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Les métisses sacrifiées du Congo belge : l'État belge doit-il être condamné pour crime contre l'humanité ?

Enlevées à leurs familles et placées de force dans un orphelinat catholique au Congo belge entre 1948 et 1960, cinq femmes métisses congolaises veulent faire condamner la Belgique pour crime contre l'humanité. Après avoir été déboutées en première instance en décembre 2021, elles poursuivent en appel. Les audiences se tiennent les 9 et 10 septembre, aucune date n'est fixée pour le verdict. 

Qui sont les 5 plaignantes métisses congolaises ?

Elles se prénomment Noëlle, Simone, Léa, Monique et Marie-Josée. Il s'agit de cinq femmes métisses de mère congolaise et de père européen, belge ou portugais. Aujourd'hui septuagénaires, elles sont nées dans les années 1940 au Congo belge (actuel République démocratique du Congo).  Elles ont été arrachées à leur mère et leur famille congolaises durant leur enfance par décision du pouvoir colonial. Elles ont été placées dans des orphelinats dirigés par des soeurs catholiques. Elles affirment avoir subi de mauvais traitements dans ces établissements religieux. Les faits reprochés s'étendent de 1948 à 1961, soit un an après l'indépendance pour la dernière des 5 à être sortie de ces institutions. 

Les plaignantes ont fait le récit du calvaire qu'elles ont vécu. Dès les premières années de leur vie, les 5 filles sont placées dans un couvent à Katende province du Kasaï. Après l'indépendance du Congo, elles ont été abandonnées par la Belgique et sont tombées entre les mains de miliciens congolais. Certaines d'entre elles ont raconté qu'elles avaient été violées par ces hommes. 

(Re)voir Passé colonial : cinq femmes métisses accusent l'Etat belge de crimes contre l'humanité

Combien sont les métis belgo-africains issus de la colonisation belge ?

Il est difficile de chiffrer le nombre de métis liés à la colonisation belge du Congo. Au bas mot, il s'élèverait à quelques milliers de personnes selon le dossier des plaignantes. Ces dernières ne font pas partie des mouvements de métis belgo-africains issus des anciennes colonies du Congo, du Rwanda et du Burundi. Le nombre de ces métis, de père blanc et de mère africaine, est estimé autour de 15 000 personnes. Ces enfants étaient considérés comme les « enfants du péché », notamment parce que leurs parents n’étaient pas mariés.

Pour l'une des avocates des plaignantes, Me Michelle Hirsch, "la question métis à l'époque de la colonisation belge était une question d'État". Selon elle, la colonisation belge au Congo a très tôt vu les métis comme une menace qui surpasserait la population blanche et inciterait les indigènes à se révolter. En conséquence, le Congo belge a opté pour le déracinement des enfants métis élevés dans leur milieu maternel.

Pourquoi l'État belge est poursuivi ?

L'État belge a dirigé le Congo à partir de 1908 à la suite de Léopold II, roi des Belges, qui lui en a fait don. Avant la période du Congo belge (1908 à 1960), l'Etat indépendant du Congo (1885-1908) était la propriété privée du roi des Belges. L'administration du territoire à des fins d'exploitation des ressources a été le fait d'atrocités et de violences extrêmes contre la population indigène. 

Par la suite, l'État belge a décidé de prendre les enfants métis sous sa tutelle, considérant qu'en l'absence de leur père blanc ils étaient abandonnés. "Toute la colonie du Congo va être quadrillée à la recherche de métis", selon Me Hisrch. Une fois repéré, l'enfant était fiché, puis enlevé de gré ou de force à son milieu, acheminé parfois à des centaines de kilomètres et placé en congrégation religieuse sous le registre des mulâtres avec son identité modifiée.

En 2019, le Premier ministre Charles Michel avait présenté les excuses de l'État belge aux métis pour les enlèvements forcés, la perte d'identité et la ségrégation dont ils ont fait l'objet en raison de l'État colonial. 

Peut-on parler de crimes contre l'humanité ?

Toute la question de ce procès sans précédent repose sur la qualification ou non, à la demande des plaignantes, de "crime contre l'humanité" des crimes coloniaux de l'État belge, en l'occurence les préjudices subis par ces enfants métis au Congo belge.

Le procès en cours est unique en son genre. Il a démarré en 2021 quand cinq femmes septuagénaires ont porté plainte contre l'État belge pour leur placement forcé dans des orphelinats au Congo belge d'enfants métis.

En première instance, le tribunal a débouté en décembre 2021 les plaignantes considérant que si la politique coloniale de l'État belge au Congo peut relever d'un crime contre l'humanité aujourd'hui, ce n'était pas le cas à l'époque des faits.

Quand sera rendu le verdict ?

Après les plaidoiries des avocats des plaignantes lundi 9 septembre, les avocats de l'État belge plaideront à leur tour en appel le 10. La décision du tribunal sera mise en délibérée. Aucune date n'est fixée pour l'arrêt qui sera rendu. Etant donné le caractère inédit et l'écho de de cette procédure en appel qui fera jurisprudence, nul doute que les motifs avancés seront scrutés de près.

Le procès en cours se fait devant un tribunal civil et non pénal. Les plaignantes demandent des réparations à hauteur de 50 000 euros par plaignante. Leur conseil demande la désignation d'un expert pour évaluer les surplus au niveau des dommages.