Emmanuel Macron est à Beyrouth depuis jeudi 6 août 2020 pour apporter son soutien aux Libanais après la double explosion qui a ravagé l'est de la ville. C'est le premier chef d'Etat étranger à s'être rendu sur place, un soutien qui s'inscrit dans l'histoire des relations franco-libanaises. Entretien avec George Corm, ancien ministre des Finances au Liban et professeur à l’Institut de Sciences politiques de l’Université Saint-Joseph de Beyrouth.
TV5MONDE : Emmanuel Macron s’est rendu au chevet de Beyrouth jeudi 6 août. Il est le premier chef d’Etat étranger à s’être rendu sur place. Comment a été perçue cette visite au Liban ? George Corm : Cette visite du président français a été, je pense, très bien accueillie par les Libanais. C’est la première fois que l’on voit un chef d’Etat occidental se promener de façon aussi simple et détendue dans les rues de la capitale. Il a parlé avec tous les citoyens libanais. De plus, il a pris le temps, sa visite a été longue, ce qui lui a permis de vraiment évaluer les dégâts causés par les deux explosions dans l’est de la capitale. Cette promenade a été quelque chose de réellement exceptionnel.
Le président français a tenu des propos forts à propos du gouvernement libanais. Il a notamment appelé à un « profond changement ». Certains de ses opposants politiques français, Jean-Luc Mélanchon (LFI), Julien Bayou (EELV) ou encore Jordan Bardella (FN) y voient de l’ingérence, qu’en est-il sur place ? George Corm : Au Liban, la grande majorité de la population est très hostile aux leaders qui sont aujourd’hui en place, certains depuis trente ans, et qui ont mis le pays en coupe réglée. Donc les critiques qu’a pu faire Emmanuel Macron ont été bien reçues. Mais je crois que cela, Emmanuel Macron le savait. Dans la conférence de presse qu’il a tenue avant son départ vers le Liban, il avait annoncé déjà cette nécessité de changer de personnages et de régime politique. Quelque part, il est révolutionnaire.
Effectivement, l’on peut dire
« C’est une immixtion dans la politique intérieure ». Moi qui suis d’une vieille génération, je me méfie de l’impérialisme français qui continue d’une certaine façon. Il est légitime de plaider pour la thèse d’une continuation de l’impérialisme français au Liban, sous une forme certes atténuée et adoucie. Il faut se méfier de cet impérialisme mais je crois que le président Macron a été vraiment très inspiré durant cette visite au Liban. Il a montré une telle sympathie qu’on ne peut pas lui en vouloir de s’immiscer dans les affaires intérieures libanaises d’autant que ceux qui les gèrent n’ont plus du tout la confiance de la population.
Qu’ils soient historiques ou affectifs, la France entretient des liens privilégiés avec le Liban. Dans la foule on pouvait entendre un Libanais dire « n’oublie pas, le Liban est ton fils » à Emmanuel Macron. Cette réaction n’est-elle justement pas dangereuse pour l’indépendance libanaise ?George Corm : Il y a des liens culturels depuis le milieu du 19ème siècle qui sont extrêmement importants. Beaucoup de Français vivent au Liban, beaucoup de Libanais vivent en France, s’ajoutent à cela les binationaux, donc il y a véritablement, au-delà des liens politiques, des liens humains et culturels très forts entre les deux pays. Mais cela ne doit pas non plus aveugler sur le fait que la France reste une puissance impériale et on peut d’ailleurs le voir en Afrique.
Il est évident que la critique d’une autorité gouvernementale a évidemment bien été reçue. Maintenant sur un plan strictement protocolaire, on peut froncer les sourcils et se dire
« C’est la France qui reprend sa politique impériale voire impérialiste au Liban ». Un peu comme une main de fer sous un gant de velours. Il est trop tôt pour se prononcer mais ce pourrait être le cas.
- (Re)voir aussi : Liban : " La corruption est la raison d'être de la classe politique actuelle"
N’oublions pas que le Liban a beaucoup souffert au 19ème siècle des affrontements entre les deux impérialismes britanniques et français. Ils ont abouti à des massacres entre la communauté druze et la communauté maronite, alors que les relations étaient parfaitement détendues.
Je dénonce aussi souvent dans mes ouvrages l’arrêté qu’a pris le Haut-Commissaire français au Liban en 1936 de faire de ce qu’il a appelé
« les communautés historiques » comme étant la base de l’ordre juridique. Mais c’est comme cela qu’est né le confessionnalisme (ndlr système politique basé sur l’équilibre entre les différentes communautés religieuses) au Liban, il existait relativement peu auparavant.
Après Emmanuel Macron, le président du Conseil européen Charles Michel se rendra lui aussi à Beyrouth ce samedi 8 août. Les institutions européennes participeront elles à une conférence des donateurs organisée "dans les prochains jours" par la France afin de mobiliser une aide humanitaire d'urgence. Mais le Liban doit-il vraiment compter sur l’aide européenne et internationale ? George Corm : Si la visite d’Emmanuel Macron entraîne d’autres visites c’est tant mieux. Mais le Liban a déjà des relations assez intenses avec l’Union européenne. En ce qui concerne l’aide internationale, le gouvernement libanais a toujours eu comme conseiller la Banque mondiale qui connaît les dossiers par cœur, mais cela n’a pas donné grand-chose, on n’a pas vu de résultat concret et pratique (ndlr le Liban espère depuis le mois de mai une aide du FMI sur la base d'un plan de sauvetage mis au point par le gouvernement).
Heureusement, nous allons recevoir de l’aide humanitaire (ndlr les Etats-Unis ont annoncé ce vendredi 7 août envoyer immédiatement au Liban 15 millions de dollars de nourriture et de médicaments). Elle arrive, cela fait d’ailleurs plaisir à voir. Plusieurs pays européens sont en train d’envoyer de l’aide car la catastrophe que nous avons subie est colossale.