient être construits sur place…