Vœux présidentiels : d'où vient la morosité française ?

Le président de la République française, lors des traditionnels vœux de nouvelle année à la nation, a largement insisté sur la morosité du pays, qu'il veut combattre. Pourquoi la France est l'un des pays les plus pessimistes au monde ?
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Vœux présidentiels : d'où vient la morosité française ?
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C'est une information qui laisse songeur et n'a pas échappé au chef de l'Etat : la France déprime. En Europe, cette année, la "patrie des droits de l'homme" est le pays le plus pessimiste, après l'Italie. Selon un sondage BVA-Orange de décembre 2014, seuls 30% des Français sondés pensent que la situation économique sera meilleure en 2015, tandis que 68% estiment qu'elle sera pire. Cette vision économique très négative de l'avenir reflète un sentiment national plus large, fait de manque de confiance et d'inquiétudes fortes, qui affecte directement la société dans son ensemble. Si les Français sont devenus "moroses", pourquoi le sont-ils à ce point — comparés à d'autres peuples en Europe qui ne sont pourtant pas, économiquement parlant, plus en forme ?

François Hollande : “Je veux en finir avec le dénigrement et le découragement“

Reuters
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Un pays qui s'observe trop ?

La France a un long passé, chargé d'une histoire qui a permis un rayonnement vers l'extérieur très important. Particulièrement depuis le siècle des Lumières. Le pays inventeur des droits de l'Homme a apporté de nombreuses contributions, dans des domaines aussi variés que les sciences et les techniques, la philosophie, la politique, les arts : l'exemple français est, pour de nombreuses nations, une référence inscrite dans la mémoire populaire. La déprime française actuelle est-elle reliée à ce sentiment de déclassement face aux mutations économiques, sociales, engendrées par la mondialisation des échanges ? Le "pays des philosophes" semble se demander comment recouvrer sa gloire passée, son engagement politique international et sa capacité à offrir un modèle, à pouvoir de nouveau se vanter du fameux "rayonnement de la France", désormais cantonné… à des campagnes militaires africaines. Un pays qui se questionne autant sur son statut, sa société, son économie, ses valeurs, et ne parvient pas à changer — ne peut-il pas faire autrement que déprimer ?

Politiques du passé

Vœux présidentiels : d'où vient la morosité française ?
Copie d'écran du site “We Demain“. Un nouveau journalisme positif orienté innovation ?
Ce que François Hollande rappelle — à juste titre lorsqu'il parle de découragement — est un état général de la société, fait d'un sentiment de répétitions, de morosité et d'impossibilité à envisager des améliorations, qu'elles soient individuelles ou collectives. Les mêmes refrains médiatiques tournent en boucle : le chômage ne baisse pas, les budgets publics doivent être réduits, l'économie va mal, la pauvreté augmente, etc. Le journaliste et créateur du magazine trimestriel We Demain, François Siegel, pense pourtant qu'un changement de société majeur est en train de se dérouler, mais que la classe politique n'arrive pas à s'en emparer : "Pourquoi les politiques ont du mal à parler de cette période-là, celle que l'on vit ? Parce que globalement, tout le monde parle de ce changement de société, mais en fait, on veut toujours revenir au modèle d'avant. On veut toujours réinventer le XXème siècle, alors qu'on est passé au XXIème, et c'est un siècle profondément différent !" Cette incapacité des responsables politiques, selon François Siegel, à inventer le futur, à s'y projeter, mais à encore et toujours vouloir faire du neuf avec du vieux, est centrale : "Si on se projetait un peu plus vers l'avenir, je pense que les choses iraient mieux".

Les paroles sans l'action ?

Vœux présidentiels : d'où vient la morosité française ?
“Il faut que nous surmontions le malaise moral qui, chez nous plus que partout, à cause de notre individualisme, est inhérent à la civilisation mécanique et matérialiste moderne.“ Le combat contre la morosité était déjà présent chez le président De Gaulle, pour les vœux de 1969.
La France est le pays des commentaires et des commentateurs. La parole politique, particulièrement, y est reine. Cette faconde française est connue et appréciée, mais elle a un revers, celui de l'inaction ou du manque de courage politique. Le candidat Hollande, devenu président, en est aujourd'hui la première victime en termes d'impopularité. Les promesses électorales non tenues, les reniements, les annonces d'amélioration, toutes ces paroles battues en brèche par la réalité sont devenues autant de signes d'un pouvoir politique qui sait surtout dire, et fait peu, voire qui fait l'inverse de ce qu'il annonçait. Les Français, souvent attirés par "l'homme providentiel", attendent, et les actes ne suivent pas. Pourtant, des changements très importants surviennent un peu partout, comme le souligne le créateur du magazine We Demain sur l'antenne de la radio France Inter ce 1er janvier : "Il faut observer ce qu'il se passe dans le monde, regarder tous ces territoires en mutation, ces villes qui changent, ces gens qui changent, ces nouvelles professions qui arrivent… Dans tous les domaines, il y a un changement qui est radical, violent, optimiste, qui est positif. A San Francisco, par exemple, alors qu'on dit tout le temps que les Américains sont des grands pollueurs, et bien cette ville va recycler la totalité de ses déchets. Copenhague va être une ville avec zéro émission de CO2 dans les années qui viennent. Il y a plein de choses qui marchent. Alors que chez nous, on nous explique qu'il est impossible de sortir de l'économie du charbon, du pétrole, de l'atome, des pays entiers sont en train de passer au solaire."

Dépasser les débats stériles ?

La société française est morose, mais il faudrait peut-être peu pour la faire basculer dans un nouvel optimisme. Les sujets déprimants ne manquent pas, mais faut-il pour autant ne traiter majoritairement que ceux-ci ? Le créateur de We demain, François Siegel, insiste sur cet aspect sclérosant d'une information qui ne voudrait jamais aller vers les choses qui fonctionnent, qui éviterait de parler des aspects bénéfiques des changements en cours : "Il faut remonter le centre d'intérêt des gens, arrêter de sans cesse ressasser le passé ou essayer de revenir sur les modèles d'avant. Il y a deux solutions pour sortir de la déprime française : soit on considère qu'on est des ringards, dépassés, démodés, et que plus rien ne marche, soit on considère qu'on est une antenne avancée du monde de demain et qu'on a peut-être une petite avance sur les autres." François Siegel pense que le débat politique est très loin des vraies préoccupations, et donne des exemples pour appuyer son propos : "Il y a bientôt le 'Consumer Electronics Show' de Las Vegas (salon international de l'innovation, ndlr), avec une présence des startups françaises qui est incroyable : elles représentent près de 30% des startups de ce salon ! Ce sont des gens qui sont en train d'écrire l'avenir, avec des nouveaux produits, des nouvelles inventions. En France, on est très fort sur les FabLabs (laboratoires de fabrication numérique), et sur tous ces nouveaux territoires d'expression. Il faut simplement un peu changer le curseur et éviter de vouloir réinventer en permanence le XXème siècle. C'est pour ça que les gens ne croient plus aux discours politiques, parce que plus personne ne croit aux fables, on sait bien que l'emploi ne va pas revenir comme ça. Mais il y a d'autres emplois, différemment, qui vont arriver." C'est en quelque sorte le récit national qui est grippé, si l'on s'accorde aux propos de François Siegel. La morosité française pourrait donc facilement s'effacer au profit d'une renaissance française, tournée vers l'avenir et l'innovation. Pour peu que ceux qui sont en charge de perpétuer ce récit et de lui donner des moyens veuillent bien changer de registre.

Les vœux (presque) présidentiels de l'humoriste français François Morel sur Mediapart