Visite du président birman en France : parlera-t-il droits de l'Homme ?

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Visite du président birman en France : parlera-t-il droits de l'Homme ?
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Le président François Hollande reçoit ce mercredi 16 juillet son homologue birman Thein Sein. Plusieurs associations françaises lui ont adressé une lettre ouverte, pour "ne pas passer sous silence la situation des droits humains" dans le pays. En ligne de mire : les exactions commises contre la minorité musulmane des Rohingyas. Célestine Foucher est coordinatrice de l'association Info Birmanie, une des organisations signataires de la lettre ouverte. Entretien.
Visite du président birman en France : parlera-t-il droits de l'Homme ?
En juillet 2012, Thein Sein déclarait devant le commissaire des Nations Unies pour les réfugiés qu'"il est impossible d'accepter la présence des Rohingyas en Birmanie, ils sont entrés illégalement dans le pays et qu'ils ne font pas partie du système ethnique birman." En mai 2013 à la Maison blanche, le même Thein Sein affirmait : "les populations du Myanmar de toutes origines ethniques et religieuses, qu'elles soient bouddhistes, chrétiennes, musulmanes, hindoues et autres, doivent se sentir partie prenante d'une nouvelle identité nationale". Son discours a-t-il évolué ?
Non. En fait, le problème c'est qu'on a vraiment un fossé entre les promesses de Thein Sein, les déclarations publiques qu'il fait, et leur application par son gouvernement sur le terrain. De nombreux engagements ont été pris par Thein Sein, et presque aucun n'a été respecté, en tout cas les critères qui avaient été définis par l'Union européenne pour la levée des sanctions. Elles ont été levées sans qu'aucun des critères n'ait été respecté par le président birman. Il peut se dire que de toute façon la communauté internationale n'a plus aucun levier pour faire pression. C'est pour cela que, dans le cadre de cette visite de Thein Sein en France, nous demandons au président français qu'il dise au président birman de respecter ses engagements, qu'il fasse cesser les violences et les discriminations contre les musulmans en général et notamment les Rohingyas dans l'Arakan. Et, sachant qu'il n'y a plus de levier ni de critère précis, nous demandons que soit mis en place un calendrier précis et des réformes en vue des élections de 2015
Vous avez rédigé une lettre ouverte à François Hollande. Concrètement, qu'attendez-vous de lui ?
On voudrait qu'il s'exprime publiquement. Dans une déclaration, David Cameron a demandé au gouvernement birman de prendre en compte les violations des droits de l'Homme (lien en anglais) et de les résoudre. Il n'y apparemment pas de déclaration publique de prévue. Donc on appelle vraiment François Hollande à fermement et publiquement appeler Thein Sein à mettre fin aux violations des droits de l'Homme, aux discriminations… La liste est longue : il y a les prisonniers politiques, un libre accès de l'aide humanitaire aux déplacés internes - depuis que Thein Sein est président il y a 250 000 réfugiés de plus en Birmanie - depuis qu'il est président il y a deux ans les violations des droits de l'Homme ont augmenté, notamment avec les violences dans l'Arakan. 
On demande vraiment à ce que la France ne fasse pas acte d'hyper optimisme, d'euphorie déplacée. Oui, la Birmanie évolue dans un meilleur sens qu'avant : le processus de transition est toujours incertain mais il y a eu un certain nombre de progrès. Cependant, les réformes réalisées n'ont pas permis de mettre un terme aux violations des droits de l'Homme, de mettre fin à l'impunité, ni d'avancer vers la réconciliation nationale. Les violations des droits de l'Homme contreviennent au droit international et surtout elles peuvent être considérées comme des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité. C'est pour ça qu'on demande aussi à François Hollande de soutenir publiquement la mise en place d'une commission d'enquête sur les violences faites dans l'Arakan pour savoir si les faits de nettoyage ethnique sont avérés, et pour mettre fin à l'impunité, c'est-à-dire pour traduire les auteurs des violences devant la justice. 
Visite du président birman en France : parlera-t-il droits de l'Homme ?
Des Rohingyas dans un camp de déplacés -©AFP
Vos demandes ne risquent-elles pas de rester lettre morte ?
On a vu l'Elysée dimanche, on a essayé de faire passer notre message. On n'a pas eu de réponse claire, on nous a dit que oui bien sûr ils prendraient en compte les grande problématiques, mais on a plutôt l'impression qu'ils ne veulent vraiment pas pointer du doigt le gouvernement birman, qu'ils veulent rester très diplomates avec eux, qu'ils veulent pas écarter des contrats avec des entreprises potentielles. On a vraiment l'impression que ce sont les intérêts économiques avec des entreprises françaises qui priment avant les droits de l'Homme. Alors que ce sont les droits de l'Homme qui devraient être au coeur d'un processus d'engagement en Birmanie ! C'est assez marquant : le premier rendez-vous de Thien Sien quand il arrive en France, c'est avec le Medef… on voit où sont les priorités, clairement…
Si François Hollande répondait à toutes vos requêtes, notamment la mise en place d'un calendrier détaillé de réformes en vue des élections de 2015, ne risquerait-il pas d'être accusé d'ingérence ?
C'est exactement ce qu'on m'a répondu dimanche à l'Elysée quand je leur ai demandé ce que la France pouvait faire en termes de critères précis imposés. On nous a dit : "non, on ne veut pas passer pour une puissance coloniale, c'est de l'ingérence, on peut dire mettez des critères mais on ne peut pas dire lesquels". En gros, ils ne vont pas appeler le gouvernement birman à abroger la loi de 1982 par exemple, qui rend les Rohingyas apatrides, qui les prive de nationalité, qui les fait citoyens de seconde zone. Ça paraît aberrant, parce que cette loi est complètement en violation du droit international, le rapporteur spécial sur les droits de l'homme en Birmanie de l'ONU a même fait part d'allégations d'implications de l'Etat dans les violences. On parle d'ingérence, alors que certaines organisations évoquent des crimes de guerre, même des signes avant-coureurs de génocide. A titre personnel, je ne parle pas de génocide, mais il ne faut pas que la communauté internationale reste assise, parce que là le climat devient vraiment dangereux en Birmanie. Cette situation peut empirer chaque jour. C'est pour ça qu'on ne parle pas vraiment d'ingérence, mais plutôt d'une vigilance extrême, et de mesure entre pression et engagement.

Aung San Suu Kyi “dans une situation inextricable“

L'opposante charismatique Aung San Suu Kyi est restée assez silencieuse sur la problème des Rohingyas. Célestine Foucher commente : 
"Le problème, c'est qu'en restant silencieuse elle se fait critiquer par la communauté internationale parce qu'elle ne prend pas partie pour les Rohingyas ; en restant silencieuse, elle se fait critiquer par les Birmans à l'intérieur, notamment par le moine Wirathu, celui qui mène la campagne haineuse de discrimination 969. Il appelle au boycott d'Aung San Suu Kyi parce que, justement, il dit qu'elle est pro-Rohingyas. Elle est vraiment dans une situation assez inextricable. 
C'est vrai que c'est une politicienne, elle veut gagner les élections de 2015. Si elle prend position pour les Rohingyas elle ne gagnera pas les élections, sachant qu'on a un climat de racisme très étendu. C'est sûr qu'on s'attendrait à ce qu'elle fasse passer un message de tolérance, religieuse dans tous les cas. Elle a essayé de le faire lors de son dernier voyage au Japon, elle s'est un peu plus exprimée, mais sa situation est vraiment difficile. Donc je ne la critique pas. 
On peut parler de déception. On s'attendrait à plus d'ouverture sur le sujet de sa part. Après, nos critiques restent clairement portées sur le gouvernement, et son action pour arrêter les violences. Parce que ce n'est pas elle qui dirige l'armée, ce n'est pas elle qui peut faire arrêter les violences. Elle peut participer à faire cesser les incitation à la haine parce qu'elle a une grande aura en Birmanie. Mais ça reste délicat. C'est vraiment une situation très très très délicate en Birmanie."