Vu du Canada : la crise du gaz en Europe, une occasion de réfléchir à la solidarité énergétique

La question de l'équité énergétique entre sociétés à moyen et à long terme se pose dès maintenant, estiment des spécialistes. Un article de notre partenaire RADIO-CANADA.
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Solidarité énergétique
Un remorqueur guide le pétrolier Eternal Sunshine hors du port de Portland le 10 juin 2022, à Portland, dans le Maine. Le pétrole brut est pompé du Maine vers le Québec, au Canada, via le Portland-Montreal Pipe Line.
Robert F. Bukaty (AP)
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Les étalages des magasins Canadian Tire à Montréal sont actuellement remplis de décorations lumineuses pour Halloween, qui approche à grands pas. Les lumières colorées de Noël coloniseront ensuite les mêmes étagères. De jolies décorations, certes, mais qui font augmenter la consommation d’énergie à des moments où le réseau de distribution est fortement sollicité.

Paradoxal, diront certains, alors que de l’autre côté de l’océan, les gouvernements doivent imposer des mesures draconiennes pour réduire la consommation d’énergie. Certains pays d’Europe, comme la France et l’Allemagne, s’apprêtent en effet à passer un hiver bien singulier : lumières tamisées et thermostats réglés à 19 degrés Celsius, et ce, même en période de grands froids. Le tout à cause, notamment, du conflit en Ukraine.

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Au Canada, l’heure est-elle à la solidarité énergétique? Cette question, loin d'être anodine, est au cœur des débats en ce moment, dit le professeur Éric Pineault, membre de l’Institut des sciences de l’environnement de l'UQAM.

Les Canadiens peuvent-ils faire quelque chose dans l’immédiat pour aider les Européens? Non, précise le professeur Pineault.

Même si la production canadienne de gaz naturel est importante, la production de gaz naturel liquéfié, elle, est dérisoire. L’essentiel du gaz transite par les États-Unis pour être ensuite liquéfié dans le golfe du Mexique. De son côté, l’Alberta est incapable d’acheminer son pétrole vers l'est, ce qui rend donc cette source d'énergie quasi impossible à livrer en Europe.

Pourtant, la question de l’équité et de la solidarité entre les sociétés à moyen et à long terme se pose dès maintenant, croit Éric Pineault.

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La ruée aux minéraux

Les matériaux critiques pour la transition énergétique sont au cœur de cette réflexion. Qui pourra mettre le grappin sur les précieuses ressources comme les terres rares, le cuivre et le lithium, indispensables à l’électrification?

Si certains pays ont les moyens de s’en procurer ou de prendre des options sur l’extraction de ces métaux, d’autres nations peinent à se positionner sur le marché en raison de leurs contextes économiques plus fragiles, précise le professeur Pineault.

« Est-ce que les pays riches comme le Canada, pour maintenir leur niveau de consommation énergétique, qui est de quatre à cinq fois la moyenne planétaire, vont s'approprier les ressources critiques pour la transition énergétique pour finalement verrouiller un niveau de vie rattaché à une certaine consommation d'énergie ? »

Éric Pineault, membre de l'Institut des sciences de l'environnement de l'UQAM

C’est surtout dans ce contexte que se pose la question de la solidarité énergétique, croit M. Pineault. Le professeur est convaincu que les gouvernements ont le devoir de réfléchir d'ores et déjà à une distribution juste et équitable de ces matières premières essentielles à la transition écologique afin d’éviter des clivages nuisibles qui pourraient fragiliser des peuples entiers.

La semaine dernière, dans un entretien accordé au journal Le Monde, le directeur général de l’Agence internationale de l’énergie, Fatih Birol, y est allé d’une mise en garde : il y a des risques réels de fractures à l’échelle mondiale.

M. Birol a rappelé un incident qui s’est produit en août dernier : un méthanier en route pour le Pakistan, pays écrasé par des températures records de 52 degrés Celsius et qui avait besoin de gaz naturel liquéfié pour éclairer et climatiser sa population, a été redirigé vers l’Union européenne, qui a payé plus cher sa cargaison.

Résultat : le Pakistan a subi de nombreuses coupures de courant, ce qui causé de multiples problèmes. De quoi enflammer les esprits et raviver des tensions.

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Autre source potentielle de conflits : l’espace requis pour la production d’énergie renouvelable, qui constitue un problème pour plusieurs pays, dont l’Allemagne. Ce pays d’Europe centrale a noué un partenariat avec la Namibie en vue d’un projet de production et de transport d’hydrogène vert issu d’énergies renouvelables.

Selon le professeur Pineault, il faut se questionner dès maintenant sur l’appropriation d’espace par les pays riches qui transforment ainsi les pays en développement en pays pourvoyeurs d’énergie propre.

Le danger, croit-il, est de contraindre les nations du Sud à devenir dépendantes des pays du Nord.

Solidaire, un geste à la fois

Carole Dupuis, porte-parole du mouvement éco-citoyen UNEplanète et membre de la Table énergie du front commun pour la transition écologique, croit que le contexte est également parfait pour entamer une profonde réflexion collective sur notre consommation énergétique. D'abord, précise-t-elle, parce que le Québec n’est pas à l'abri d’une crise.

La PDG d’Hydro-Québec, Sophie Brochu, le répète souvent : il faut s'attaquer à l'efficacité énergétique. La dirigeante parle même de l’importance de la sobriété énergétique.

En effet, les pronostics sont clairs : au rythme où les Québécois consomment et avec l’électrification des transports en cours, le Québec manquera d’électricité.

Ce pronostic est confirmé par une étude publiée par la Chaire de gestion du secteur de l’énergie de HEC Montréal en février 2022 : « Hydro-Québec évaluait ses surplus à environ 40 TWh par année en 2019. Ceux-ci pourraient s’effacer à l’horizon 2029 avec les nouveaux contrats d'exportation, la croissance de la demande et l’électrification, entre autres ».

« Au Québec, la discussion sur l’électrification s’est faite dans le pays des licornes jusqu’à maintenant. Dans notre imaginaire, il y a trop d’électricité, et on doit l’exporter »

Éric Pineault, membre de l'Institut des sciences de l'environnement de l'UQAM

Pas besoin de faire des sacrifices

Loin de grands sacrifices, on peut changer une foule de petites choses au quotidien et ainsi réduire considérablement la consommation d’énergie au pays, précise Carole Dupuis.

Entre autres exemples, Mme Dupuis cite le gaspillage alimentaire. Produire des aliments requiert beaucoup d’énergie; en s'attaquant sérieusement à ce problème, on réduirait de façon considérable le gaspillage énergétique, explique-t-elle.

Selon l’organisme Deuxième Récolte, 11 millions de tonnes d’aliments comestibles sont gaspillées au pays chaque année.

« Il y a beaucoup à faire avant de se rendre au sacrifice; juste de réduire le gaspillage alimentaire serait déjà un excellent début, sachant que la production alimentaire est très énergivore »

Carole Dupuis, porte parole du mouvement éco-citoyen UNEplanète 

Il faut aussi réfléchir dès maintenant à une utilisation moins fréquente de la voiture solo et à la réduction des déchets, croit-elle.

Au dire de Recyc-Québec, chaque Québécois produit plus de 700 kilos de déchets par année. Beaucoup d’énergie est dépensée non seulement pour la gestion des déchets mais aussi pour la production des biens jetés.

Précarité énergétique

Conseillère budgétaire pour l’organisme ACEF du Nord de Montréal, un organisme engagé pour la justice sociale, Émilie Laurin-Dansereau pense qu'il faut se poser de sérieuses questions sur nos modes de vie très énergivores dans le contexte actuel.

Elle rappelle au passage qu’il y a déjà un nombre élevé de Québécois qui vivent dans la précarité énergétique parce qu’ils sont incapables de payer leurs factures d'Hydro-Québec.

Selon l'ACEF, 16 % des ménages québécois vivent en situation de pauvreté énergétique. Ces ménages ne peuvent donc pas subvenir à leurs besoins en énergie, ou alors ils le font au prix de sacrifices et de renoncement à d’autres biens de consommation courante et parfois même à des médicaments.

Selon Mme Laurin-Dansereau, il faut arrêter de culpabiliser les citoyens; les gouvernements devraient plutôt s’attaquer aux secteurs industriels très énergivores. En effet, si les tarifs plus bas attirent des entreprises d'envergure internationale, cela peut aussi entraîner, à terme, des problèmes d'approvisionnement en énergie.

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