A Pékin, sous le beau soleil d’octobre, je relis Les Larmes rouges du bout du monde (ed. Gallimard), un recueil de six nouvelles du
moine poète Su Manshu (1884 – 1918), traduit du chinois par Dong Chun et Gilbert Soufflet. Dans l’une d’elles, « L’Epingle brisée », je suis particulièrement touché par la description de l’héroïne Lianpei, une jeune fille en fleur, née d’une riche famille traditionnelle, mais plus ou moins occidentalisée et qui répond à la question posée par le narrateur, qui n’est autre que le moine Su : -- Mademoiselle est-elle allée en Europe ou en Amérique ? -- Non. Mais j’ai l’intention d’aller en Europe d’ici deux ou trois ans. Je voudrais me rendre sur les champs de bataille de la première guerre mondiale. Quant à l’Amérique, ca ne me tente pas. Il n’y a pas de monuments historiques à visiter. Et le seul objectif des gens de là-bas, c’est de “make money”. Ils affirment souvent : “Two dollars are better than one” (Deux dollars c’est mieux qu’un seul, ndlr). Et ils ont pour nous autres Chinois à peu près autant de considération que pour les chiens. Pourquoi irais-je là-bas subir ces outrages ? On prétend que l’Amérique est remarquable pour sa civilisation matérielle très développée. Mais convient-il de taire pour autant qu’ils sont âpres au gain, et esclaves de la volonté de faire fortune ? Ils ne savent utiliser leur civilisation matérielle que pour appauvrir les gens du peuple. C’est pourquoi les humanistes disent : “Si sur terre, on pouvait acheter l’air, les Américains l’auraient fait depuis longtemps ! Je trouve cela bien triste. ” Dans cette histoire, la belle créature, si douce, a fini par se suicider de chagrin d’amour. Sa vision de l’Amérique est celle du moine Su, qui reflète la conception confucéenne de toute une génération intellectuelle de l’époque. Notons bien que Su Manshu a été le premier à traduire en Chine les poèmes de Byron et Les Misérables de Victor Hugo. Provocation sournoise et dissimulée Depuis, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts du Yangtse. Aujourd’hui, au début du XXIème siècle, nombreux sont les jeunes Chinois qui font le rêve américain. Et, en 2008, Barack Obama, fils d’un Kenyan, a surgi comme une météorite. Un vif espoir est né avec son avènement a la présidence américaine. On avait tendance à croire que les Etats-Unis ne joueraient plus désormais le rôle de gendarme international dans le monde. Mais la fièvre est vite retombée. Ceux qui ont voté pour lui sont profondément déçus. Il y a une forte désillusion, même parmi ses groupies. Car, au lieu de faire face efficacement à la grave crise économique à l’intérieur du pays pour changer le sort de ses compatriotes, Obama a décidé d’envoyer à nouveau trente mille soldats américains en Afghanistan, tout en engageant son pays dans plusieurs conflits militaires à l’échelle internationale, sans parler de sa provocation ouverte ou sournoisement dissimulée, a l’égard de la Chine. Et ceci, toujours sous le prétexte de protéger les Etats-Unis contre tous les dangers. C’est donc le spectre de Bush-fils qui continue de hanter le monde. Comble d’ironie : Monsieur Obama a eu, pour ses faits et gestes, le prix Nobel de la paix, et les Mormons le traitent de “marxiste” ou “communiste”. Malgré son échec cuisant lors de son premier débat le 3 octobre 2012 avec Mitt Romney, candidat républicain à la présidentielle de novembre prochain, Obama risquerait d’être réélu. A cet égard, un adage chinois dit : “Entre deux maux, on choisit souvent le moindre”. Pour certains, Obama apparaît sans doute plus humain que Mitt Romney, mais sous son allure désinvolte se cache le cynisme d’un serviteur fidèle aux Puissants de la Terre. Contrairement à ce que souhaite son épouse Michelle, il ne sait pas “passer à autre chose”. Cela m’amène a penser tout naturellement au compositeur français Claude Debussy dont on célèbre, cette année dans l’hexagone, le 150ème anniversaire de la naissance, et qui dit deux ans avant sa disparition : “Quand cessera-t-on de confier le destin du peuple a ceux qui font de l’humanité les moyens de parvenir ?” Si Michelle Obama a l’impression que le musicien prend plus de plaisir dans la vie, il est évident que celui-ci révèle une vérité flagrante.