Né sous son nom actuel en 1971 mais en réalité dans les premières années du XXème siècle sous celui de S.F.I.O., héritier d'utopies à l'épreuve du pouvoir, le Parti socialiste français a connu dans son histoire bien des agonies mais aussi bien des résurrections.
Saint-Simoniens, anarchistes, marxistes, utopistes, républicanistes … Branche parmi bien d'autres d'un arbre au moins deux fois séculaire, le
Parti socialiste français descend d'innombrables ancêtres parfois glorieux, aujourd’hui étrangement lointains sinon explicitement reniés.
C'est à l'aube du XXème siècle que s'installe, dans une grande mesure, la forme qui reste encore la sienne au-delà des soubresauts et mutations.
Idéologie foisonnante murie dans le sillage des révolutions, le socialisme se trouve alors en France marqué par des événements majeurs plus récents : la Commune de Paris, l'installation de la Troisième République, l'affaire Dreyfus.
L'air du temps
La première, la Commune, n'est pas spécialement son œuvre mais elle a donné lieu à une lutte fondatrice en dépit de son écrasement et formé des clivages durables.
Dans les décennies suivantes, l’extinction des hypothèses de restauration monarchique ou impériale et l'installation de la République parlementaire confrontent les socialistes à l'exercice du pouvoir.
L'affaire Dreyfus, enfin, qui à la fin du XIXème siècle a divisé profondément et pour longtemps l'opinion française, a réuni dans sa lutte pour la défense et réhabilitation du capitaine injustement condamné une frange de l'opinion républicaine progressiste au courant socialiste nourri du principe de la lutte des classes, formant ce qui deviendra « la gauche » au sens moderne.
Internationaliste et ouvrier
L'unification prend forme dans les premières années du siècle et se concrétise en 1905 par la création d'un parti au nom clairement connoté : la S.F.I.O. , acronyme de «section française de l'Internationale ouvrière».
Fondée par Friedrich Engels et également connue sous le nom de Deuxième internationale, l'«Internationale ouvrière» reste alors globalement attachée aux idées marxistes (à l'inverse de sa lointaine descendante, l'Internationale socialiste qui regroupe des partis libéraux, sociaux-démocrates ou travaillistes du monde entier).
« À bas la guerre ! Vive la république sociale ! Vive le socialisme international ! »Manifeste de la S.F.I.O., juillet 1914
La question de la guerre
Deux personnalités s'opposent dès l'origine du parti : Jules Guesdes et Jean Jaurès. Leur conflit porte sur le lien avec le syndicalisme mais très vite, bien plus aigu, sur la guerre qui s'annonce.
Quand Jules Guesdes croit que celle-ci peut précipiter la révolution désirée, Jaurès - directeur du journal
l'Humanité - reste fermement pacifiste.
Le premier approuve le vote des crédits militaires. Le second prône la grève générale voire l'insurrection en cas de conflit.
Il emporte la majorité du parti. Le 28 juillet 1914, la SFIO publie un manifeste: «
À bas la guerre ! Vive la république sociale ! Vive le socialisme international !».
Trois jours plus tard, Jaurès est assassiné. Il n'est pas encore enterré lorsqu'une autre aile s'impose sur une position inverse. Ancien communard, Edouard Vaillant déclare : «
en présence de l'agression, les socialistes accompliront tous leur devoir pour la patrie».
C'est le signal de l' «Union sacrée». La guerre peut commencer. Jules Guesdes en sera l'un des ministres.
Le grand divorce
Carnage mondial qui scelle l’affaiblissement de l'Europe, la Grande Guerre accouche aussi de la Révolution russe de 1917.
En 1920, les socialistes français doivent trancher au Congrès de Tours la question de l'adhésion à la nouvelle Internationale («
Troisième internationale») d'inspiration léniniste et soutenant la révolution bolchevique assaillie par ses ennemis.
Une majorité des trois quarts se décide en ce sens, gardant avec elle le journal
l'Humanité.Elle formera le
Parti communiste français. La minorité conserve le nom de
S.F.I.O.
Au pouvoir
Sans renier explicitement son idéal originel socialiste révolutionnaire mais s'inscrivant désormais
de facto dans un réformisme pragmatique, la S.F.I.O. participe à divers gouvernements.
La menace fasciste et la pression de la rue poussent les frères ennemis de la gauche à s'unir dans un
Front populaire qui gagne les élections de 1936 sur fond de grève générale.
La conjonction de la pression insurrectionnelle et de la victoire électorale débouche sur des conquêtes populaires majeures, réduisant dans une certaine mesure la toute puissance patronale et indignant la bourgeoisie possédante. Celle-ci ne tardera pas à prendre sa revanche.
Encouragé par la passivité des démocraties de droite ou de gauche (l'Espagne républicaine abandonnée à son sort, les accords de Munich laissant la voie libre aux appétits hitlériens), l'Allemagne nazie engage sa marche. La guerre est déclarée en septembre 1939 ; la France envahie au printemps 1940.
Nuit et jour
Le 10 juillet, le parlement (incluant la chambre des députés élue en 1936) accorde par plus des trois quarts de voix les pleins pouvoirs constituants au Maréchal Pétain.
36 députés socialistes votent contre, tels Léon Blum ou le futur président de la République Vincent Auriol. Certains sont manquants, prisonniers ou tombés au combat. Plusieurs sur les routes d'un exil qui devait les conduire à la résistance.
La grande majorité (176 députés socialistes) se remet aux mains du vieux maréchal, déjà signataire de l'armistice (comme chef du gouvernement), qui entreprendra dès les mois suivant une politique collaborationniste avec Hitler et une «révolution nationale» couronnée des lois anti-juives.
Interdit comme les autres partis, la S.F.I.O. n'a plus alors d'existence ni d'action propre. Certains de ses membres collaborent. D'autres se taisent. Beaucoup résistent, créant, notamment, le
Comité d'action socialiste (clandestin) à partir duquel est refondée, dès 1943, la S.F.I.O. .
Celle-ci participe au Comité national de la Résistance (C.N.R.), au côté des gaullistes et des communistes. A la Libération, elle est la troisième force politique, avec environ 300 000 adhérents.
Combinaisons
Sous la quatrième République (1945 - 1958), la S.F.I.O. continuellement dirigée par Guy Mollet participe à de nombreux gouvernements.
L’une de ses figures, Jules Moch, s’illustre comme ministre de l'intérieur dans la répression sans ménagement du plus important mouvement social de l’après-guerre, la grève des mineurs de 1948.
Dans les principaux sujets qui marquent la période – guerre froide, décolonisation – elle ne se démarque pas particulièrement des autres partis de gouvernement. Fermement anti-communiste et atlantiste, elle défend la participation de la France à l’OTAN.
Elle soutient le gouvernement de Pierre Mendes France (Radical) lorsqu’il règle en 1954 la fin de la guerre en Indochine, perdue pour la France. Chef du gouvernement, Guy Mollet lance en 1956 la désastreuse expédition de Suez
(1).
Il adopte la même année une attitude sans concession à l’égard de la rébellion algérienne faisant voter des pouvoirs spéciaux à l’armée qui y est envoyée «rétablir l’ordre». La «loi-cadre Defferre», en revanche, ouvre la voie à une décolonisation moins dramatique de l’Afrique sub-saharienne.
Expiration
La venue du pouvoir du général de Gaulle en 1958 – qu'elle a majoritairement acceptée – achève de diviser et d’affaiblir une S.F.I.O. en perte de repères.
En 1962, elle a perdu 80 % de ses effectifs de 1945 et ne recueille aux législatives que 12 % des voix.
Sans candidat à l’élection présidentielle de 1965, elle soutient François Mitterrand – qui n’est pas l’un des siens – contre de Gaulle.
Effacée lors des «événements» de mai 1968 elle présente l’année suivante Gaston Defferre à la présidentielle sous un nouveau label :
Parti socialiste français. Il y récolte 5 % des voix, quatre fois moins que le communiste Jacques Duclos.
De la vieille maison fondée par Jaurès, il ne reste pas grand-chose.
Refondation
Sauf à la fermer, une refondation s’impose. Elle aura lieu deux ans plus tard par le congrès d’Epinay qui voit se réunir dans une structure nouvelle de multiples courants de la gauche non communiste.
L’architecte en est François Mitterrand. Il en devient le Premier secrétaire. Sous sa direction, le P.S. noue une alliance programmatique avec le Parti communiste : le «programme commun» de gouvernement.
Emblème: un poing serré sur une rose rouge. Slogan : «changer la vie».
France socialiste, puisque tu existes, tout devient possible ici et maintenant Hymne du Parti socialiste, 1977
Durant une décennie, l’ «Union de la gauche» reste aux portes du pouvoir, échouant parfois de peu aux différents scrutins législatifs (1973, 1978) ou présidentiel (49,2 % pour Mitterrand en 1974 contre Valéry Giscard d’Estaing).
Le 10 mai 1981, François Mitterrand gagne pourtant la présidentielle avec 52 % des voix. Une «vague rose» donne dans la foulée une large majorité au P.S. à l’Assemblée nationale.
L’événement est considérable, tout comme l’espoir qu’il suscite à gauche.
Alternances
Ce dernier est assez vite refroidi. Dès 1983, le pouvoir socialiste adopte avec le tournant dit «de la rigueur» un recentrage de reconnaissance des exigences économiques dominantes qu'il ne s'agit plus de combattre.
Face au courant socialiste historique héritier d’une certaine conception marxiste s’affirme progressivement une «deuxième gauche» - Michel Rocard en est l'une des figures - plus favorable au compromis social et à la logique capitaliste.
La gauche perd pourtant les élections de 1986 et Mitterrand doit accepter une cohabitation avec un Premier ministre de droite, Jacques Chirac.
Réélu en 1988, il n’échappe pas à une seconde défaite aux législatives de 1993, et à une seconde cohabitation. Avec 57 députés rescapés, le Parti socialiste semble à l’agonie.
Son candidat à a présidentielle de 1995, Lionel Jospin recueille pourtant 47 % contre Jacques Chirac. Un échec annoncé mais pas un désastre.
Risquées dans un contexte économique et social tendu, des législatives anticipées donnent deux ans plus tard aux socialistes une victoire inespérée. Lionel Jospin devient Premier ministre.
Tout en s'inclinant devant les nouveaux impératifs économiques «de Maastricht», son gouvernement introduit l’emblématique «semaine de 35 heures», sur lesquels ses successeurs s'efforceront de revenir.
Au terme d'une campagne morne et contre les sondages, Jospin arrive troisième à la présidentielle de 2002, derrière Jean-Marie le Pen et Jacques Chirac.
Un choc, dans lequel beaucoup voient un nouvel avis de disparition.
Exploitant une formule de Jean-Paul Sartre, un écrivain-philosophe apprécié des médias de gauche, Bernard Henri Levy, parlera pour désigner la gauche socialiste de «
grand cadavre à la renverse»
(2).
Elle revient pourtant dix ans plus tard au pouvoir par la présidentielle de 2012, gagnée par François Hollande contre Nicolas Sarkozy et par les législatives qui suivent.
Fait sans précédent, le Parti socialiste contrôle alors à peu près tous les leviers institutionnels du pays : la présidence de la République, l'Assemblée nationale, le Sénat, 21 régions sur 22, la majorité des départements et des grandes villes. C'était il y a moins de cinq ans.
♦
(1) Entre octobre et novembre 1956, Guy Mollet associe la France à la Grande-Bretagne et à Israël contre l'Égypte lors de l'expédition consécutive à la nationalisation de la Compagnie universelle du canal maritime de Suez par Nasser. L'aventure est un fiasco.
(2) "Le grand cadavre à la renverse", Bernard Henri-Levy, éditions Grasset. "Le PS va mourir ? Non. Il est mort. Personne, ou presque, n'ose le dire. Mais tout le monde, ou presque, le sait." (BHL, entretien au Journal du Dimanche, 2009). L'écrivain visionnaire prônait alors pour le ressusciter ... l'institution de primaires.