Joe Biden effectue, ce mercredi 13 juillet, sa première visite comme président des États-Unis en Israël. Au cours de cette visite, l'hôte de la Maison blanche promet "de renforcer encore" les liens avec Israël. Où en sont justement les relations entre les États-Unis et Israël ? Réponses avec deux spécialistes de la région, Dominique Moisi de l’Institut française des relations Internationales et Daniel Bensimon journaliste israélien.
Joe Biden, vétéran de la scène diplomatique, connaît bien le Proche-Orient. L'homme, ancien président de la commission des Affaires étrangère du Sénat américain, a été un temps l'émisaire du président Obama dans la région. Mais ce 13 juillet sur le tarmac de l'aéroport Ben Gourion de Tel-Aviv, Joe Biden foule pour la première fois le sol israélien en tant que président des États-Unis.
Daniel Bensimon, journaliste israélien, suit les relations entre Washington et Tel-Aviv. Cette visite de Joe Biden est d'abord une occasion de «
de trouver une formule qui renforcerait la sécurité du pays, Israël», estime Bensimon. Aujourd’hui cette sécurité est largement
"soutenue" par les États-Unis ajoute le journaliste. Le soutien est d’abord financier. Washington donne une aide de près de 3.5 milliards de dollars par an destinée à renforcer l'armée israélienne.
Les Américains feront tous, sauf attaquer l’Iran, pour aider Israël.
Daniel Bensimon journaliste israélien
Coté américain l’objectif principal derrière cette visite est «
d’empêcher Israël d’agir seul face à l’Iran » affirme Daniel Bensimon. Les diplomates américains craignent en effet que «
pour mettre fin à la menace nucléaire, Israël ne décide d’attaquer directement la République islamique ». Selon le journaliste israëlien, l'objectif des diplomates américains l’enjeu est d’éviter «
le déclenchement d’une crise dans la région si Israël décide d’opérer à sa façon contre l’Iran ». En 1981, l'armée de l'air israélienne avait détruit une installation nucléaire en Irak, le réacteur nucléaire
Osirak.
Lire : Nucléaire iranien : les négociations se poursuiventPour garantir à Israël «
un sentiment de soutien et de soulagement » Daniel Bensimon affirme que Joe Biden est prêt «
à dire oui à presque toutes les demandes des politiciens israéliens ». Le journaliste israélien soutient «
les Américains feront tout, sauf attaquer l’Iran, pour aider Israël ».
Dominique Moisi, co-fondateur de l'Ifri et spécialiste des relations internationales estime pour sa part que l'Iran est au coeur des discussions entre Joe Biden et Yaïr Lapid. Selon lui, le déplacement de Joe Biden doit consolider «
un triangle Ryad / Jérusalem / Washington pour faire face à toutes menaces iraniennes ».
Depuis le 24 février 2022, les Etats Unis cherchent à redevenir une puissance orientale.
Dominique Moisi, co-fondateur de l'Ifri
L'enjeu de ce déplacement pour la Maison blanche dépasse la seule question iranienne selon le chercheur. «
Depuis le 24 février 2022 [date de l’invasion de l’Ukraine par la Russie],
les États Unis cherchent à redevenir une puissance moyen-orientale ». Le chercheur affirme «
Dans un cadre où l’on connait une guerre chaude à l’est de l’Europe et une guerre froide partout ailleurs, le Moyen-Orient redevient important. L’Amérique a besoin de l’Arabie Saoudite pour continuer à faire baisser les prix du pétrole. Elle a également besoin de consolider l’alliance entre Israël et l’Arabie Saoudite pour ne pas avoir à s’occuper de l’Iran au moment où elle doit s’occuper de la Russie et de la Chine ».
Selon Dominique Moisi, il est donc possible que les discussions dépassent le simple cadre du dossier iranien.
Une rupture avec l’ère Trump autour de la question palestinienne ?
En marge de sa visite en Israël Joe Biden devrait se rendre à Bethléem pour rencontrer le président de l’autorité palestinienne Mahmoud Abbas. Un déplacement lourd de symbole et qui déplaît fortement aux autorités israéliennes.
Pour Joe Biden cette rencontre avec Mahmoud Abbas est une manière de rappeler que contrairement à Donald Trump il considère que la question israélo-palestinienne est importante.
Dominique Moisi, co-fondateur de l'Ifri
Selon Dominique Moisi Joe Biden entend insister sur la question palestinienne de manière plus direct, un ton très différent de Donald Trump.
Au moment de négocier les accords d’Abraham (voir encadré) , Donald Trump fait le choix de « résoudre la question palestinienne sans l’aborder », insiste le spécialiste des relations internationales. L’ancien président républicain souhaitait ainsi concentrer sa gestion du Moyen Orient sur « la peur qu’inspire l’Iran en négligeant la question palestinienne ».
Que sont les "Accords d'Abraham" ?
Israël, a signé des traités de paix avec l'Egypte (1979) et la Jordanie (1994), deux voisins arabes, a normalisé ses relations en 2020 avec les Emirats arabes unis, Bahreïn, le Maroc et en 2021 avec le Soudan dans le cadre des "Accords d'Abraham".
À l’inverse Joe Biden fait le choix d’insister sur la question israélienne à l’occasion de son déplacement. Dominique Moisi rappelle que « rencontrer Mahmoud Abbas à Bethléem est une manière de rappeler que contrairement à Donald Trump il considère que la question israélo-palestinienne est importante ».
Autres déplacements notables, Joe Biden ne devrait pas non plus se rendre au Mur des Lamentations ou dans la vieille ville de Jérusalem. Ces deux lieux font partie de Jérusalem-Est. Cette partie de la ville sainte a été envahi en 1967 lors de la guere des Six jours par l'armée israélienne. Jérusalem-Est fait partie des « territoires occupés » selon les États-Unis et la Communauté internationale. Donald Trump s'était rendu sur le Mur des Lamentations.
Les américains ne considèrent pas la question palestinienne comme un enjeu proche.
Daniel Bensimon, journaliste israélien.
Daniel Bensimon relativise pour sa part l’importance des gages accordées par Joe Biden aux autorités palestiniennes. Selon lui les Américains ne considèrent pas la question palestinienne comme un «
enjeu proche ».
Conflit israélo-palestinien : le président Biden ne change rien au positionnement diplomatique américainIl affirme que la visite de Joe Biden en Palestine ne va pas au-delà d’un simple message de soutien et d’une aide financière. «
Les États-Unis sont effectivement en faveur d’une solution à deux États, mais ils ne font rien pour ça. Cette visite ne devrait pas aller au-delà d’une aide de 100 millions de dollars pour calmer les esprits palestiniens. »
Biden un « ami intime » d’Israël ?
Dans le cadre de son déplacement au Moyen Orient, Joe Biden fait donc le choix de passer deux jours en Israël avant de s’envoler pour Ryad en Arabie saoudite. Selon Daniel Bensimon ce choix n'est pas un hasard mais "
une manière de renforcer l’amitié entre Israël et les États-Unis"
Trump a tout donné à Israël et Biden ne peut pas faire moins que ça.
Daniel Bensimon, journaliste israélien
Le journaliste israëlien soutient que «
Israël reste un allié privilégié des États-Unis et même le plus privilégié. C’est ce qui permet aux Américains d’avoir une position très forte en Israël aujourd’hui. Les États-Unis sont très respecté par les chefs politiques israéliens mais aussi par l’opinion publique israélienne ».
Daniel Bensimon poursuit en affirmant que la position de Joe Biden vis-à-vis de la Palestine n’est pas un problème pour Israël. Joe Biden est un démocrate «
mais le parti démocrate a une relation très forte avec Israël. Les républicains ont changé cette formule mais Biden est un ami intime d’Israël ». Selon lui «
Trump a tout donné à Israël et Biden ne peut pas faire moins que ça ».
Un avis que ne partage pas Dominique Moisi. Le chercheur en relations internationales affirme que « a
ujourd’hui en Israël il y’a une forte déception par rapport aux États-Unis. Ce qui domine l’opinion publique israélienne c’est une sorte de scepticisme grandissant. En Israël il y’a l’idée qu’on ne peut pas se passer des États-Unis mais que ça n’est plus l’allié d’antan ».
Selon le chercheur cette défiance grandissante vis-à-vis de l’allié historique s’est effectué par «
étapes ». Le discours de Barak Obama au Caire en Juin 2009 est «
mal passé ». Dans ce discours l’ancien président américain affirmait «
il est indéniable que le peuple palestinien, qui regroupe des musulmans et des chrétiens, a souffert en quête d'un territoire. Depuis plus de soixante ans, il connaît la douleur de la dislocation ». Ce message d'après Dominique Moisi «
les Israéliens n’étaient pas prêt à l'entendre 8 ans après le déclenchement de la seconde intifada ». La non-intervention américaine en Syrie en 2013 a déçu la classe politique israélienne. Ce choix a été perçu comme un «
désengagement » de la puissance occidentale au Moyen-Orient selon Dominique Moisi. Un sentiment à nouveau connu le 15 aout 2021 lors de la chute de Kaboul. Selon Dominique Moisi à ce moment-là «
on a l’impression que le Moyen Orient post américain a commencé ».