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Anicet Marahoua, un doctorant de 30 ans, voit dans le français un lien entre tous les Ivoiriens qui parlent aussi des dizaines de langues locales. La Côte d'Ivoire, selon lui, s'est réappropriée ce legs linguistique colonial. Quatrième volet de notre série de portraits de jeunes francophones en vue de la Conférence internationale pour la langue française et le plurilinguisme organisée à Paris les 14 et 15 février.
"Pour celui qui ne parle pas la langue française, on dit souvent que l’apprendre, c’est difficile. Nous qui sommes francophones, on n'a pas trop conscience de cette difficulté. J’aime la précision de cette langue", Anicet Marahoua, 30 ans, est doctorant ivoirien.
En Côte d’Ivoire, il était étudiant en sciences du langage. Il a ensuite décroché une bourse qui récompensait 100 étudiants à travers le monde leur permettant de suivre un master dans la région Ile-de-France. En 2014, il intègre la Cité internationale universitaire de Paris où il réside dans la "maison" de la fondation Deutsch de la Meurthe.
Aujourd'hui, il est étudiant en deuxième année de doctorat à l’Université Paris IV Sorbonne. Il rédige une thèse en sciences du langage et communication politique. Un parcours qui traduit bien son amour des mots et de la langue française.
En Côte d’Ivoire, certes, on parle le français parlé en France, mais nous avons aussi certaines particularités propres à notre pays.
Anicet Marahoua
"Quand j’étais en Côte d’Ivoire, j’attachais déjà de l’importance à la langue française. C’est vrai que c’est un legs de l’histoire coloniale entre la France et la Côte d’Ivoire mais on se l’est approprié depuis. Certes, on parle le français parlé en France, mais nous avons aussi certaines particularités propres à notre pays."
Anicet aime comparer les significations du mot "maquis" qui diverge d'un pays à l'autre : "c'est un endroit reculé ou difficile d'accès en français courant, mais dans mon pays, c'est un restaurant où on va boire des coups avec ses potes."
Ceux qui n’ont pas fait d’école utilise plus le dioula que le français, surtout hors des grandes villes.
Anicet Marahoua
"Le français, c’est aussi la langue nationale, la langue officielle, celle que nous avons tous en commun et qui côtoie une soixantaine de langues locales parlées dans le pays, explique Anicet. Le français l’emporte largement parce que c’est la langue utilisée dans l’administration. Les langues locales, elles, ne sont pas pour autant délaissées. "
Anicet parle ainsi le baoulé, la langue de son peuple Akan qui vit notamment au centre du pays et de l'autre côté de la frontière, au Ghana. Il maîtrise aussi le dioula "parlé par une très grande partie de la population, c'est la langue du quotidien. Le dioula est vue comme une langue commerciale. Ceux qui n’ont pas fait d’école, l’utilisent plus que le français, surtout hors des grandes villes."
« Notre langue française est une chance. Ce n'est pas simplement un patrimoine à protéger. Elle a un avenir et cet avenir se joue en Afrique. Son rayonnement, son attractivité, n'appartient plus à la France », lançait le président français Emmanuel Macron devant des étudiants lors de son déplacement au Burkina Faso. Il le promet : « Le français sera la première langue d'Afrique. »
Tous ceux qui vivent dans des pays francophones où la langue officielle est le français ne parlent pas forcément français.
Anicet Marahoua
Une assertion que nuance Anicet. "Démographiquement, l’Afrique croît de façon très rapide, alors il est certain que l’on peut tabler sur le fait que le nombre de francophones sera important sur le continent africain. Mais tous ceux qui vivent dans des pays francophones où la langue officielle est le français ne parlent pas forcément français. En Côte d'Ivoire par exemple, c’est une langue enseignée uniquement à l’école dans les zones rurales reculées. Elle est peu parlée à la maison. On a un grand défi à relever pour assurer une scolarisation plus importante de ceux qui vivent dans ces zones."
Anicet voit cette langue comme un atout personnel et professionel. S'il poursuit ses études en France, ce doctorant compte bien retourner un jour en Côte d'Ivoire pour "participer au développement de mon pays sans forcément vouloir être président de la République...." dit-il dans un sourire. A sa façon, il incarne parfaitement une certaine francophonie qu'il veut défendre mais qui pourrait se développer davantage.
Les intellectuels ou la nouvelle classe dirigeante africaine voient encore la langue française comme une langue de domination.
Anicet Marahoua
"Cela passe, je crois, d’abord, par la vulgarisation de l’usage des mots francophones à la place d’anglicismes afin qu’ils soient plus répandus, considère Anicet. Tout à l’heure on parlait d’"interview" on aurait pu dire "entretien". Le directeur de la fondation Deutsch de la Meurthe où je vis, a décidé de créer une "info lettre" au lieu d'une "newsletter". On peut ainsi chacun faire cet effort, ne pas employer les mots anglais mais les nôtres."
L'avenir de la francophonie pourrait aussi être assuré, selon lui, par dissociation de la France et de cette francophonie. "En Afrique, la francophonie est parfois mal vue à cause de la trop grande hégémonie qu’a la France sur ces pays africains. Les intellectuels ou la nouvelle classe dirigeante africaine voient encore la langue française comme une langue de domination. Et les récentes interventions militaires françaises n'aident pas. Je ne me retrouve pas forcément dans cette vision mais d’ici à quelques années on sera rattrapés par ça."