Visite de Nancy Pelosi à Taïwan : "Ce n'est ni sans précédent, ni une évolution importante de la politique américaine"

La visite de la présidente de la Chambre des représentants ne marque pas un changement profond de la position des États-Unis sur Taïwan mais peut être utilisée par la Chine pour renforcer les sanctions vis-à-vis de Taïpei, estime Antoine Bondaz, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS).
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Pelosi Taïwan
La présidente de la Chambre des représentants américaine, Nancy Pelosi, à gauche, et la présidente taïwanaise, Tsai Ing-wen, à Taipei, le 3 août 2022.
Bureau présidentiel de Taiwan via AP
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L'image est symbolique autant qu'ambiguë. La présidente de la Chambre des représentants des États-Unis, Nancy Pelosi, et la présidente taïwanaise, Tsai Ing-wen, ensemble, dans le bureau présidentiel à Taïpei. Au-dessus des deux femmes, le portrait de Sun Yat-sen (1885 - 1926), considéré par beaucoup comme le père de la Chine moderne et rare figure célébrée en même temps à Pékin et à Taïpei.

La figure du premier président, en 1912, de la République de Chine - le véritable nom de Taïwan, distincte de la République populaire de Chine (RPC) fondée par Mao en 1949 - n'est pourtant pas une anomalie. Il est même le symbole d'une continuité malgré la visite symbolique de la cheffe des députés américains, analyse ainsi Antoine Bondaz, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS).

TV5MONDE : Quels peuvent-être les effets du voyage taïwanais de Nancy Pelosi ?

Antoine Bondaz :
 La dynamique des relations entre la Chine et les États-Unis ne va pas être modifiée. Celles-ci vont tout simplement continuer à se détériorer, comme depuis de nombreuses années maintenant. Même s'il y a eu énormément de menaces de Pékin envers Washington avant et pendant la visite de la présidente de la Chambre des représentants, les sanctions vont d'abord et avant tout être prises contre Taïwan.

Voir aussi : Taïwan : Nancy Pelosi est venue "en paix"

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Ces mesures de rétorsion ne sont pas nouvelles. Elles durent depuis l'arrivée au pouvoir de la présidente actuelle, Tsai Ing-wen, en mai 2016. La Chine utilise plutôt cette visite comme un prétexte pour sanctionner Taïwan. Et crée volontairement la crise pour renforcer un peu plus la pression sur l'île afin de modifier le statu quo.

TV5MONDE : Comment Pékin sanctionne-t-il Taïpei ?

Elles sont de trois ordres : économiques, militaires et diplomatiques. De nouvelles sanctions économiques ont été annoncées par la Chine mercredi 3 août. Il s'agit d'un embargo sur quasiment l'ensemble des produits agro-alimentaires exportés vers Pékin. Les Chinois n'exporteront plus non plus de sable à Taïpei.

Les opérations de désinformation, de manipulation de l'opinion publique et les cyberattaques sont déjà quotidiennes mais devraient s'intensifier.
Antoine Bondaz, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS).

Les exercices militaires qui vont commencer dans les jours à venir se dérouleront à proximité immédiate des côtes taïwanaises et simuleront un blocus. La "guerre cognitive", c'est-à-dire les opérations de désinformation, de manipulation de l'opinion publique, les cyberattaques, est déjà quotidienne mais devrait s'intensifier.

Sur le plan diplomatique, la Chine a déjà tellement isolé Taïwan dans les enceintes internationales qu'il ne reste plus grand chose à faire. Par contre, TaÏpei est encore officiellement reconnu par 14 pays, notamment dans les Caraïbes, en Amérique centrale et dans le Pacifique. Pékin va ainsi essayer d'en décrocher quelques-uns tandis que Taïpei devra faire un énorme effort pour les conserver dans son giron. 

Il y aura enfin d'autres sanctions plus diffuses telles que compliquer la vie des étudiants ou des hommes d'affaires taïwanais en Chine par exemple.

TV5MONDE : Quelle est la position américaine sur Taïwan ?

C'est ce qu'on appelle la politique dite d'une seule Chine, la même que les Européens, les Japonais ou les Australiens. Elle consiste à ne reconnaître que la République populaire de Chine (RPC) et pas la République de Chine (Taïwan). En 1979, les Américains ont établi des relations diplomatiques avec Pékin au détriment de Taïpei. Comme l'avait fait la France du Général de Gaulle quelques années plus tôt.

Pelosi Taïwan
Un panneau d'affichage pour accueillir la présidente de la Chambre des représentants des États-Unis, Nancy Pelosi, à Taipei (Taïwan), mercredi 3 août 2022.
AP Photo/Chiang Ying-ying

Aujourd'hui, cela explique pourquoi Joe Biden ou Anthony Blinken ne se rendent pas à Taïwan. Il n'y a pas non plus de relations diplomatiques, ni d'ambassade. En revanche, les relations existent dans bien d'autres autres domaines : économiques, culturelles, technologiques, scientifiques, parlementaires etc...

TV5MONDE : Ces visites de parlementaires étrangers sont donc courantes...

La visite de la Speaker n'est effectivement pas inédite. Ce qui s'est passé n'est donc ni sans précédent, ni une évolution importante de la politique américaine.

Les parlementaires étrangers viennent régulièrement à Taïpei : des délégations américaines étaient déjà présentes l'année dernière, tout comme le président du Parlement tchèque, et la vice-présidente du Parlement européen il y a quelques jours.

TV5MONDE : La présence du portrat de Sun Yat-sen (1885 - 1926), considéré par certains comme le père de la Chine moderne, est-elle un symbole ?

Les Taïwanais n'ont pas mis cette photo spécialement pour l'occasion. Elle est toujours présente dans cette salle du palais présidentiel. Il n'y a pas de changement.

Il y a bien sûr une histoire conjointe entre la Chine et Taïwan. Mais nous assistons aujourd'hui depuis 1980 à une démocratisation de l'île et une forme de décolonisation. En effet, les nationalistes arrivés après leur défaite face aux communistes lors de la guerre civile (1927 - 1949), avaient imposé un système politique, social et identitaire alors qu'ils ne représentaient que 10% de la population de l'époque à Taïwan.

TV5MONDE : Comment jugez-vous la réaction de la Russie qui a accusé les États-Unis de "déstabiliser le monde" ?

C'est un renvoi d'ascenseur qui n'est pas surprenant.

Voir aussi : Taïwan, ce "pays" que la Chine veut réunifier

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