Vietnam : le pas de trop de la Chine

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Vietnam : le pas de trop de la Chine
Des manifestants anti-chinois vietnamiens © AFP
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Alors que des manifestants vietnamiens ont incendié et pillé des usines chinoises installées au Vietnam, le gouvernement chinois accuse Hanoï de soutenir ces mouvements de violence. L'origine des tensions ? L'installation de structures pétrolières chinoises dans les eaux territoriales convoitées par la Chine et le Vietnam. Le conflit ne date pas d'hier, mais il a pris une ampleur sans précédent ces derniers jours.
La Chine accuse le gouvernement vietnamien d’être de connivence avec les émeutiers anti-chinois. En effet, mardi 13 mai, des manifestants vietnamiens ont incendié plus de dix usines chinoises installées au Vietnam, faisant un mort et des centaines de blessés. Ces incidents font suite à l’installation d’une structure pétrolière chinoise dans les eaux territoriales revendiquées par le Vietnam. « Cette flambée de violence est directement liée à l’indulgence du gouvernement vietnamien » a déclaré la porte-parole de la diplomatie chinoise. Selon l’agence officielle Chine nouvelle, au moins une dizaine d’employés chinois restent introuvables à ce jour. Ces émeutes, sans précédent au Vietnam (régime autoritaire à parti unique, ndlr), se sont étendues à 22 des 63 provinces du pays. Elles ont débuté dans des zones industrielles de la province de Binh Duong, près de Ho Chi Minh-Ville, la capitale économique, dans le sud du pays. Près de 500 personnes ont été interpellées en « flagrant délit de pillage, de vol et d’incendie des usines » a déclaré un membre de la police vietnamienne.  Plusieurs usines ont dû fermer temporairement, dont un fournisseur des groupes américains Nike et Adidas. Des entreprises taïwanaises, sud-coréennes et japonaises ont également été prises à partie. Dans ce contexte de fortes tensions, l’agence d’Etat chinoise supervisant le tourisme a appelé les Chinois prêts à se rendre au Vietnam à bien « prendre en compte le danger de la situation » et à « réfléchir » à l’opportunité de leur voyage. 

Le Vietnam secoué par des émeutes anti-chinoises sans précédent

15.05.2014Présentation : Mohamed Kaci / Commentaire : Jean-Luc Eyguesier / Montage : H. Garcia
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Là où se niche la fierté nationale

Françoise Nicolas est directeur du Centre Asie à l'IFRI. David Camroux est chercheur au CERI, maître de conférence à Sciences Po Paris et spécialiste de l'Asie du Sud Est.

15.05.2014Propos recueillis par Laura Mousset (Les deux interviews ont été faites séparément)
Les Vietnamiens manifestent contre le déploiement d'une plate-forme pétrolière chinoise dans les eaux territoriales convoitées par le Chine et le Vietnam. En quoi la population se sent-elle concernée par ce conflit ? Françoise Nicolas : C'est assez simple car il s'agit -de ce qui est perçu en tout cas- d'une atteinte à la souveraineté nationale. Ce territoire est revendiqué par les deux parties donc les deux parties estiment que ce territoire appartient à leur territoire national et si la partie adverse empiète sur ce territoire c'est vraiment perçu comme une violation. Donc de ce point de vue là, il s'agit d'un problème entre Etats mais derrière les Etats il y a une population et la population vietnamienne se sent directement concernée par ce qu'elle perçoit comme une attaque. David Camroux : C'est une question politique parce que les îles Paracels ont été occupées par les Chinois en 1974 à la fin de la guerre du Vietnam. A l'époque, elles étaient occupées par les Vietnamiens du sud et il y a eu un coup de force de la Chine. Cette occupation n'a jamais été acceptée par le Vietnam, ni par la communauté internationale. Pour les Vietnamiens, c'est une question de fierté nationale.
Vietnam : le pas de trop de la Chine
Le Vietnam est secoué par les pires émeutes anti-chinoises de son histoire © AFP
Pourquoi s'en prendre à des biens matériels (les usines) au lieu de manifester pacifiquement ? F.N : Ce qu'on peut légitimement penser c'est que le pouvoir vietnamien laisse faire et de cette manière là, le gouvernement montre qu'il y a un très fort mécontentement. Le message transmis aux autorités chinoises est très clair. Alors que s'il s'agissait simplement de manifestations spontanées, le message serait un peu dilué. Je pense que ces manifestations, elles ne sont peut-être pas provoquées par le gouvernement, mais en tout cas elles sont très largement acceptées, ce qui est très surprenant pour un pays comme le Vietnam où le gouvernement peut très facilement réprimer un mouvement de mécontentement populaire. S'il y a l'aval du gouvernement en faveur de manifestations violentes contre des entreprises chinoises, c'est que le message veut être transmis. Lorsqu'on défile dans la rue, on est pas content mais c'est tout. Alors que là, la puissance du message est beaucoup plus forte. Ce qui est un petit peu fâcheux, c'est qu'apparemment, il y a eu une petite confusion entre la Chine populaire et Taiwan. Il y a des usines taïwanaises qui auraient été attaquées donc il y a des confusions sur le terrain. Ce qui n'arrange pas les choses. Pourquoi les Taïwanais seraient victimes des attaques alors qu'ils n'ont rien à voir dans cette affaire ? Si c'est juste une erreur, c'est un peu étonnant. Du coup, le  mouvement peut dégénérer. D.C : Nous sommes dans un pays communiste de parti unique, donc si les Vietnamiens manifestent, c'est avec la bienveillance du gouvernement et des autorités. Ces manifestations ont pour but d'interpeller la communauté internationale. C'est pour cela que l'on trouve des banderoles écrites en anglais. On voit bien à qui s'adressent ces manifestants. S'en prendre à des bâtiments chinois c'est symbolique. S'ils ne l'avaient pas fait, cela aurait pu être interprété comme une critique contre le gouvernement vietnamien. Le fait de cibler uniquement des bâtiments chinois montre bien que c'est la Chine qui est visée. Des manifestations au Vietnam, est-ce surprenant ? F.N : Oui car c'est un pays qui est quand même assez autoritaire et donc si le gouvernement laisse faire c'est qu'il a tout intérêt à le faire. Il y a un message politique derrière. D.C : C'est très rare et quand cela arrive, en général, c'est avec la bienveillance et l'accord des autorités.
Vietnam : le pas de trop de la Chine
La carte des eaux territoriales que se disputent le Vietnam, la Chine et les Philippines. DR
Pourquoi la Chine a-t-elle pris la décision d'installer ces structures pétrolières dans cette zone disputée ? F.N : Il y a deux réponses possibles à ça. Précisément elle ne pensait peut être pas que cela déclencherait une réaction aussi vive. Auparavant, il y avait eu une grande offensive de charme de la Chine vis-à-vis de l'ensemble des pays de l'Asie du Sud Est et du Vietnam en particulier. Les relations entre les deux pays avaient tendance à se réchauffer et peut être la Chine a-t-elle cru que le Vietnam ne réagirait pas, c'est possible. L'autre hypothèse, c'est qu'elle n'a peut être pas bien mesuré l'impact que cela pouvait avoir. Soit elle pensait qu'il n'y aurait pas d'impact du tout, soit elle pensait qu'il n'y aurait pas un tel emballement. Il y a eu une visite du Premier ministre chinois au Vietnam à l'automne dernier. Il y avait donc une amélioration des relations, resserrement des liens et les Chinois se sont peut être dit "ça va passer". Les relations sont beaucoup plus tendues avec les Philippines, par exemple. D.C : C'est doublement surprenant. Au mois d'octobre, le Premier ministre chinois est allé au Vietnam et on a pensé que les relations s'étaient améliorées. On ne comprend pas cette action de provocation de la part de la Chine. La deuxième chose surprenante est que cela arrive après la réunion de l'ASEAN (Association des Nations d'Asie du Sud Est, ndlr) en Birmanie, le 11 mai dernier. Il y a deux explications à mon avis. La première est que la compagnie pétrolière a simplement fait cette exploration sans forcément l'accord des autorités centrales en pensant que cela n'aurait pas de conséquences. C'est une possibilité. La deuxième est plus politique. Selon certains observateurs, cette provocation serait une réponse à la visite il y a quelques semaines du président Obama dans le Pacifique pour montrer un certain rééquilibrage de la stratégie américaine en Asie, où il a pris une position à la fois en faveur du Japon et des Philippines dans le conflit avec la Chine. Dans l'ensemble, la montée de la Chine vue de l'Asie du Sud Est est perçue comme un avantage pour l'Asie. La Chine est la locomotive économique qui entraîne tous les autres pays de la région, y compris l'Australie dans la croissance. En même temps, cette puissance qui s'affirme, inquiète ses voisins. Quels intérêts représentent ces eaux territoriales ? F.N : C'est toujours un peu la même chose dans ces cas là. Il y a d'abord une dimension symbolique. Ce territoire est perçu par les deux pays comme faisant partie du territoire national donc là il ne s'agit pas de se laisser marcher sur les pieds. C'est une posture strictement politique et à côté, de ça, dans ces eaux, il y a des ressources potentielles. Ce sont des zones qui peuvent être économiquement intéressantes. Les deux explications se mêlent : politique et économique. D.C : C'est une question économique parce que ces eaux sont à la fois riches en poissons et fruits de mer mais surtout, elles contiendraient des hydrocarbures. C'est un enjeu économique considérable. Depuis le temps que les deux pays se battent pour ces territoires, pourquoi n'arrivent-ils pas à trouver un compromis ? F.N : La mer de Chine du Sud est le théâtre  d'une série de conflits territoriaux entre la Chine et ses partenaires : Philippines, Vietnam, Malaisie, Indonésie. Il y a des conflits avec tout le monde, de part et d'autre. Mais là, la grande difficulté est que la Chine n'a pas encore accepté de règles qui s'imposeraient à elle. Elle a sa vision et elle ne veut absolument pas revenir dessus. Il n'y a pas de compromis possible. D.C : "Il y a des petits pays et des grands pays" comme disait une phrase que j'ai lu dans le journal Global Times (quotidien chinois en anglais). C'est ça la réalité, point final. La Chine n'est pas vraiment prête à faire des compromis. D'ailleurs elle n'est pas revenue sur la carte de la "langue de boeuf" (très vaste zone maritime en mer de Chine du Sud, ndlr). Et cela fait au moins une décennie que l'on parle d'un code de bonne conduite avec les pays de la région, mais cela n'avance pas.
Vietnam : le pas de trop de la Chine
Les Vietnamiens considèrent que la Chine attaque leur souveraineté nationale. DR
Quelles pourraient être les conséquences de ces violences, de ces tensions accrues entre les deux pays ? F.N : Cela va créer une sorte de pause dans l'amélioration des relations entre la Chine et plusieurs partenaires en Asie du sud est. Cela fait un moment que la Chine a lancé une offensive de charme et avec cette manoeuvre, c'est un retour en arrière flagrant. Tous les efforts qui avaient été déployés sont mis par terre. Est-ce qu'on va aller à un véritable conflit ? Probablement pas parce que les forces sont largement déséquilibrées mais ça casse la dynamique d'apaisement qu'il y avait dans la région. Ce que cela risque de déclencher, ce sont des réactions dans d'autres pays qui ont aussi des relations avec la Chine. Mais il semble qu'on pouvait subodorer ce clash là car cela fait quelques semaines que les Chinois menaient des opérations de force dans cette zone. Il y avait des heurts réguliers entre bateaux chinois et vietnamiens. Cette affaire ne redore pas le blason de la Chine. D.C : Une guerre est déclenchée par une erreur, une bêtise. Imaginez qu'un bateau chinois soit coulé, ou que des marins chinois soient tués. Les dirigeants ont un discours plus musclé et nationaliste que leur aînés, donc cela pourrait dégénérer très vite. Entre le discours et l'action, il n'y qu'une bêtise qui lie les deux.

Décryptage de la situation avec Slimane Zeghidour, éditorialiste à TV5MONDE

15.05.2014Présentation : Mohamed Kaci / Analyse de Slimane Zeghidour, éditorialiste à TV5MONDE
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