Faut-il continuer l'expérience islamiste? Les Marocains votent vendredi 7 octobre pour élire leurs députés, et départager les islamistes du PJD, aux affaires depuis 2011, de leurs rivaux "modernistes". Un scrutin au final sans grande surprise sous l'arbitrage du roi qui conserve l'essentiel du pouvoir. Reportage en immersion parmi les militants du PJD à Casablanca.
Ces législatives s'annoncent comme un face à face serré entre le Parti authenticité et modernité (PAM), formation libérale fondée en 2008 par un proche conseiller de Mohammed VI et aujourd'hui dirigée par Ilyas El Omari, et les islamistes du Parti justice et développement (PJD).
Le PJD avait remporté une victoire historique en novembre 2011, quelques mois après une révision constitutionnelle menée par le roi pour calmer le "mouvement du 20 février", le Printemps arabe version marocaine.
Avec les déboires ces dernières années des islamistes en Egypte et en Tunisie, qui avaient été propulsés au pouvoir dans la foulée du Printemps arabe, le PJD reste la seule formation islamiste encore à la tête du gouvernement dans un pays de la région.
Avec le charismatique Abdelilah Benkirane comme Premier ministre d'une coalition hétéroclite comptant communistes, libéraux et conservateurs, l'arrivée aux affaires du PJD n'a cependant pas entraîné de grands bouleversements politiques.
Le roi Mohammed VI, chef de l'Etat et "commandeur des croyants", reste de facto "le seul qui décide sur les questions stratégiques et à long terme (l'international, la sécurité et l'économie)", selon une récente analyse de la Fondation Carnegie.
Continuer la réforme
Pour le PJD, qui s'appuie sur la classe moyenne et urbaine, l'objectif affiché est clair: "un deuxième mandat" pour "continuer la réforme", avec toujours en arrière-plan le "référentiel" islamique.
Cette réforme a été jusqu'à présent somme toute très relative. Le PJD s'est bien gardé de légiférer sur les moeurs et a surtout cantonné son action à la sphère économique et sociale, sur un mode plutôt libéral et dans un contexte difficile. Le PAM pourfend un bilan "catastrophique" et s'inquiète d'une "islamisation rampante" de la société. Bien implanté en zones rurales et chez les notables, il ne propose pourtant rien de très différent du PJD en matière socio-économique, reprenant le leitmotiv de la croissance.
Il se pose en revanche en grand "défenseur des libertés" et de la condition féminine, promettant d'envoyer un bataillon de femmes dans le prochain parlement. Avec un art de l'allusion consommé pour ne pas prendre de front le palais, le PJD accuse pour sa part le PAM, et dans une moindre mesure le ministère de l'Intérieur, d'être la courroie de transmission d'un mystérieux "Etat parallèle" (le "tahakoum", en arabe) qui userait de "méthodes autoritaires" et "de barbouzes" pour contrôler la vie politique.
Au bénéfice de ses promoteurs islamistes, ce vocable s'est imposé comme le thème principal d'une pré-campagne marquée par un climat de défiance et de tensions. La campagne elle-même s'est déroulée ces 10 derniers jours dans un climat plus serein, mais sans grand engouement.
Près de 16 millions de Marocains sont appelés à élire leurs 395 députés, dans 92 circonscriptions, selon un système de liste à la proportionnelle. Un total de 4.000 observateurs, dont 92 internationaux, ont été accrédités.
Clientélisme
Alors que les élections étaient largement manipulées au Maroc jusqu'à l'arrivée au pouvoir de Mohammed VI en 1999, le tout-puissant ministre de l'Intérieur, Mohammed Hassad, a promis un scrutin "libre et honnête".
Le taux d'abstention, de 55% en 2011, sera l'un des enjeux du scrutin, qui signe par ailleurs le retour des salafistes, candidats sous diverses étiquettes, dans le jeu électoral. Sur la trentaine de partis participant, huit ont une audience véritablement nationale et peuvent espérer obtenir un groupe parlementaire.
Aux municipales de 2015, le PAM avait obtenu une victoire d'une courte tête face au PJD qui avait cependant emporté la plupart des grandes villes.
Pour la fondation Carnegie, cette apparente rivalité entre deux formations "cultivant un narratif opposé" masque surtout "la nature clientéliste et opportuniste" du système politique marocain.
Et les élections devraient "renforcer cette façade de normalité, qui répond aux objectifs à long terme de la monarchie, en lui permettant de présenter la bipolarisation (...) et l'inclusion des islamistes dans le jeu politique comme le signe de la démocratisation en cours depuis 2011".