Fil d'Ariane
En annonçant, à quelques heures d'intervalle, le départ des militaires français de leur sol, Sénégal et Tchad ont officialisé une "réorganisation" que Paris préparait depuis longtemps. Mais la forme est catastrophique et, une fois encore, profite à l'influence russe.
Jeudi, ces deux partenaires historiques ont exprimé leur volonté de voir l'armée française non pas réduire la voilure sur leur territoire respectif, mais bien quitter les lieux.
Le président sénégalais Bassirou Diomaye Faye a déclaré à l'AFP que la "souveraineté" de son pays ne "(s'accommodait) pas de la présence de bases militaires", réclamant un "partenariat dépouillé" des soldats français.
Peu après, alors que le ministre des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot venait de quitter N'Djamena dans le cadre d'une tournée africaine, son homologue tchadien Abderaman Koulamallah annonçait "mettre fin à l'accord de coopération en matière de défense" signé avec Paris.
Une décision qui a pris Paris au dépourvu. Ce n'est que vendredi soir que la France a déclaré "prendre acte" de la décision tchadienne.
La France "prend acte" mais "entend poursuivre le dialogue" avec le Tchad, a fait savoir le Quai d'Orsay.
Après le départ forcé ces dernières années des soldats français du Mali, du Burkina Faso puis du Niger, où se sont installées des juntes hostiles, le Tchad était le dernier pays sahélien à en abriter encore.
Ces deux déclarations interviennent alors que l'envoyé du président Emmanuel Macron en Afrique, Jean-Marie Bockel, avait remis lundi son rapport sur la reconfiguration du dispositif militaire français en Afrique, prônant un partenariat "renouvelé" et "co-construit".
Le rapport "recommandait une réduction drastique de la présence. Ce n'est pas nécessairement ce qui était demandé initialement par les partenaires. Mais les décisions s'orientant dans cette direction, ils ont préféré annoncer que la décision était la leur", commente pour l'AFP Elie Tenenbaum, de l'Institut français des relations internationales (Ifri).
Le président tchadien Abderaman Koulamallah lors d'une conférence de presse le 21 mars 2008 à Paris
Les autorités tchadiennes ne sont pas satisfaites "parce que les recommandations (de Jean-Marie Bockel, ndr) ne prennent pas en compte leurs attentes", juge ainsi Yamingué Bétinbaye, docteur en géographie politique à l'Université de N'Djamena.
"Une fois de plus, les Africains ont avancé plus vite que les Français", ajoute Elie Tenenbaum. Ce faisant, ils offrent à la Russie, en pleine poussée d'influence sur le continent, un joli cadeau.
"Aussi bien le Tchad que le Sénégal ont resserré les échanges avec Moscou ces derniers mois. Si la Russie n'a pas d'intérêts majeurs dans ces pays, c'est une bonne manière pour elle de porter un coup aux Français".
Une analyse qui rappelle les déclarations à l'AFP, la semaine dernière, de l'opposant tchadien Succès Masra. "Il y a, à la présidence, beaucoup de gens ouvertement pro-russes. Wagner est déjà là", assurait-il, évoquant les mercenaires russes en Afrique du groupe de feu Evguéni Prigojine, désormais regroupés au sein de l'Africa Corps.
Les dirigeants tchadiens "peuvent dégager les Français à tout moment, mais tout le monde fait semblant que ça n'existe pas. Les Français eux même font l'autruche", estimait-il, relevant qu'à un mois des premières législatives dans le pays depuis 2015, l'annonce peut aider M. Deby à "reconquérir l'opinion populaire".
Ironie suprême, l'Elysée annonçait début octobre que le président français et son homologue tchadien, Mahamat Idriss Déby Itno, étaient convenus de "renforcer la coopération" bilatérale.
Pour Wolfram Lacher, du think tank allemand SWP, "c'est une page qui se tourne" pour l'ex-puissance coloniale "après des années de soutien militaire et alors que la France a sauvé à plusieurs reprises le pouvoir" du père du dirigeant tchadien, Idriss Déby.
"C'est une surprise (...), il n'y avait aucune nécessité pour Déby de franchir ce pas. Il avait une position confortable avec Paris". Et désormais, il "aura besoin d'un autre soutien extérieur pour assurer la sécurité de son régime", même s'il pourrait "éviter une relation de dépendance avec Moscou" en diversifiant ses soutiens.
La séquence renvoie à l'incapacité de la France à sortir de l'impasse et de l'opprobre des opinions africaines, même depuis qu'a été annoncée en 2022 par Paris la fin de l'opération anti-jihadiste Barkhane au Sahel.
En janvier, le chef d'état-major des armées Thierry Burkhard admettait que le "dispositif militaire" français produisait "notamment dans le champ des perceptions des effets négatifs qui finissent par peser plus lourd que les effets positifs".
Et d'ajouter: "Il faut impérativement que nous prenions la peine de laisser les pays partenaires souverains communiquer sur leurs actions".
C'est chose faite pour encore deux d'entre eux. "On peut décrire ça comme une gifle", estime Wolfram Lacher. "En 24 heures, Sénégal et Tchad... Ca montre l'échec de la politique française en Afrique".
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