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10 milliards d'euros par an : voilà ce que coûte chaque année les violences sexuelles sur mineur.e.s en France. Un montant chiffré mis en avant "pour servir d'électrochoc", selon le juriste Édouard Durand, coprésident de la commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles dans l’enfance.
160 000 enfants sont victimes de violences sexuelles chaque année en France. 5,5 millions de femmes et d’hommes adultes ont été victimes de violences sexuelles dans leur enfance. Les agresseurs coûtent au moins 9,7 milliards d’euros par an à la société. Une très large part de ce coût correspond aux dépenses publiques, selon la Ciivise. (Image de la campagne "inceste parlons-en", en 2021)
"Ce que je voudrais dire, c'est que je témoigne pour tous ceux qui en sont morts, qui se sont jetés d'un pont sous un train. Je voudrais témoigner pour tous ceux qui ont choisi de mourir plutôt que de vivre dans le néant. Tous ceux qui en sont devenus fous, malades, réellement fous."
C'est par ce témoignage -anonyme- recueilli lors d'une audition que débute le rapport publié le lundi 12 juin par la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise). Ce rapport, publié dans sa version finale le 17 novembre, formule 82 préconisations, à commencer par l’imprescriptibilité pour les violences sexuelles sur enfants
Cette commission a été créée en 2021 par le gouvernement français dans la foulée du mouvement #MeToo. Dans un avis publié ce 12 juin 2023 sur son site internet, un chiffre est mis en avant : "9,7 milliards d'euros, c'est ce que les agresseurs nous coûtent chaque année".
En estimant le coût économique annuel des violences sexuelles subies dans l’enfance, la CIIVISE entend contribuer à la prise de conscience de l’ampleur et de la gravité des violences sexuelles faites aux enfants. Rapport Ciivise
Pour estimer ce montant, la Ciivise s'est appuyée sur le cabinet Psytel, spécialisé dans les études de coûts en santé publique et la prévention des violences faites aux mineurs et aux femmes. Ce cabinet a par exemple calculé les coûts des violences conjugales (pour le compte de l'Union européenne) et ceux de la prostitution (pour le Mouvement du Nid, association qui lutte contre la prostitution).
"En estimant le coût économique annuel des violences sexuelles subies dans l’enfance, la CIIVISE entend contribuer à la prise de conscience de l’ampleur et de la gravité des violences sexuelles faites aux enfants", expliquent les rapporteurs.
Sur ces 9,7 milliards, 3 milliards sont des dépenses engagées en réponse immédiate et ponctuelle: accompagnement des victimes, services de police, de gendarmerie et de justice, prise en charge médicale immédiate.
Mais le gros du coût total de ces violences est lié aux conséquences à long terme sur la santé des victimes, leur vie intime, sociale et professionnelle.
D’un certain point de vue, c’est leur vie. C’est leur problème. D’un autre, nos vies sont interdépendantes. C’est ce que les humains appellent la solidarité. C’est donc aussi notre problème. Avis de la Ciivise
Le cabinet estime à 6,7 milliards chaque année le montant des dépenses induites par le psychotraumatisme et des richesses non créées, dont notamment: 2 milliards pour les troubles mentaux, 1 milliard pour les consultations médicales, 2,6 milliards d'euros de dommages liés à des conduites à risque. La perte de productivité -liée à la sur-représentation des victimes parmi les personnes au chômage ou bénéficiaires des minimas sociaux - est évaluée à 844 millions d'euros.
Une fille sur cinq et un garçon sur treize ont subi une agression sexuelle ou un viol, selon les chiffres mondiaux de l'OMS (2018). En France, 130.000 filles et 35.000 garçons subissent chaque année des viols et tentatives de viols, selon une enquête IPOS de 2019. Ces chiffres sur les violences sexuelles sur mineurs, bien que très importants, sont, pour les spécialistes, très inférieurs à la réalité des faits. On estime qu'il faudrait les multiplier par dix.
Selon la Ciivise, 160.000 enfants sont victimes de violences sexuelles chaque année en France et 5,5 millions d'adultes ont été victimes dans leur enfance, le plus souvent au sein de leur famille. "D’un certain point de vue, c’est leur vie. C’est leur problème. D’un autre, nos vies sont interdépendantes. C’est ce que les humains appellent la solidarité. C’est donc aussi notre problème", poursuit le rapport de la Commission.
"Le psychotraumatisme engendre des douleurs inexpliquées, des dépressions sévères, des troubles gynécologiques. Il amplifie les conduites dissociantes, comme la toxicomanie, l’alcoolisme, les violences contre soi… Et il conduit une personne sur deux à tenter de se suicider", déclare le magistrat et coprésident de la Commission, Edouard Durand.
Pour réduire ce coût collectif, la société doit investir dans la prévention des violences sexuelles (repérage rapide, mise en sécurité de l'enfant...) et les soins spécialisés pour traiter les traumatismes qui empêchent les victimes de vivre normalement, préconise la Ciivise. Dans son avis, elle détaille "un parcours de soins spécialisés du psychotraumatisme" pour les enfants et adultes victimes de violences sexuelles dans l'enfance, en 20 à 33 séances, qui seraient "prises en charge par la solidarité nationale".
Soigner le psychotraumatisme "réduit les conséquences à long terme des violences et prévient leur répétition", selon le juge Durand qui précise que 35 à 40% des agresseurs ont subi des violences dans l’enfance. Or les victimes mettent en moyenne entre 10 et 13 ans pour trouver un suivi médical spécialisé en France. Et la grande majorité des professionnels de santé ne font pas le lien entre l’état de santé du patient et les violences subies des années auparavant, note la Commission.
"La loi française n'est pas adaptée aux violences sexuelles sur les enfants car il y a encore la notion de consentement, notamment. Ensuite, pour les victimes mineures, il est quasiment impossible de parler avant de très nombreuses années, de ce qu'il s'est passé. Parfois, ils oublient des éléments, ils vont être dissociés, déconnectés voire indifférents. Le résultat d'une dissociation traumatique qui les anesthésient émotionnellement, tant que l'agresseur demeure dans l'entourage. Les mécanismes psychotraumatiques ne sont pas pris en compte" Muriel Salmona, psychiatre - psychotraumatologue et présidente de l'association mémoire traumatique et victimologie (sur LCI, 2018)
La Ciivise est censée rendre son rapport final en novembre 2023. Elle demande une extension de sa durée de vie, pour "évaluer et renforcer les politiques publiques de lutte contre les violences sexuelles", "former, soutenir et accompagner les professionnels" et améliorer ainsi la prévention.
"Ça n'a pas de mots, c'est un enfer. Et nous sommes une multitude. Nous sommes terrés dans le silence et la peur, mais nous sommes là et nous sommes aussi un des visages de l'humanité. Et ce que je voudrais dire, c'est que tous ceux-là ils aspirent à la lumière. Et qu’au-delà de mes mots, ma parole, elle est aussi pour eux." (Extrait d'un témoignage de victime publié sur le site de la Ciivise)
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